Décès. Pierre Boulez est mort, hier mardi 5 janvier 2016 à Baden Baden où il habitait. Né en mars 1925, le chef et compositeur avait têter ses 90 ans. Né à Montbrison en France, Pierre Boulez élève de Messiaen puis du sérialiste René Leibowitz en 1945, avant de revenir finalement en 1946 vers Messiaen, le jeune compositeur transcende l’énergie audacieuse de Beethoven mise au diapason des performances expressives du sérialisme (2ème Sonate pour piano de 1948 écrite à 23 ans). Le système, l’idée primordiale forment une nouvelle équation féconde pour laquelle Boulez réinvente un langage musical, qui faisant rupture totalement et définitivement, doit « faire cligner les oreilles ». Après avoir rédigé le limites du dodécaphonisme (confinat à un système sclérosant), comme nouvel apôtre de sa propre langue, le compositeur de tarde pas à s’imposer : l’esthétique boulézienne (où même le hasard est mis sous contrôle) devient réseau, institution, dogme à mesure que la personnalité médiatique (excellent communicant) etpolitique s’affirme d’abord à l’étranger (Harvard, Darmstadt puis en France avec la création de l’Ircam (fondée en 1969), auquel tout compositeur des années 1980, 1980 se doit de passer pour recevoir l’onction sacrée. En définitive, les contradictions du Boulez compositeur sont multiples : avec au coeur de sa recherche, la question centrale, comment concilier écriture et mise au propre c’est à dire achèvement d’une oeuvre, et la liberté permanente de sa conception ? A quel moment et selon quels critères, une oeuvre est-elle achevée ? L’idée musicale et sa concrétisation « par défaut » est au coeur de la forme et de la création boulézienne. Après sa mort, le temps de l’analyse se précise : les conclusions à venir sont prometteuses. Il est temps de repenser son héritage.
Interprète boulézien. Parmi les meilleurs interprètes actuels de Pierre Boulez, saluons l’intelligence sensible et précise du chef Daniel Kawka, fondateur de l’Ensemble orchestral contemporain et qui dépuis des décennies a interrogé l’oeuvre boulézienne. LIRE notre critique du cd Daniel Kawfa joue Dérive 1 et Dérive 2 de Pierre Boulez.
Le chef symphonique et lyrique. Aux côtés du compositeur, il ne faut pas omettre l’envergure géniale du chef d’orchestre ayant l’oreille absolue, possédant une direction claire, précise, métronomique. La clarté de son geste, son souci de transparence, l’équilibre de la sonorité, la lisibilité de l’architecture, la sensualité feutrée mais présente font la valeur des œuvres qu’il a dirigé et des compositeurs qu’il a su défendre : Stravinky et Bartok, Debussy et Ravel, sans omettre Mahler dont DG a publié pas à pas l’intégrale des symphonies (la dernière offrande discographique importante de Boulez). Chef lyrique plus rare, Pierre Boulez a néanmoins marqué les esprits : sa fameuse et légendaire Tétralogie à Bayreuth en 1976 : production pour le centenaire du festival wagnérien, conçue comme une fresque au capitalisme prolétarien critique avec le metteur en scène Patrice Chéreau ; plus récent, et comme son testament lyrique, l’opéra De la Maison des morts de Janacek (remonté à Aix en Provence en 2007), huit clos en forme de crépuscule lyrique d’une poésie noire et sombre dont Boulez a su exprimer jusqu’à la transparence et la vérité de l’intention (voir notre présentation et notre critique de la production aixoise diffusée alors sur Arte en juillet 2017).
LIRE aussi notre présentation du catalogue de l’exposition les 90 ans de Pierre Boulez (avril-juin 2015)
CD. Coffret Pierre Boulez : le domaine musical : 1956-1967 (10 cd Accord).
Pas encore trentenaire, Pierre Boulez (né en 1925) fonde et défend l’activité du Domaine musical pendant presque 12 années avec la ferveur d’un militant œuvrant pour le renouvellement salutaire de l’écriture musicale. Ce coffret de 10 cd en témoigne, en s’intitulant légitimement “Aventure” du domaine musical, de 1956 à 1967. Les Leçons de Messiaen, de Leibowitz sont déjà du passé : le compositeur qui a rencontré René Char dès 1947 a déjà écrit Visage nuptial, Le Soleil des eaux, Sonates pour piano, Livre pour Quatuor… a commencé alors la composition du Marteau sans maîtretoujours sur des poèmes de Char. Directeur musical de la Cie Renaud-Barrault, participant à l’école de Darmstadt, Boulez fait figure d’avant-gardiste radical, parfois ultra mais déterminé, tel un guerrier farouchement et passionnément défenseur de la création contemporaine. Le terreau sur lequel s’est développé une sensibilité aussi affûtée regroupe les compositeurs de la 2ème école de Vienne, les sérialistes eux-mêmes porteurs de la modernité du XXème siècle naissant : Berg, Webern, Schönberg, triade sacrée boulézienne que Paris s’entête à dénigrer par inculture, que Boulez imposera coûte que coûte, tel le manifeste de la nouvelle connaissance musicale.