2 pianos impétueux pour un Concerto (en ré mineur), plutôt composite, inclassable. L’œuvre du voyou Poulenc, est composée à l’été 1932 pour la princesse de Polignac (et créé à Venise en septembre de la même année, avec l’auteur et son ami pianiste, Jacques Février).
Comment interpréter le Concerto pour 2 pianos de Poulenc ? Surtout qu’éviter pour réussir l’une des partitions qui restent difficiles à comprendre ? Point de tempos précipités, voire expédiés pour épater et pour l’esbroufe ; souvent le galop défendu dès le début du premier Allegro (au caractère stravinskien) entraîne confusion, essoufflement ; souvent le mordant facétieux de Poulenc est mal interprété et détourné en agressivité nerveuse et martelée [même Allegro initial] ; pourtant le premier mouvement, d’une belle trépidation rythmique, gagne a être abordé avec souplesse, et aussi une pointe de dérision tapageuse, délirante et amusée dans une euphorie libre mais maitrisée (qui cite Ravel et Rachmaninov).
Le Larghetto qui suit exige quant à lui, un abandon suspendu, « mozartien », sans omettre la facétie du voyou Poulenc… en évitant toute vulgarité aguicheuse. Car chez Poulenc il faut être incisif, percutant mais rond, polissé, et spirituel… Et même charmant. De la subtilité, et jouer dans l’ambivalence et la poésie : voilà le secret. Côté orchestre, le chef doit veiller à la tonicité élégante du discours orchestral ; faire dialoguer en finesse et jeux contrastés chaque mesure… Du chien, du charme, et même de la gouaille parodique assumée [la trompette du Finale].
Au concert, les frères JUSSEN s’entendent à merveille ; ils dévoilent leur compréhension de l’écriture du Concerto, dans une série virevoltante de questions réponses… laquelle produit in fine un feu d’artifice vertigineux, jamais artificiel ni déformant, en réalité cathartique, naturel, jouissif… Les deux facétieux complices sont d’autant plus attendus dans cette œuvre, qu’ils en ont signé sous la direction de Stéphane Deneve, une lecture particulièrement enthousiasmante [2016, chez DG Deutsche Grammophon].
________________________________________
ORCHESTRE PHILHARMONIQUE DE MONTE-CARLO
Dim 13 avril 2025, 18h
MONACO, Auditorium RAINIER III
RÉSERVEZ vos places directement sur le site de l’OPMC Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo :
https://opmc.mc/concert/concert-symphonique-13-avril-2025/
Francis POULENC : Concerto pour 2 pianos en ré mineur, FP 61
Lucas et Arthur JUSSEN, pianos
Claude DEBUSSY : Printemps
Béla BARTÓK : Concerto pour orchestre, Sz. 116
Nicholas Collon, direction
Durée : 1h45 (avec entracte)
autre partition au programme :
Le Concerto pour orchestre est une œuvre ambitieuse pour grand orchestre, d’autant plus représentative du dernier Bartok qu’il s’agit de sa dernière pièce totalement achevée. D’abord, l’Introduzione en est sur les 5, la plage la plus longue qui déroule un tapis sourd et grave…. riche en climats denses voire inquiétants propres à un cycle en réalité kaléidoscopique et qui plonge très profondément dans les cultures métissées du compositeur ; s’y précisent cependant des tensions et une intranquillité très emblématiques de la période qui est celle de l’Exilé aux USA ; ainsi ce nocturne « danubien » préliminaire, auquel répond un vivace aux rythmes « bulgares » ; puis le tranquillo « arabisant », énoncé avec suavité par le hautbois.
Le « Giucco delle coppie » / jeu de couples est une fantaisie d’un mordant quasi stravinskien dans la distribution des timbres successifs (bassons, hautbois, clarinettes, flûtes puis trompettes avec sourdine…) tous comme enivrés en badinages « serbo-croates », dont l’orchestre saisit la pulsion chorégraphique : série de pas à deux, et même à trois.
L’Elégie (Elegia) creuse encore le mystère sonore tout en raffinant le chant comme décalé, scintillant des timbres choisis (ainsi, claire voire perçante, la flûte semble voler au dessus de la nappe orageuse et homogène des cordes) ; en ré exposant l’amorce grave et sourde de l’introduction primordiale, le mouvement axial, semble rebattre les cartes d’un jeu énigmatique qui réitère pour questionner.
Comme une libération, l’Intermezzo (IV) semble déchirer tout à fait le voile d’ambiguïté antérieure grâce à l’évidence du motif hongrois célèbre, véritable déclaration d’amour pour la terre natale tant aimée (et perdue) : précisément, en citant l’air connu, populaire : « Hongrie, tu es belle, tu es magnifique » [szép vagy, gyönyörű vagy Magyarország], extraite de la Mariée de Hambourg (1926) de Zsigsmond Vincze (1874-1935). Bartok se libère enfin dans un acte de volupté sonore alors inédite, dans lequel le collectionneur de mélodies et d’airs traditionnels, recycle, avec à propos, l’élégance (et la suavité) de motifs préexistants.
Le Finale fait imploser touts les tensions contenues jusque là, dans une ronde ascendante qui concentre plusieurs danses traditionnelles dont Bartok fait l’expression d’une « affirmation de la vie », radicale et définitive. Mais tout n’est jamais clairement développé et comme Chostakovitch, Bartok aime l’ambivalence ; il glisse constamment entre ultra réalisme (avec pointes cyniques et parodiques) et vertiges oniriques affleurant jusqu’au mystère le plus trouble… L’orchestre, son chef doivent faire vibrer cette grande lyre énigmatique, à la fois éperdue et expressionniste qui porte l’imaginaire et la sensibilité du dernier Bartók. Emporté par la maladie en 1945, le compositeur ne pourra jamais écouter la partition ; le Concerto aux accents fauves, fantasques, étranges, ne sera créé qu’en …1946.