vendredi 29 mars 2024

Paris, Collège des Bernardins, le 21 mars 2013. Les quatre éléments et le céleste dans le premier baroque. La Fenice, Jean Tubéry, direction et cornets

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Le concert de ce soir, était une commande du Collège des Bernardins, afin d’illustrer musicalement une exposition qui se tient en ce lieu splendide situé en plein quartier latin et pourtant hors du temps. On ne peux qu’être ravi de la collaboration fructueuse qui s’est établie entre La Fenice de Jean Tubéry et ce lieu de culture parisien, qui nous offre ainsi l’occasion d’entendre ces musiciens devenus trop rares dans la capitale ou ses environs.

L’arbre de vie, virtuosité et mélancolie

Et qui mieux que Jean Tubéry pouvait concevoir un programme d’une telle richesse sur un thème qui jusqu’au début du XVIIe siècle, se retrouve si fréquemment tout aussi bien dans le domaine sacré que profane et qui fait l’objet de cette exposition, l’arbre de vie.

« L’arbre de vie est tout à la fois la métaphore de l’homme fragile mais debout » mais aussi le symbole de la force, de la beauté et du souffle vital qui anime les êtres vivants. Le trop succinct programme nous rappelle qu’il est le trait d’union entre les quatre éléments, la terre, l’eau et le feu, qui furent une source majeure d’inspiration pour les peintres, les sculpteurs et les compositeurs de la Renaissance et du début de l’époque baroque. Il nous rappelle « qu’avec les saisons et les tempéraments humains, les quatre éléments forment la doctrine des correspondances entre microcosme et macrocosme, c’est-à-dire la croyance en la profonde analogie entre l’homme et l’univers. Ainsi l’eau correspond à l’hiver (froid et humide) et à l’humeur flegmatique ; le feu, à l’été (chaud et sec) et à l’humeur bileuse et mélancolique ; l’air au printemps (chaud et humide) et au tempérament tonique et sanguin ; la terre correspondant à l’automne (froid et sec) et à l’humeur nerveuse, sèche et statique ».

Ce programme qui fait appel à la culture humaniste, aujourd’hui perdue pour beaucoup est le fruit de la grande érudition de Jean Tubéry. L’interprétation que nous en ont offert les musiciens et la soprano Claire Lefilliâtre, a permis au public de découvrir combien tout le raffinement de ces musiques, au-delà du sens perdu, s’adressent à nos émotions les plus intimes.

Le concert de ce soir se partage entre des pièces instrumentales des plus grands virtuoses du clavecin, du violon ou du théorbe, comme Froberger, Biber ou Kasperger, ou des pièces vocales, psausmes ou madrigaux d’Allemagne et d’Italie, où l’on retrouve tout aussi bien Jacopo Peri, Emilio da Cavalieri ou Barbara Strozzi que Marco da Gagliano, une partie de ceux qui ont en somme participé à la naissance de l’opéra. Le récital de ce soir fait vibrer les passions en une juste et harmonieuse expression des affeti.

Le cornet de Jean Tubéry rivalise de virtuosité et épouse les moindres accents et nuances de la voix si épanouie, au timbre au velours unique de Claire Lefilliâtre. Sa technique vocale qui lui permet de passer du chant au murmure de la voix parlée, fait de chaque pièce interprétée une scène de théâtre où se jouent des drames et des joies qui nous bouleversent tant les émotions exprimées sont nôtres. Madrigaux et psaumes, sont des trésors de poésie et de raffinement, et les ornementations tant instrumentales que vocales les magnifient grâce à un art d’une subtile délicatesse. Il n’est que d’entendre, le si mélancolique et doloriste « In qual parte del ciel, in qual idea » de Jacopo Peri pour s’en persuader. Jean Tubéry s’est entouré ici de musiciens habiles dont le jeu spontané et attentif permet de soutenir l’édifice harmonieux d’un programme qui nous l’espérons sera redonné aussi souvent que possible, tant il recèle de merveilles à découvrir. Les deux bis, dont « Zefiro Torna, oh di soavi accenti » et la reprise du si joyeux « O Che nuovo miracolo » ont en tout cas permis au public de repartir enchanté après une si douce soirée.

Paris, Collège des Bernardins, le 21 mars 2013. Les quatre éléments et le céleste dans le premier baroque. Urban Loth (ca 1580-1654) ; Samuel Scheidt (1587-1654) ; Hyeronimus Kapsberger (1580-1651) ; Johann – Hermann Schein (1586-1630) ; Johann-Jakob Froberger (1616-1667) ; Barbara Strozzi (1619 – 1677) ; Francesco Rognoni (ca 1570 – ca 1626) ; Franz-Ignaz Von Biber (1644 – 1704) ; Marco Corradini (1600c. – 1646) ; Marco da Gagliano (1582 – 1643) ; Giuseppe Scarani (ca 1628 – 1641) ; Jacopo Peri (1561 – 1633) ; Girolamo Frescobaldi (1583 – 1643) ; A. Archilei (1542 – 1612) ; Emilio Da Cavalieri (1550-1602) ; Claire Lefilliâtre, soprano ; Ensemble la Fenice, Jean Tubéry, direction et cornets.

Illustration : Claire Lefilliâtre (DR)
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