vendredi 29 mars 2024

Paris. Opéra Comique, le 14 janvier 2013. MA Charpentier: David et Jonathas. Pascal Charbonneau, Ana Quintans… Les Arts Florissants. William Christie, direction. Andreas Homoki, mise en scène.

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L’Opéra Comique reçoit les Arts Florissants en ce début d’année dans une mise en scène de la tragédie biblique de Marc-Antoine Charpentier, David et Jonathan. L’ouvrage est créé en 1688, soit un an après la mort de Lully. Impossible de ne pas opposer le préféré de Louis XIV à Charpentier, le plus « italiens » des Baroques français, surtout après avoir vu et vécu la résurrection de son unique véritable tragédie lyrique l’année dernière, Médée (Opéra de Lille, le 6 novembre 2012)


David et Jonathas : l’amour précieux qui ose dire son nom

En l’occurrence, nous avons la grande chance d’avoir une copie de la partition de David et Jonathas (livret du Père Bretonneau, copie du bibliothécaire du Roi), sorte de spectacle lyrique crée au collège jésuite Louis-le-Grand de Paris pour agrémenter une tragédie latine dont le texte est perdu. N’étant donc pas un vrai opéra, le compositeur se voit moins contraint de suivre le modèle Lullien; le résultat est une œuvre sacrée unique presque dépourvue d’action, d’une profondeur psychologique impressionnante, d’un pathos d’une actualité confondante.

Ici Charpentier dépasse Lully dans le souci de la prosodie et de la cohérence musicale, surtout par la charmante et très originale union de la science et l’élégance. L’écriture contrapuntique, parfois surprenante, les airs très développés avec un accompagnement de plus en plus remarquable de la part de l’orchestre, les chœurs remplis de caractère et d’une certaine facilité mélodique tout-à-fait éclatante… affirme le tempérament de Charpentier; l’œuvre est un ouvrage cohérent et indépendant sous l’excellente direction musicale de William Christie dont la noblesse et la sensibilité sont incontestables.

Pascal Charbonneau incarne délicieusement le rôle de David. Il sait nuancer à merveille sa voix de ténor léger. Sa prestation est toujours pleine de cœur. L’expression de son conflit et de sa douleur est pénétrante et son physique s’accorde parfaitement à son personnage de jeune berger. Jonathas qu’il aime tant et qui le lui rend pareillement, est interprété par la soprano Ana Quintans en travesti. Au-delà de la surprenante et très crédible transformation physique, l’interprète a une voix d’une candeur captivante et une présence scénique qui étonne par la fraîcheur et l’honnêteté. Les duos entre David et Jonathas sont des véritables sommets lyriques, bijoux de l’expression d’un amour inébranlable et des passions intenses. Ainsi ils transmettent l’éclat de leur amour joyeux avec autant d’authenticité que le chagrin de leur inévitable séparation par la mort de Jonathas.

Le ténor croate Kresimir Spicer est un magnifique Joabel, chef de l’armée des Philistins. Il est exaltant dans son angoisse et sa rage, dans l’expression de sa fureur et sa jalousie est époustouflante. Le Saül d’Arnaud Richard est un Roi d’Israël très dramatique; sa large voix dégage la sombre chaleur d’une beauté indéniable malgré le tourment et la folie du personnage qu’il représente. Saluons aussi l’Achis de Frédéric Caton à la belle voix apaisante et le contre-ténor Dominique Visse dans le rôle de la Pythonisse, tour de force théâtrale, à l’expression prodigieuse.

Parfois solennels, parfois galopants, toujours avec un panache passionnant, les Arts Florissants, chœur et orchestre, maîtrisent parfaitement l’art de la nuance. Les vents sont pleins d’âme et les cordes, cristallines et vigoureuses. La prestation de Florence Malgoire au violon solo est excellente. Le groupe des continuistes affirme une sensibilité et ‘une technique incroyable, notamment Béatrice Martin à l’orgue/clavecin, d’une précision étonnante dans son accompagnement. Le chœur, quant à lui, est composé d’interprètes ardents et à l’harmonie exaltante. Même les petits solos des membres du chœur tels ceux d’une Élodie Fonnard ou de Rachel Redmond (ndlr: lauréates à présent reconnues du Jardin des Voix) associent idéalement charme et caractère.

La mise en scène signé Andreas Homoki est très spéciale, surtout pertinente. Les origines de l’œuvre même rendant difficile son travail, il rehausse l’aspect psychologique dans sa transposition de « l’action » aux temps modernes. Ses simples décors sont amovibles; ils créent des effets de split screen très intéressants. Conflits, tensions, déchirements des personnages sont représentés de façon cinématographique avec les décors qui transforment les proportions de l’espace scénique en permanence, verticalement et horizontalement. De même, pas de danseurs pendant les intermèdes instrumentaux, mais des scènes de flashback de la vie familiale de Saül et des enfants, David et Jonathas. Si la mise en scène ne se prétend pas historique (-plutôt domestique et familiale-), elle se sert quand même de l’histoire de façon pittoresque, anachronique voire quelque peu incohérente, surtout en ce qui concerne les costumes de Gideon Davey inspirés de l’habit ashkénaze et musulman, pourtant efficaces.

Heureuse trouvaille de bibliothécaire, l’œuvre est néanmoins unique dans le répertoire (et dans ce sens nous remercions M. Lully pour le contraste). Bel Air Classiques annonce la parution du DVD de la production réalisé lors du Festival d’Aix-en-Provence quelques mois avant son passage à l’Opéra Comique où nous vous conseillons fortement d’aller découvrir les beautés et la gloire de cette œuvre rare de Charpentier. A l’affiche les 18, 20,22 et 24 janvier 2013.

Paris. Opéra Comique. Le 14 janvier 2013. David et Jonathas, tragédie
biblique en 5 actes et 1 prologue de Marc-Antoine Charpentier, livret du
Père Bretonneau. Pascal Charbonneau, Ana Quintans… Les Arts
Florissants. William Christie, direction. Andreas Homoki, mise en scène.
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