jeudi 18 avril 2024

Paris. Opéra Bastille, le 16 novembre 2012. Don Quichotte (Rudolf Noureev, d’après Marius Petipa, 1981). Ludmila Pagliero, Karl Paquette… Kevin Rhodes, direction

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Compte rendu

L’incontestable maître de ballet et chorégraphe, véritable icône du XIXe siècle, mais de tous les temps en vérité, le Français Marius Petipa (1818 – 1910) crée son Don Quichotte à Moscou en 1869, sur la musique du compositeur et violoniste viennois Ludwig Minkus. Il le recrée et l’enrichit à Saint Petersburg, sa ville d’adoption, en 1871. Succès total chaque fois.

Le Ballet de l’Opéra National de Paris a dû attendre jusqu’au 1981 pour l’inscrire à son répertoire.
Ce fut le travail chorégraphique, d’après Petipa, du plus grand danseur masculin du XXe siècle, et de toute l’histoire véritablement, le phénomène Rudolf Noureev.


Rêve d’Espagne ou l’Espagne des rêves?

Il s’agît d’un véritable ballet, riche en péripéties. Le titre légèrement trompeur fait référence au chef d’œuvre de la littérature universelle : Don Quichotte de Cervantès, mais l’intrigue est celle du couple Kitri / Basile, tiré d’un épisode du roman. Don Quichotte et son fidèle Sancho Pança sont des personnages presque secondaires, de nature comique, compléments efficacement brossé à l’aventure fougueuse du couple principal. Kitri aime le pauvre Basile, mais son père Lorenzo veut qu’elle épouse le ridicule et riche Gamache. Don Quichotte arrive à forcer Lorenzo à permettre le mariage du couple amoureux, mais pas sans avoir imaginé Kitri en Dulcinée au royaume des dryades.

C’est en fait la première fois que le maître met en scène des personnages populaires, sans origines nobles ou surnaturelles. Mais il n’y a rien d’ordinaire dans l’œuvre brillante et comique. Petipa, ayant vécu en Espagne entre 1843-1846 en tant que Premier Danseur au Théâtre Royal à Madrid, connaissait bien couleurs et saveurs de la musique et des danses traditionnelles espagnoles.


Amour et humour sous les traits de Noureev

La mise en scène de Rudolf Noureev (1938-1993) et les nouveaux décors et costumes de 2002 d’Alexandre Beliaev et d’Elena Rivkina respectivement, vont dans le sens d’un idéalisme exotisant issu du mouvement romantique du XIXe siècle. Dans cette quête de véracité picturale et pittoresque, les créateurs s’inspirent des tableaux de l’Espagne de Goya et de Manet et nous présentent une scène somptueuse mais pas baroque, d’un charme chaleureux mais jamais brulant, avec les incontournables clichés et lieux communs mais sublimés par leur beauté plastique et leur pertinence contextuelle. Ainsi trouverons-nous des éventails, des castagnettes, des matadors aux capes rouges, des gitans aux bandeaux, un parapluie qui s’ouvre (ou pas!) et des jupes andalouses et d’autres espagnolades. Le tout pour nous offrir une expérience spectaculaire, plein de charme, de caractère, qui touche les sens par le flamboiement théâtral d’une Espagne fastueuse et singulière, celle de nos rêves.

La chorégraphie est aussi pimentée des danses à l’espagnole : la jota, la séguedille, le fandango. Dans sa révision du classique de Petipa, Rudolf Noureev non seulement remet en valeur le rôle de Basile, il insiste aussi sur l’aspect comique, notamment en ce qui concerne Sancho Pança, Don Quichotte et Gamache; sur l’importance dramatique de la virtuosité, et surtout exige du corps de ballet une présence scénique vivace et haute en couleurs, jamais décorative.

Ce soir nous trouvons les matadors et le peuple assez bien, leur performance gagnant en caractère progressivement, les gitans fort athlétiques et naturels, surtout un groupe de pêcheurs plein de charisme, d’ une vigueur rafraîchissante.

Dès le prologue, nous remarquons l’excellence du duo comico-héroïque de Don Quichotte et Sancho Pança, interprétés par Guillaume Charlot et Hugo Vigliotti. Ils ont beaucoup de personnalité dans leur prestation, Vigliotti tendre et drôle et Charlot légèrement affecté mais avec beaucoup de prestance et une certaine allure altière qui allait parfaitement avec son personnage.

Stéphane Phavorin en Gamache nous montre également ses grands dons de comédien avec beaucoup d’intelligence et de verve. Impossible de ne pas s’intéresser aux péripéties de ses trois personnages comiques et secondaires grâce à leurs performances amusantes et toniques.

Quant aux autres rôles secondaires, les deux amies de Kitri Héloïse Bourdon et Laura Hecquet ont une précision évolutive intéressante. Le Gitan d’Allister Madin a réchauffé le public avec son heureux mélange de virtuosité et de charisme naturel. Christophe Duquenne en Espada, sorte de chef des matadors, semble avoir du mal, au début, à imbiber son personnage de brio et de caractère. Il y arrive au dernier acte éblouissant mais nous aurions souhaité plus de tempérament de sa part. Sarah Kora Dayanova (extraordinaire Gamzatti dans la Bayadère ce mars/avril passé) est une excellente Reine des Dryades, imposante et élégante à la fois. Le cupidon de Mélanie Hurel est mignon et mordant au même temps. La Première demoiselle d’honneur de Charline Giezendanner est quant à elle charmante et virtuose.

Quant au couple principal, le Basile de Karl Paquette, danseur étoile, a été tout-à-fait correcte.
Plus prudent et incertain que complice ou fier, nous trouvons sa performance un peu conflictuelle mais progressive. Il arrive a dégager une sorte de grâce sensuelle, ses entrechats sont parfaits et ses portés solides mais manquent magnétisme et naturel.

La nouvelle étoile argentine dans le firmament du Ballet de l’Opéra National de Paris, Ludmila Pagliero dans le rôle de Kitri, a une forte présence sur scène et une fluidité parfois féline qui rappelle Noureev. C’est comme si elle flottait sur le plateau avec toute la chaleur et le charme de la musique de Minkus. Mais elle est surtout vedette, avec une virtuosité et une force indéniable. Sa ligne est propre et son extension est belle mais c’est surtout le brio et le caractère de sa prestation qui nous a impressionné, avec ses fouettés enflammés et ses regards furtifs et séducteurs derrière l’éventail Elle n’a pas fait preuve d’une grande chimie avec son partenaire, mais puisqu’il ne s’agît pas d’un ballet romantique ni tragique mais d’une comédie pompeuse et virtuose cela n’a rien retiré de l’éclat de l’œuvre.

Ce joyeux flamboiement théâtral et technique récurrent est effectivement la marque distincte de Rudolf Noureev, inspiré de la grandeur classique de Petipa. Quel énorme plaisir pouvoir le deviner partout à la première de Don Quichotte, presque 20 ans après sa mort, dans les maniérismes et le raffinement unique des gestes des formidables interprètes du Ballet de l’Opéra, compagnie qu’il dirigea de 1983 à 1989. Quelle joie de le voir toujours vivant, non seulement dans ses ballets bijoux du monde entier, mais aussi
dans son héritage éblouissant de perfection technique, de dévotion et amour à l’art, d’ouverture et de ferveur, pour le bonheur des spectateurs et la gloire d’une nation qui lui a ouvert les portes de la liberté et de la célébrité, et qui l’accueille toujours dans son sol, comme nous dans nos cœurs.

Don Quichotte à l’affiche de l’Opéra Bastille
: le, 24, 27 et 30 novembre ainsi que le 3, 5, 6, 8, 9, 11, 12, 14, 15,
17, 18, 19, 21, 23, 24, 26, 28, 30 et 31 décembre 2012.

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