Biographie. Etienne Nicolas Méhul (1763-1817). C’est le plus important compositeur d’opéras à l’époque de la Révolution et sous l’Empire. C’est aussi un tempérament symphonique d’une vitalité inouïe, proche d’un Beethoven, frénétique, orchestralement raffiné, d’une sanguinité inédite, au point d’avoir été appelé non sans raisons, et c’est bien cette appellation qui en définitive résume le mieux, sa valeur : le « Beethoven français ».
Compositeur du fameux Chant du départ (1794, sur un poème de Chénier), hymne patriotique à la destinée glorieuse, Méhul est le digne contemporain de Mozart, Haydn, Beethoven. Berlioz est son admirateur le plus zélé et le plus fervent qui voit en lui, le premier des Romantiques français; le premier à concevoir autant de soin à la mélodie, l’harmonie, les modulations, le rythme, l’instrumentation… comme « les diverses nuances de force dans l’émission du son ». A Paris, en 1779, dès ses 15 ans, Méhul tend à assimiler la leçon de son idole Gluck dont l’expressivité frénétique l’inspire particulièrement; il assiste à la création d’Iphigénie en Tauride, très impressionné. L’adolescent affine son écriture en adaptant des airs à la mode de Gossec, Rousseau, compose pour le pianoforte (excellemment). En 1786, Méhul rejoint la loge Olympique de la Parfaite Estime, constituée en 1782, pour laquelle l’année suivante, Haydn composa ses Symphonies parisiennes.
Encouragé par Gluck lui-même, le jeune Méhul écrit des opéras : Cora composé dès 1785, mais créé en 1791. Puis c’est en 1790 (salle Favart), le triomphe d’Euphrosine, sur le livret de son librettiste favori François-Benoît Hoffman. Son caractère sublime et nerveux (duo du II : Coradin/La Comtesse) atteint le dramatisme héroïque de Beethoven. Déjà Grétry, très admiratif, loue la puissance expressive et la très riche harmonie de l’orchestre de Méhul. Quant à Berlioz, il souligne le génie de Méhul pour l’effroi, la terreur sourde qui emporte l’action. Cora est un échec, Adrien (récemment ressuscité en juin 2012 à Budapest par l’excellent maestro Gyorgy Vashegyi) est annulé par la Commune de Paris pour raisons politiques (mars 1792). C’est Stratonice (Favart, Mai 1792) puis Mélidore et Phrosine (1794) qui confirme définitivement Méhul comme le créateur le plus inspiré de son époque : du nerf, du muscle, un tempérament impérieux mais de la sensibilité mordante et une écriture palpitante, – instrumentalement enivrante, qui se développe selon le sentiment et les vertiges du coeur.
Républicain déclaré, Méhul est nommé à l’Institut de France en 1795 avec ses pairs, Gossec et Grétry, tout en étant nommé aussi inspecteur du tout neuf Conservatoire à Paris. Le professeur y eut pour élève, Louis-Ferdinand Hérold. Estimé par Napoléon Ier, Méhul obtient, comme Fétis, le Premier Prix de Rome en 1807, avec la Cantate Ariane à Naxos (à quand sa redécouverte ?). Auparavant, Le musicien présente son opéra inspiré du modèle poétique de Napoléon, Ossian : UTHAL en 1806 (l’opéra sans violons, récemment recréé).
Ses derniers opéras, au début du XIXè à l’époque impériale sont moins estimés que ceux des années révolutionnaires 1790. Mais Joseph (1807) fit carrière en Allemagne et retint l’attention de Napoléon. Après l’échec de son ultime ouvrage, Les Amazones (1811), Méhul se retire à Pantin, dans sa maison, véritable serre pour ses fleurs préférées : « oeillets, renoncules, jacinthes, tulipes,… » selon le témoignage de son contemporain, l’estimé Cherubini.
SYMPHONIES et FORTUNE CRITIQUE. Outre des cantates et donc des mélodies pour les célébrations républicaines commandées pour beaucoup par Napoléon, Méhul développe aussi son écriture dans le genre orchestral, grâce à ses 5 Symphonies. Sans compter celle sans numéro datant de 1797, prélude au cycle symphonique, essentiellement composé sur 3 années entre 1808 et 1810. Les Symphonies de Méhul sont donc écrites exactement pendant l’époque impériale, offrant à l’idéal de grandeur napoléonienne, le souffle et l’énergie nécessaire. Toutes sont créées au Conservatoire dont il est membre fondateur et professeur.
Défricheur et fin esthète, Mendelssohn à la tête de l’orchestre du Gewandhaus de Leipzig ressuscite la Première Symphonie de 1808, en … 1838 puis 1846. Schumann subjugué par l’écriture de Méhul note des rapprochements sidérants avec la 5è de Beethoven : fougue nerveuse, élan guerrier du I, pizzicati percutants du III, surtout élan pulsionnel et grille rythmique et shéma mélodique incroyablement proches du dernier mouvement. La parenté entre les deux partitions est encore accrues par leur date de conception, la même année : 1808. La seconde Symphonie de Méhul ne déroge par à cette règle de proximité, conçue également en 1808? on peut y déceler des motifs et des séquences très proches du génie beethovénien, jusque dans la 9ème Symphonie. Beethoven connaissait les œuvres de Méhul (il emprunte les trompettes de Fidelio à Helena !).
Tout aussi soucieux de la forme et de son développement à travers chaque mouvement, l’esprit cartésien et synthétique de Méhul, le rapproche aussi de Haydn, celui des Symphonies parisiennes des années 1780, qu’il a pu écouter alors), comme de Mozart (n°40, 1788) : en cela le compositeur romantique français ne fait pas que répondre à une inclinaison liée à son exigence créative, il entend aussi le goût de son époque : car Mozart et Haydn sont alors très joués et applaudis en France au début du XIXè siècle. Pour le bicentenaire Méhul en 2017, il serait grand temps de lui consacrer enfin un cycle important œuvrant pour sa reconnaissance et une nouvelle estimation de son indiscutable génie romantique.
La cinquième symphonie demeure à l’état d’esquisses, Méhul étant diminué par les échecs vécus à la fin de sa vie et aussi la tuberculose : de fait, les Symphonies n°3 et 4 ne seront redécouvertes qu’en 1979 par le biographe zélé, David Charlton. Méhul est retombé dans l’oubli jusqu’à ce concert événement, à Rio de Janeiro, où Bruno Procopio ressuscitait le 7 octobre 2016, la grandeur et le nerf d’une partition étonnante et géniale : la Symphonie si beethovénienne et si originale que Méhul conçut en 1808. Prochain compte rendu critique et reportage vidéo de la Symphonie de Méhul par Bruno Procopio sur classiquenews.com.
_______________
discographie :
CD. Compte rendu critique. Méhul : Adrien (György Vashegyi, 2012. 2 cd Palazzetto Bru Zane). Le génie de Méhul enfin réhabilité ! D’abord proposé en téléchargement sur la toile, l’enregistrement d’Adrien nous revient sous une forme classique, en 2 cd et avec notice (courte) et livret (intégral). De quoi jugez sur pièce et repérer un nouveau jalon lyrique d’importance, entre classicisme et romantisme. A l’époque du Directoire, Adrien est bien un sommet lyrique dans le style gluckiste et frénétique : irrésistible. D’où, en dépit de quelques réserves (parmi les solistes), notre CLIC d’avril 2015. Les perles méconnues sont rares : en voici une, superbe qui éclaire mieux l’apport de Méhul au genre lyrique dans à la fin des années 1790, avant l’Empire.
Symphonies 3, 4 et 5 (Kapella 19, Juteau – CLIC de CLASSIQUENEWSI de février 2015). CD. Compte rendu critique. Méhul : Symphonies n°3,4,5 (Kapella 19, Eric Juteau). Méhul symphoniste ? On le croyait surtout dramaturge (et le mieux inspiré à l’époque révolutionnaire et napoléonienne en France). Un jeune orchestre sur instruments d’époque, né Outre-Rhin en 2009, Kapella 19, à l’initiative de son chef inspiré Eric Juteau, crée l’événement en embrasant le feu beethovénien et la finesse mozartienne (plage 6) des Symphonies 3, 4 et 5 (” inachevée” ) de celui qui aima, avant Berlioz, Gluck : Méhul. L’exact contemporain des Viennois Haydn et Beethoven gagne ici un éclairage imprévu, fort, particulièrement convaincant.
__________
LIRE AUSSI :
Annonce des concerts Jadin, Méhul par Bruno Procopio et Natalia Valentin (4 et 7 octobre 2016)
_______________
Actualités MEHUL en 2017 : pour le bicentenaire Méhul 2017, plusieurs sorties sont à suivre…
LIVRE : Le Fer et les Fleurs Étienne-Nicolas Méhul (1763-1817)
Suite à deux journées d’études vénitiennes tenues en juillet 2015, le Palazzetto Bru Zane publie en collaboration avec Actes Sud un ouvrage collectif qui présente pour la première fois de façon aussi détaillée les diverses facettes du compositeur. Editeur : ACTES SUD / PALAZZETTO BRU ZANE / À paraître en mars 2017.
CD : Uthal (1806)
Enregistré en juin 2015 (par Les Talens Lyriques), Uthal est enfin révélé par le disque et permet de découvrir cette orchestration sans violons dont parlèrent aussi bien Grétry que Berlioz. Chœur de Chambre de Namur / Les Talens Lyriques, avec Yann Beuron, Karine Deshayes, Jean-Sébastien Bou, Sébastien Droy, Philippe-Nicolas Martin. Collection «OPÉRA FRANÇAIS» / Paru en janvier 2017. LIRE notre critique complète UTHAL de Méhul
_____________
NPARIS, nouvelle production :
STRATONICE, recréée à Paris par la Compagnie Les Emportés : PARIS, 21 janvier – 21 février 2017...(Passage vers les étoiles). Alors que les sujets d’opéra-comique sont traditionnellement extraits de la vie quotidienne, Méhul introduit pour la première fois à l’Opéra-Comique une éloquence plus tragique avec Euphrosine et Coradin. Méhul y outrepasse le pathétisme des oeuvres de Dalayrac ou Monsigny créées à la fin de l’Ancien Régime. Puis, avec Stratonice, il acclimate le souffle nerveux et spectaculaire des Tragédies lyriques de Gluck,…
Méhul excelle dans l’expression des souffrances individuelles (air d’Antiochus « Insensé, je forme des souhaits », où il avoue avec tendresse son amour caché pour le belle héllène) et l’exposition simultanée des individualités désirantes (sublime quatuor où l’orchestre grâce à un contrepoint raffiné double chaque ambition croisée). Comédie héroïque, opéra-comique, Stratonice par ses couleurs émotionnelles nouvelles, où perce la vérité du sentiment, prépare directement au grand opéra romantique français, en particulier celui de Berlioz qui, admiratif de Méhul, s’enorgueillit de connaître Stratonice par coeur (chapitre XIII des Mémoires). La durée courte comme la construction resserrée du drame, ses registres poétiques entre sentiment (opéra-comique) et tragique (grand opéra) font sa réussite. La justesse des portraits individuels (le père qui renonce, en une vieillesse assombrie et réaliste), la souffrance préalable des deux jeunes gens amoureux, l’absence d’emphase comme la grande sincérité des confessions alternées, font un ouvrage prenant, d’une évidente teinte mélancolique. Comme le précise très justement le metteur en scène Benjamin Pintiaux à propos de la recherche de vérité psychologique : Stratonice est « un opéra sur la soumission, la succession et la vieillesse ; une pièce bâtie, enfin, sur la nécessité de la parole, de l’aveu et sur la difficulté de l’expression des sentiments. Ici, puisqu’en fouillant les âmes un hymen finalement se déclare, un roi se meurt. »