D’une éloquence instrumentale toujours sensuelle et fluide, L’Arpeggiata renouvelle ses apports bienfaisants, réalisant comme aime à la dire Christina Pluhar, d’abord une action collective, celle d’une humanité de chanteurs et de musiciens. Pas le fait d’une chef imposant sa vision à ses équipes, mais un accomplissement où chacun tenant sa partie, est l’égal de toutes les sections agissantes. Ecoutez plutôt cette intensité à hauteur d’homme de l’Audi Coelum qui révèle le timbre sans maniérisme et d’une excellente articulation du ténor Jan Van Elsacker: c’est comme le défend (avec plus d’entrain et d’engagement certes) Marco Menconboni, une marche, une ardente procession de toutes les humanités ferventes, mais ici retenue avec une distinction quasi aristocratique… Ce Vespro regarderait-il plutôt du côté de l’Orfeo et des fastes princiers de Mantoue? D’autant que les effets d’échos rappellent manifestement le premier opéra du Maître, de trois années antérieur au Vespro.
Un Vespro aristocratique
Les uns regretteront ce port gracieux, joli, aimable; cette affectation profane du concert en chambre, qui atténue souvent l’envolée des accents fervents: le concerto Pulchra es, certes admirablement défendu par les deux vocalités ardentes et incarnées du duo féminin si attendri: Nurial/Andeuza … pour autant sommes nous (justement) réellement à l’église?
Les autres déjà séduits comme nous par ce raffinement naturel qu’apportent aujourd’hui Christina Pluhar et son collectif, reconnaîtront la pâte, ce rythme souvent dansant (légitime à l’église?) qui parcourt ces Vêpres (Laetatus sum). Et même cette aspiration à l’élévation de la Sonata Sopra Sancta Maria où l’on retrouve les deux mêmes sirènes, doublées, portées par un instrumentarium de rêve, sait tisser sa toile enchanteresse vers le plus haut des cieux…
En 1610, Monteverdi est à la charnière de sa carrière: déjà maître de son écriture, depuis Orfeo (1610) triomphalement créé à Mantoue, et pourtant affecté par la mort de sa femme et de la jeune chanteuse (qui était aussi sa pupille, logeant chez lui, Caterina Martinelli) qui devait créer le rôle titre de son Arianna… C’est aussi une époque de doute et de crise où le plus grand compositeur de son époque, mésestimé et mal payé par la Cour qui l’emploie, espère un nouveau poste, d’autres perspectives… à Rome auprès du Pape (voilà pourquoi le manuscrit des Vêpres est dédicacé à Paul V). Partition fleuve, monumentale, démonstrative, le Vespro sait exprimer une ardente prière celle d’un être exceptionnel. C’est peut-être cette part pleinement humaine et investie que nous révèle avec un brio indiscutable Christina Pluhar aujourd’hui. Il n’est guère de lecture et de travail interprétatif aussi captivant que celui que mène indéfectiblement L’Arpeggiata: ambassadrice de la vocalità dramatique, celle de l’opéra italien, la fondatrice et théorbiste nous enchante dans un programme qu’elle sert avec sincérité et vérité.
L’Arpeggiata interprète des Cantates de Luigi Rossi au festival de Saint-Denis 2011 (le 7 juillet, avec la soprano Raquel Andueza: programme « Luigi Rossi à la Cour d’Anne d’Autriche et de Mazarin », ou quand la France s’éduquait à l’aune du raffinement lyrique italien…)
Monteverdi: Vespro della Beata Vergine, 1610.Nuria Rial, Raquel Andueza, Miriam Allan, sopranos. Luciana Mancini, Pascal Bertin, contre-ténors.
Emiliano Gonzalez Toro, Markus Brutscher, Jan van Elsacker, Fernando Guimarães, ténors.Fulvio Bettini, Hubert Claessens, João Fernandes, basses. L’Arpeggiata. Christina Pluhar, direction.