samedi 20 avril 2024

Olivier Messiaen (1908-1992): portrait (2).Musicien coloriste. A Paris, un enseignement majeur. Croyant contemplatif

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Musicien coloriste

« Modal, tonal…, je suis tout ce que vous voulez. Mais pour ma part, je me suis toujours senti comme un musicien de la couleur« , précise-t-il. « Avez-vous
remarqué que les oiseaux chantent beaucoup mieux, au matin et au soir,
lorsque le soleil enveloppe toute forme d’un rouge et d’un mauve? C’est
comme s’ils rendaient hommage au miracle de la nature
. » Comme les
impressionnistes, la sensibilité de Messiaen se concentre sur la
couleur, sur la sensation musicale du motif. Du reste, le plein air, la
nature, demeurent les thèmes et les sources d’inspiration principaux du
musicien, comme les montagnes du Dauphiné, et plus tard, l’orgue de la
Trinité à Paris puis le Japon, marqueront d’une façon emblématique, son
oeuvre et l’évolution du style. La nature lui inspire des compositions
sonores où il se délecte à mêler les timbres et les couleurs, en
particulier des sonorités exotiques et originales, transmises par le
chant des oiseaux de l’Inde, de la Chine, de la Malaisie, des deux
Amériques: l’écoute et la connaisance précise du vivant offrent au
compositeur de nouvelles associations transcrites pour les instruments,
des complexes d’accords nouveaux et spécifiques à chaque
espèce. Il a d’autant plus de facilité à repérer les hauteurs de son et
l’identité des timbres qu’il possède l’oreille interne.

A Paris, un enseignement majeur

Naturellement en liaison avec ses recherches et ses centres
d’intérêt, Messiaen dispose au Conservatoire de Paris d’une classe
d’harmonie, dès 1948, qui est aussi classe de composition et d’analyse
musicale. Le compositeur décortique un passage de Debussy, une page de
Gluck. Immergé dans le Ring de Wagner, il détaille chaque leitmotiv
afin d’identifier dans le flot musical les relations et l’émergence de
chaque phrase qui sont autant de souvenirs et d’émotions ressentis par
les personnages concernés… Autour de lui, ses élèves se nomment
Boulez, Xenakis, Stockhausen, Pierre Henry… Sa parole est d’autant
plus appréciée et captivante, qu’elle ne dirige pas et n’impose rien.
Messiaen ouvre des portes, dévoilent des perspectives d’analyse et de
compréhension qui permet à chacun de trouver et d’approfondir son
propre style. Ses commentaires sur la résonance des sons et les
concordances des notes et des couleurs (bien qu’il ne soit pas « doué »
de faculté synoptique qui comme dérèglement de la perception, permet à
une personne d’associer à une hauteur de son, une couleur précise),
Messiaen a toujours associé une note et « sa » couleur. Il compose et
entend en couleurs. En poète de la musique, moins en peintre, il se
définit comme coloriste de la musique: bleu de cobalt, ou de prusse,
mauve et orangé, rouge rubis, jaune éclatant. Son approche et son
expérience des sons ouvrent de nouveaux champs de compréhension. Sur le
plan de la résonance, Messiaen fut le premier à utiliser dans
l’orchestre les percussions à résonance prolongée, comme le vibraphone,
les marimbas, les tam tam, les cloches et les gongs. En captant et
cultivant le phénomène de timbre long, produisant comme un voile de
sons mêlés, le compositeur y percevait cette notion de mystère et
d’onirisme vers laquelle il a souhaité orienter toute son écriture.

Croyant contemplatif

Dans la réligion égyptienne antique, puis l’Antiquité étrusque et
romaine, l’âme défunte est personnalisée par un oiseau. La fascination
des oiseaux destine ainsi le compositeur admiratif vers la mort, autre
voyage, sujet d’une partition ambitieuse. Avec « Et expecto resurrectionem mortuorum« ,
commandé par André Malraux, et révélé au grand public par Pierre Boulez
en 1966 dans le cadre de son Domaine musical, Messiaen délivre ses
réflexions sur les textes sacrés à propos de la mort, vécue comme une
délivrance et une libération bienheureuse. La vision du compositeur est
poétique et même lyrique. La partition est le fruit d’un homme
émerveillé qui a conservé sa vie durant, le sentiment de l’espérance.
Les cinq parties de l’ouvrage évoquent après la mort, les corps
glorieux ressuscités, les applaudissements des anges, les résonances
des étoiles… Voilà une musique qui tout en faisant appel à un
instrumentarium, d’un équilibre ciselé, pensé et mesuré (lugubres et
sombres bassons, tubas à l’évocation préliminaire des abysses) à des
citations calibrées et parfaitement symboliques (comme le chant de
l’oiseau brésilien, uirapuru, que tout homme entend selon la légende,
au moment de mourir), délivre le message du musicien, des profondeurs
inquiétantes vers la lumière du salut. En alchimiste des contrastes, en
peintre, (plus précisément en coloriste des timbres), Messiaen a bâti
une cathédrale musicale dont les effets, les lignes de forces et la
direction évoquent les puissantes compositions des vitraux: l’oeuvre
avait d’abord été créée à la Sainte-Chapelle en mai 1965 par Serge
Baudo, puis reprise en juin, en présence du Général de Gaulle, à
Notre-Dame de Paris. En définitive, Messiaen chante les béatitudes de
celui qui croit, qui voit, qui sait écouter les miracles de la
nature… Aucune surprise à ce que sa dernière grande oeuvre, créée
l’année de sa mort, en 1992, ne soit un opéra, lui qui fut depuis
l’enfance passionné par le théâtre, sur le thème de Saint-François. Le
moine, pauvre et démuni, mais riche de ses visions personnelles, ne
parlait-il pas, lui aussi, aux oiseaux? Aux auditeurs critiques qui lui
réprochèrent le raffinement et la richesse de l’orchestre, dans son
Saint-François d’Assise, le compositeur rétorquait non sans humour: « certes,
Saint-François est pauvre, mais il est riche des sons de la nature, du
chant des oiseaux, de la mer et du vent… Il a gardé ce sentiment
d’émerveillement conservé intact, depuis l’enfance »…
En évoquant sa vision de Saint-François, Messiaen parlait-il de lui-même?

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