Lauréat de la fondation Hewlett Packard France, dans le cadre
de son soutien aux « musiciens de demain » (en collaboration avec le Cnsmd de Lyon), le jeune
hautboïse Philippe Régana (29 ans) donnait un premier récital dans le
Grand Salon de l’Hôtel National des Invalides à Paris. Le programme mêle
astucieusement oeuvre du répertoire (Trois romances pour Hautbois et
piano de Robert Schumann, avec le pianiste, qui fut également distingué
par la Fondation Hewlett Packard France, Wilhem Latchoumia), et surtout
partitions contemporaines, dont la création de « Coups de
Canon(s) », composée par Philippe Régana. Car en plus d’être un
talentueux interprète, le jeune musicien s’affirme tout autant dans l’activitié
compositionnelle. Le soliste français originaire des Hautes-Pyrénées,
qui s’est perfectionné au Conservatoire national de musique et de
danse de Lyon, a dévoilé l’étendue de ses qualités de diseur, maniant
l’intériorité et le dramatisme dans les « Métamorphoses d’après
Ovide pour hautbois solo », exprimant tour à tour, l’ivresse du créateur de la
flûte: Pan; l’élévation pleine d’un lumineux panache de Phaeton, le
conducteur du char du Soleil; le lamento grave et solitaire
de la malheureuse Niobe qui pleure la mort de ses 14 enfants…, la vitalité frénétique des bacchantes dans le portrait musical de Bacchus… Le jeu
de Philippe Régana est capable d’une concentration subtile, maîtrisant
le souffle et déployant une étendue mesurée et réfléchie de nuances et
d’intonations. En lui, résonne le chant antique et poétique du chantre
originel, à la fois déclamation et narration, déploration à l’humaine
mesure, capable de contrastes et de vertiges saisissants.
Avant d’interpréter en création mondiale, sa composition en
liaison avec le lieu militaire où plane l’âme de tant de soldats ayant
versé leur sang et donné leur vie pour la défense de la nation, le
jeune hautboïste faisait retraite dans les coulisses, le temps d’une
pause pianistique, en compagnie de Wilhem Latchoumia. Le lauréat du
7ème Concours International de Piano d’Orléans (février 2006), qui fut
aussi distingué par la Fondation Hewlett Packard (2004), aborde les
rives contemporaines de l’écriture pianistique dont il est l’un des
plus ardents défenseurs, acteur d’une tournée en région Centre pour
expliquer et diffuser la diversité et la pertinence des
« nouvelles écritures » (tournée de Wilhem Latchoumia,
en région Centre, du 13 novembre 2007 au 16 janvier 2008). Les Three Irish Legends pour piano seul
de Henry Cowell utilisent l’instrument comme un champs
d’expérimentation sonore et physique: le pianiste, avant-bras et coudes
sur le clavier, produit une batterie permanente d’ harmonies croisées
et surperposées comme un halo d’ondes, à la fois brume et détonation,
réitération et déflagration. L’artiste brosse en traces sonores tout un
travail sur la résonance et la longueur du son, tout en y associant la
diluation et l’éclatement d’une forme ouverte, à la manière d’une
mécanique désacordée…
Avec « Coups de Canon(s)« de Philippe Régana, la scène
instrumentale, pourtant réduite (hautbois, piano et percussions), se
fait théâtre et dramaturgie de la mémoire. En plus des coups
implacables fendant l’air, le chant du hautbois entonne une prière
intense qui exprime ici ce qui est jeu: la vie des hommes, le sang des
combattants, tombés, terrassés sur le front des batailles meurtrières.
Aux instruments, s’accordent les voix des trois interprètes, récits
chevauchés, en écho et là aussi, réitérés. C’est une troupe marchant,
face à son destin, qui a perdu bon nombre de ses semblables. Il y ait
question du prix de la vie, de la fugacité de l’existence… d’où,
peut-être la citation de Ronsard? Philippe Régana y retrouve comme
dans la pièce précédante, également inscrite au programme de ce concert événement (duo pour Hautbois et zarb de Hossan
Mahmoud), le percussionniste Maxime Echardour: tous deux, membres de
l’ensemble de musique contemporaine, L’Instant Donné, s’engagent avec la
même concentration pour la notion de geste musical, alliant la
projection du son, son articulation poétique, et le principe d’action
dans l’espace. Superbe oeuvre, forte et suggestive, dont les
interprètes ne pouvaient apporter meilleure implication.
« Coups de Canon(s) » est une commande de la Fondation
HP France, et la première oeuvre qui, jouée dans le cadre de la
programmation musicales de Invalides, est spécialement
conçue en liaison avec l’histoire militaire du lieu parisien.
Paris. Hôtel National des Invalides, lundi 17 décembre 2007. Robert
Schumann (1810-1856): Trois romances pour hautbois et piano opus 94.
Benjamin Britten (1913-1976): Métamorphoses d’après Ovide, opus 49:
Pan, Phaeton, Niobe, Bacchus. Henry Cowell: Three Irish Legends pour
pian seul. Hossan Mahmoud: Duo pour heutbois et Zarb. Philippe Régana
(né en 1978): « Coups de canon(s) », création mondiale,
commande de la Fondation Hewlett Packard France. Philippe Régana,
hautbois. Wilhem Latchoumia, piano. Maxime Echardour,
percussions.
Crédit photographique: Philippe Régana (DR)