vendredi 19 avril 2024

Paris. Opéra-Comique, les 5 et 7 mars 2011. Massenet : Cendrillon. Judith Gauthier / Blandine Staskiewicz, Michèle Losier, … Marc Minkowski, direction. Benjamin Lazar, mise en scène

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Créée en 1899 dans les murs de l’Opéra-Comique, la délicieuse Cendrillon de Jules Massenet y revient enfin, après bien des années d’absence. Et c’est peu de dire que la réussite est au rendez-vous.
La partition, luxuriante, est un véritable discours continu sans interruption durant les quatre actes qui la composent. Fidèle à lui-même, Massenet galvanise la partie orchestrale, d’une grande richesse harmonique et mélodique. Chaque personnage y gagne sa caractérisation musicale propre, notamment le père, Pandolfe, avec ses longues phrases et la douceur de ses lignes, la belle-mère et ses intervalles disjoints, véritables sauts de registres, et la Fée, presque réduite à un instrument, égrenant ses sons piqués et ses vocalises en apesanteur ainsi que ses aigus doux et oniriques.


Féérique Cendrillon

Délaissant les reconstitutions historiques, Benjamin Lazar imagine une mise en scène épurée, laissant jouer l’imaginaire du spectateur. Pas de décor fastueux, mais des châteaux simplement suggérés, dont seuls les contours sont visibles. En revanche, les costumes, somptueux, ont été travaillés jusque dans les moindres détails. Délirants et fantasques, tant dans leurs formes que leurs couleurs, agrémentés de coiffes improbables et invraisemblables, ils contribuent au parfum d’irréel qui se dégage de la production. La lumière joue ici un rôle prépondérant, des lucioles qui accompagnent la fée au grand chêne tout entier représenté par un voile lumineux séparant les amoureux qui s’entendent sans pouvoir se voir.
La direction d’acteurs est d’une grande beauté, inspirée du cinéma de Méliès, toute entière contenue dans les gestes, – presque chorégraphie, véritable ballet qui correspond parfaitement à cette œuvre onirique et féérique.

Tenant fermement les rênes de son orchestre, ces Musiciens du Louvre-Grenoble qu’il connaît par cœur, Marc Minkowski prend un plaisir sensible à diriger ce conte de fées. La pâte sonore qu’il cultive est soyeuse, pleine et charnue, avec des bois magnifiques, des cordes chaleureuses.

Saluons la distribution de très haut niveau, qui fait honneur au chant français.
Aux côtés d’un chœur très bien chantant, les seconds rôles sont tous admirablement tenus, du Roi de Laurent Herbaut au Premier Ministre de Paul-Henri Vila, en passant par le Doyen de la Faculté de Vincent de Rooster et le Surintendant des Plaisirs de Julien Neyer.
En belles-sœurs capricieuses, chipies insupportables autant qu’hystériques, Salomé Haller et Aurélia Legay composent un numéro de duettistes hilarant, avec une mention spéciale pour la voix puissante et riche d’Aurélia Legay, qui se démarque particulièrement dans les ensembles.
On attendait avec impatience, dans le rôle de Mme de la Haltière, leur écrasante mère, la venue de la légendaire contralto polonaise Ewa Podles... Attente non déçue, tant l’incarnation de la chanteuse est unique et inoubliable. Impériale et hautaine, dans une robe à sa démesure, elle se donne toute entière, et avec une gourmandise évidente, dans ce rôle de mégère despotique et terrifiante, qui semble avoir été écrit pour elle. Son entrée est déjà anthologique, préparée par un Massenet que le personnage a semble-t-il beaucoup inspiré et amusé, et, dès les premiers sons, on est saisi par cette voix étrange, androgyne, tenant à la fois du grand mezzo dans le médium et presque du baryton dans le grave, une voix de poitrine d’une puissance colossale, d’une longueur ahurissante.
Et durant tout le rôle, elle joue de ces deux registres, passant allègrement de l’un à l’autre, avec une préférence visible pour sa voix de poitrine, qu’elle aime faire sonner et résonner, agrémentant même la ligne de vocalises et de trilles, rappelant l’excellente rossinienne qu’elle est. Avec une diction française d’une précision absolue, Ewa Podles confirme toute son immensité dans sa scène de l’acte III, hénaurme et surhumaine, imposant son autorité jusque sur le public, qui reste sans voix.
Remplaçant au pied levé Franck Léguérinel, le baryton français Laurent Alvaro s’est glissé avec une aisance et un naturel confondants dans cette production, qu’il semble couver toute entière de son regard attendri. Sa voix chaude et veloutée se fond à merveille dans la cantilène de Pandolfe, notamment dans son air du III, d’une tendresse paternelle bouleversante. Les spectateurs l’ont bien compris, et lui réservent une ovation au rideau final.

Dans le rôle de la Fée, irréelle et immatérielle, la soprano cubaine Eglise Gutierrez fait forte impression. La voix est large et corsée, dotée d’un grave sonore, et pourtant le registre aigu, sans cesse sollicité, sonne clair et adamantin, jusque dans des suraigus piano superbement filés et des trilles parfaitement battus, une technique vocale de grande école.
En Prince Charmant mélancolique et transfiguré par l’amour, la mezzo canadienne Michèle Losier touche et bouleverse, par son timbre chaud et lumineux, le dramatisme dont elle sait faire preuve, la variété de ses couleurs, la beauté de sa ligne de chant et surtout son sens de la diction, rarissime aujourd’hui. Le personnage est incarné avec passion, toujours dans la sobriété et avec une grande noblesse, du désespoir à l’émerveillement.
Lucette rêveuse et touchante, Judith Gauthier, Cendrillon lors de la première le 5 mars, sait se faire princesse de conte de fée, avec une naïveté touchante. Son timbre de soprano pur et perlé convient admirablement à ce rôle, recelant une vibration, une fraicheur encore fragile, qui la rend très émouvante, notamment dans l’acte III, où sa ligne de chant piano, presque murmurée, nous la rend proche et intime. Son duo avec le Prince sous le Chêne des Fées est également poignant, Massenet ayant déployé sous les voix un accompagnement orchestral puissant et passionné.
Alternant avec elle, reprenant les habits de Cendrillon pour la seconde représentation du 7 mars, la mezzo française Blandine Staskiewicz donne au personnage des couleurs nouvelles, plus sombres, rapprochant Lucette d’Angelina, Cendrillon de la Cenerentola rossinienne. La chanteuse assume ce rôle finalement hybride avec brio, des graves sonores aux aigus triomphants, osant même des piani d’une grande délicatesse. L’héroïne acquiert ainsi, par ce changement de tessiture, un caractère plus fort et plus affirmé, davantage femme. Tout au plus peut-on noter une grande gémellité entre sa voix et celle du Prince, ce qui donne une teinte inhabituelle à leurs duos. L’appréciation des deux facettes de la tendre Lucette se fera au gré des sensibilités, mais toutes les deux emportent l’adhésion du public.
Une nouvelle réussite à porter au crédit de la salle Favart.Visiblement conquis, les spectateurs ont raison d’applaudir cette redécouverte, consacrant le retour de Cendrillon sur la scène de sa naissance.

Paris. Opéra-Comique, 5 et 7 mars 2011. Jules Massenet : Cendrillon. Livret d’Henri Cain d’après le conte de Charles Perrault. Avec Cendrillon : Judith Gauthier / Blandine Staskiewicz ; Le Prince Charmant : Michèle Losier ; La Fée : Eglise Gutierrez ; Mme de la Haltière : Ewa Podles ; Pandolfe : Laurent Alvaro ; Noémie : Aurélia Legay ; Dorothée : Salomé Haller ; Le Roi : Laurent Herbaut ; Le Doyen de la Faculté : Vincent de Rooster ; Le Surintendant des Plaisirs : Julien Neyer ; Le Premier Ministre : Paul-Henri Vila ; Danseurs : Luciana Dariano, Alex Sander Dos Santos, Ana Mariolani, Danila Massara, Gudrun Skamletz. Orchestre et Chœurs des Musiciens du Louvre-Grenoble. Marc Minkowski, direction ; Mise en scène : Benjamin Lazar. Chorégraphie : Cécile Roussat et Julien Lubeck ; Scénographie : Adeline Caron ; Costumes : Alain Blanchot ; Lumières : Christophe Naillet ; Maquillage : Mathilde Benmoussa ; Effets spéciaux : Thierry Collet ; Assistant musical et chef de chœur : Nicholas Jenkins

Illustration: Massenet (DR), Blandine Staskiewicz est Cendrillon © Elisabeth Carecchio

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