samedi 18 janvier 2025

Paris. Ecole Militaire, Chapelle Saint-Louis, le 18 mai 2010. Récital Frédéric Chopin: les Ballades. Knut Jacques, pianoforte

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Fondé en 2006 par le claveciniste Bruno Procopio, le label Paraty se distingue par une volonté farouche de vouloir mettre en lumière le répertoire de musique baroque et classique interprété sur instruments d’époque. Compte rendu mis en ligne par Adrien De Vries. Rédigé par Romain
Lapeyre

Souci d’authenticité

Après l’obtention d’une victoire de la musique classique en 2010 pour l’enregistrement « Félix Mendelssohn, Broadwood 1840 » de Cyril Huvé et après avoir fait découvrir auprès du grand public des artistes tels Arnaud Van de Cauter, Emmanuelle Guigues, Ivan Ilic, Natalia Valentin, Nicolas Stavy et Wim Winters, c’est aujourd’hui à Knut Jacques de montrer toute l’étendue de son talent.
Ses études de piano et de pianoforte effectuées au CNR-CSP, au CNSMD de Paris, puis au Conservatoire Royal de la Haye, Jacques Knut se perfectionne auprès de Denis Pascal Ruben Lifschitz (piano moderne) et Bart Von Oort (pianoforte). Son parcours musical lui permit également d’approfondir son travail avec des personnalités marquantes telles Paul Badora-Skoda, Malcom Bilsom, Eric Hoeprich, Alessandro Moccia, Kenneth Weiss, etc. Régulièrement invité des festivals, il se produit couramment en solo ou en musique de chambre, en France comme à l’étranger (Japon, Autriche, Espagne, Inde, Italie, Pays-Bas).

A l’occasion du bicentenaire de la naissance de Frédéric Chopin, célébré le 1er mars dernier, classiquenews.com avait présenté tout un cycle de reportages vidéos exclusifs. Par son interprétation du célèbre Nocturne de Chopin , Knut Jacques nous donnait déjà un aperçu de son tout prochain album entièrement dédié au compositeur polonais. Sur un pianino Pleyel de 1834, l’enregistrement fut réalisé dans l’intimiste salon Pleyel à Paris, rue Cadet, où Chopin donna son premier récital public le 26 février 1832. S’il n’est pas nécessaire de rappeler la profonde amitié qui unissait Chopin et Camille Pleyel, il faut toutefois garder à l’esprit l’influence du compositeur sur l’évolution de la facture des pianos. Actuel directeur artistique des Pianos Pleyel, Arnaud Manon affirme: « Nos pianos ont beaucoup évolué grâce à lui. » A travers ses nombreux écrits, Frédéric Chopin n’oubliait pas de mentionner toute l’affection qu’il portait aux pianos de la maison Pleyel : « Quand je me sens en verve et assez fort pour trouver mon propre son, disait-il, il me faut un piano Pleyel. » De ce piano particulier, il appréciait tout particulièrement la mécanique directe, le toucher et le timbre, à la fois doux et velouté dans le médium. Le pianino Pleyel de 1834 que joue Knut Jacques pour son enregistrement était le modèle préféré de Chopin. Comme professeur d’abord, ce dernier aimait reprendre et corriger le jeu de ses disciples sur un pianino, puis, en tant que compositeur, c’est toujours avec le même pianino que Chopin compose ses 24 Préludes à Majorque.

Tous ces différents éléments permettent de comprendre le choix évident d’un tel instrument pour l’enregistrement du nouvel opus de Knut Jacques. Cependant, comme prélude au concert du 18 mai dernier, Bruno Procopio prévient le public que l’interprète se produira non pas sur le pianino Pleyel de l’enregistrement mais sur un Piano Erard de 1846. Le
directeur artistique de rappeler combien Chopin appréciait également les vertus des pianos Erard dont il possédait quelques exemplaires. Du nom de son fondateur Sébastien Érard, puis Pierre Érard, son neveu, la maison à été fondée en 1777. Sans cet inventeur et ce grand génie de la mécanique, il semble que le double échappement n’aurait jamais vu le jour. Créé en 1821, ce système permet de rejouer une note sans attendre que la touche soit totalement remontée, permettant donc un jeu beaucoup plus rapide. Enfin, dans les années suivantes, il invente aussi l’agrafe sur le cadre en 1808 (pour maintenir les cordes) et le fameux pédalier du piano à queue en 1810.

Le toucher de la retenue

Le 18 mai dernier à la Chapelle Saint-Louis de l’Ecole Militaire, Knut Jacques nous proposait un récital composé autour d’oeuvres maîtresses du répertoire pianistique romantique : les quatre ballades de Frédéric Chopin et la Sonate en si mineur de Franz Liszt.

Les quatre ballades pour piano de Frédéric Chopin ont été composées vers la fin de sa vie, entre 1831 et 1842. Bien que la ballade était une forme lyrique existante depuis le Moyen Age, le terme fut ensuite surtout utilisé pour désigner le genre poétique du même nom. C’est Chopin qui le premier donna à une composition musicale le titre de « ballade ». Pour le compositeur, cette forme libre proche de l’improvisation évoque une « sorte de voyage qui ferait avancer l’interprète vers l’inconnu ». A noter qu’il n’existe pas de lien réel entre les quatre ballades qui ne se ressemblent véritablement sur aucun point.
Composée entre 1831 et 1835 à Vienne et Paris, et éditée en 1836 sous le titre d’éditeur « La favorite », la première Ballade n°1 en sol mineur op.25 fut dédiée au Baron de Stockhausen, ambassadeur de Hanovre. Ballade préférée de Chopin lui-même, le ton plaintif exempt de mièvrerie confère à la pièce une atmosphère poignante et déchirante.
L’interprétation qu’offrait ce soir là Knut Jacques, nous faisait découvrir « l’odyssée de l’âme de Chopin », selon la célèbre expression consacrée de Liszt. La deuxième Ballade n°2 en fa mineur op.38 composée entre 1836 et 1839 et éditée sous le titre « La gracieuse », fut dédiée à Schumann. Pleine de contrastes, cette ballade alterne des rêveries douces et des envolées passionnelles.

Quelque peu déçu par la nouvelle composition de Chopin, Schuman déclara : « Chopina a déjà écrit une composition sous ce même nom, une de ses plus sauvages et plus originales ; la nouvelle est autre chose, inférieure à la première comme oeuvre d’art, mais non moins fantastique et spirituelle.». Jouée par Chopin lors du concert le 21 février 1842 chez Pleyel, la troisième Ballade en la bémol majeur, op.47 a été composée entre1840 et 1841 à Paris et Nohant. Cette ballade diffère sensiblement des précédentes par son caractère mélodieux et sa fraîcheur poétique qui rappelle les premières compositions de Chopin. Jugée par Maurice Bourgues « comme la plus achevée de Chopin », cette oeuvre s’inspire du poème Ondine de Mickiewicz narrant l’histoire désespérée d’un chevalier amoureux et d’une déesse païenne. Sommet de l’écriture harmonique du compositeur, la quatrième ballade a été composée en 1842 à Paris et Nohant et éditée en 1843. Elle fut dédiée à la baronne Nathaniel de Rothschild. Maîtrisant à la perfection l’art de la polyphonie, Chopin parvient à superposer deux thèmes contrastés conférant à l’oeuvre une « instabilité de sentiments ».

Faisant face avec brio aux difficultés techniques, Knut Jacques aborde sereinement la lecture de ces quatre chef-d’oeuvres. Il en propose une lecture poignante exempte d’artifices et de fantaisies personnelles. Le « toucher de la retenue » qui caractérise son jeu, fascine un auditoire particulièrement attentif. Par sa démarche artistique, Knut Jacques nous fait redécouvrir le « son romantique » tel que le percevait Chopin à son époque.

En deuxième partie de soirée, Knut Jacques interprétait la célèbre Sonate pour piano en si mineur du compositeur Franz Liszt. Dédiée à Robert Schumann, cette sonate, la seule du compositeur, fut écrite entre 1852 et 1853. Elle fut créée par le pianiste, compositeur et chef d’orchestre Hans von Bülow le 22 janvier 1857 à Berlin. D’un seul tenant et d’une durée d’environ une trentaine de minutes, l’oeuvre peut être subdivisée en trois parties distinctes : Lento assai – Allegro energico – Grandioso. Contrairement aux oeuvres plus colorées et abordables du compositeur, telles ses rhapsodies hongroises, cette imposante sonate est à la fois sombre et virtuose. Cette page monumentale, au carrefour du passé et de l’avenir déstabilisa, lors de sa réception, le public et les critiques. Clara Schumann, pianiste et épouse du dédicataire, la trouva « sinistre » et se déclara « tout à fait malheureuse » à l’écoute de celle-ci. Elle nota dans son journal intime : « Que de bruit sans raison. Plus aucune pensée saine, tout est embrouillé ; on ne parvient même plus à y retrouver un enchaînement harmonique clair ». D’autres au contraire y reconnaissent le génie de Liszt. A ce propos, Théophile Gautier écrivit : « Liszt n’est pas un pianiste, c’est un poète ». De même, dans une lettre adressée au compositeur hongrois datée du 5 avril 1855, Wagner ne tarit pas d’éloges: « Très cher Franz ! Tu étais là maintenant près de moi — la sonate est indescriptiblement belle, grande, aimable, profonde et noble — sublime, comme toi. Elle m’a touché au plus profond de moi-même et d’un seul coup. ».

Redoutablement difficile techniquement, la sonate en si mineur de Liszt exige une grande maturité d’interprétation. Jacques Knut parvient à tenir le public toujours en éveil par sa riche palette de couleurs et de dynamiques qu’il obtient grâce Piano Erard. Aux moments de virtuosités inouïs succèdent des passages d’une intensité profonde. La maîtrise parfaite de l’interprète sublime ces chefs d’oeuvres du répertoire avec une certaine fraîcheur des plus convaincantes. De plus, la standing ovation du public laisse entrevoir pour Knut Jacques un avenir très prometteur. Ce concert confirme le sérieux de la démarche artistique du label Paraty dans la découverte de nouveaux artistes talentueux à la recherche d’authenticité.

Paris. Chapelle Saint Louis de l’Ecole Militaire, le 18 mai 2010. Frédéric Chopin: Intégrale des Ballades. Franz Liszt: Sonate en si mineur. Knut Jacques, piano-forte.

Compte rendu mis en ligne par Adrien De Vries. Rédigé par Romain Lapeyre

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