Une mise en scène certes conventionnelle mais efficace. Stephen Wadsworth qui est en charge de la mise en scène réalise une scénographie vivante et sans temps morts. Les mouvements de foules sont parfaitement coordonnés et, dans ces moments là, la confusion mentale de Boris rongé de remords et empli de doute prend une dimension presque surnaturelle et la confrontation avec l’innocent qui se place dans ce contexte dramatique contribue à faire sombrer Boris un peu plus surement dans la folie; les moments d’intimités avec les enfants restent sobres et apportent un semblant de sérénité à Boris; quant aux scènes d’hallucinations elles sont poignantes et nerveusement intenses. Il faut bien reconnaitre que pour cette nouvelle production Stephen Wadsworth s’est vu adjoindre une équipe remarquable qui contribue avec un talent certain à la réussite de cette soirée très intense et émouvante.
Boris de haute volée
Une distribution de très haute volée emmenée par un René Pape en grande forme. Le moins que l’on puisse dire c’est que pour cette nouvelle production de Boris Godunov le Metropolitan Opera de New York a réuni une distribution exceptionnelle à commencer par l’excellent René Pape dans le rôle-titre. La basse allemande incarne un Boris réellement tourmenté par le remords et le doute et tout l’amour qu’il donne à ses deux enfants Xénia et Fédor ne peut le détacher du sentiment de culpabilité qui le hante depuis le meurtre du tsarévitch Dimitri? Cette obsession le mène droit vers la folie; René Pape, ne tremble pas une seconde face aux piques d’une partition pas forcément très longue mais d’une intensité émotionnelle et nerveuse très forte; il fait montre d’un jeu de scène remarquable et nous ne voyons pas un artiste qui joue un personnage mais bien un tsar halluciné, miné par un flot de sentiments contradictoires d’une telle puissance qu’ils le mènent inexorablement vers une mort sombre et solitaire. Si Ekaterina Semenchuk, qui est dotée d’une très belle voix de mezzo incarne une Marina convaincante, nous regrettons de la voir si peu impliquée scéniquement comme si elle se préoccupait seulement de bien placer chaque note; du coup sa Marina apparait encore plus froide qu’elle ne l’est et l’ambitieuse princesse ne réussit jamais vraiment à s’affirmer. En revanche Aleksandrs Antonenko campe un Dimitri vocalement convaincant, scéniquement crédible et qui donne de très belles choses à voir et à entendre pendant toute la soirée et quel contraste avec la belle Marina quand les deux jeunes gens sont enfin en présence; la confrontation tourne d’ailleurs à l’avantage de Antonenko. C’est le Shuisky de Oleg Balashov qui semble perdre pied face à ses partenaires; la voix est certes belle mais peut-être un peu courte pour une salle aussi grande que le Metropolitan Opera. Nous apprécions pleinement le Pimène de Mikhail Petrenko qui incarne avec talent le moine ermite, mémoire vivante des évènements qui précèdent l’accession au pouvoir de Boris, et qui les rappelle avec calme mais détermination, à travers l’histoire de l’aveugle, comme pour achever le souverain déjà très affaibli par les hallucinations qui le poursuivent de plus en plus souvent. Evgeny Nikitin (Rangoni) et Vladimir Ognovenko (Varlaam) sont solides tant vocalement que scéniquement et ils complètent avec bonheur le septuor principal de ce Boris. Dans le cast des rôles secondaires, nous retenons la très belle performance de Alexey Markov qui campe un Schelkalov autoritaire et charismatique; la voix, ronde et chaleureuse passe avec une facilité étonnante la rampe de cette si grande salle; cependant les autres artistes ne déméritent absolument pas et contribuent avec talent à l’immense succès de la soirée. Le choeur du Metropolitan Opera de New York nous gratifie d’une très belle performance même si par moments les mouvements semblent plus mécaniques que spontanés; quant à Valery Gerghiev il dirige l’orchestre du Met avec une maîtrise parfaite et la cohésion entre la fosse et le plateau est totale durant toute la soirée.
C’est une réussite à tous points de vue. C’est donc une très belle soirée que nous avons passé en compagnie de ce Boris Godounov new yorkais largement dominé par un René Pape en grande forme tant vocalement que scéniquement. Nous ne pouvons qu’apprécier le fait que le Met ait réuni pour cette production un cast excellent, malgré les imperfections, et une équipe de mise en scène très inspirée. Souhaitons que le dvd sorte prochainement: il viendra enrichir une dvdgraphie déjà dominée par la production du Liceu de Barcelone avec la basse finnoise Matti Salminen dans le rôle-titre et l’excellente mise en scène de
New York. Metropolitan Opera, le 23 octobre 2010. Modest Moussorgski (1839 1881) : Boris Godounov, opéra en un prologue et quatre actes sur un livret du compositeur. Diffusion en direct. Poitiers, TAP; René Pape (Boris Godounov); Ekaterina Semenchuk (Marina); Aleksandrs Antonenko (Dimitri); Oleg Balashov (Shuisky); Evgeny Nikitin (Rangoni); Mikhail Petrenko (Pimène); Vladimir Ognovenko (Varlaam); Jennifer Zetlan (Xenia); Olga Savova (l’aubergiste); Larisa Schevchenko (la mourrice); Nicolai Gassiev (Missail); Valérian Ruminsky (Nikitich); Schelkalov (Alexey Markov); Gennadi Bezubenkov (officier de police); Andrei Popov (Simpleton); Dennis Peterson (Boyard Kruschov); Andrew Oakden (Lavitsky); choeur et orchestre du Métropolitan Opéra de New York; Valery Gergiev (Direction Musicale); Stephen Wadsworth (mise en scène); Ferdinand Wögerbauer (décors); Moidel Nickel (costumes); Duane Schuler (lumières); Apostolia Tsolaki (chorégraphie). Compte rendu rédigé par Hélène Biard