CD, événement. MEHUL : UTHAL, 1806. Bou, Beuron, 1 cd Palazzetto Bru Zane, mai 2015). En 1806, Méhul déploie une verve sanguine, tendue, virile à laquelle il est difficile de résister. Son Uthal s’inspire du pseudo poète celtique Ossian ; en réalité mystification littéraire propre au romantisme épris d’antiquité gaélique : Ossian est un faux Homère, exaltant la noblesse des guerriers écossais et celtiques. Echo de cette épopée du Barde du IIIè siècle, l’opéra en un acte renouvelle la palette sonore, l’éclat expressif de l’opéra romantique français. Le nerf et le muscle dont est emblématique Méhul à l’époque où à Vienne Beethoven produit ses meilleures partitions dont la réforme révolutionnaire du langage symphonique, s’affirme à nous dans le relief virile de son tempérament phénoménal. Révélé par Gluck à l’opéra, Méhul prolonge ce goût du théâtre, l’arc tendu des situations exacerbées qui en bien des aspects, rappellent le meilleur des « classiques baroques », Corneille et Racine. Fidèle à l’expressivité de Gluck, avant Spontini, grand vainqueur à l’opéra sous Napoléon, Méhul fixe déjà sous l’Empire, une première veine lyrique d’un souffle jamais vu avant lui.
Dès les premières mesures de l’ouverture, un sang vivace, trépidant, lugubre et grave (pas de violons, que des altos) s’empare de la scène sonore (mettant en avant surtout la formidable passion des cordes, relevée par les cors) : c’est de toute évidence une nouvelle sensibilité frénétique qui s’approche de Beethoven et annonce Weber (celui du Freitchutz). La tempête qui déchaine la fureur des instruments, annonce le Wagner du Vaisseau Fantôme. L’enregistrement restitue évidemment le format théâtral de l’opéra comique avec tous les dialogues ; un rien affectés et surexpressifs chez la mezzo Karine Deshayes. Mais son style ampoulé, « grande dame », sied mieux à sa dernière scène, où l’épouse malheureuse comme la fille déplorable, dit son impuissance et son acceptation du sang versé, et du deuil inévitable qui s’en suit. Ce shématisme carré, finalement peu nuancé, nous éloigne d’une incarnation captivante ; car enfin, si l’opéra s’intitule Uthal, c’est au final, le choix de Malvina, entre son père et son époux, qui fait le noeud dramatique de l’ouvrage. Le choix exprimé de Malvina dans la dernière scène en est le but ultime et la révélation qui satisfait l’attente des spectateurs. Le timbre est certes cuivré, rond, mais le style trahit une actrice qui manque d’équilibre, de simplicité ; la mezzo surjoue : dommage. Pourtant le personnage est la clé de l’oeuvre : le personnage est particulièrement fouillé et ambivalent : il égale une Médée ou une Norma. Elle en qui s’affrontent les désirs de l’épouse et de la fille, âme tiraillée, si tendre pour son père, admiratrice pour son époux (qui donc à ravi le trône à Larmor), reste linéaire dans ses déplorations intimes (scène 3 : « quoi! ce combat affreux est donc inévitable »). Quand il faut adoucir la passion guerrière, si forte et véhémente depuis le début, quand la harpe celtique (claire référence à la légende d’Ossian), porte la prière à la paix des bardes vénérables (trio des bardes sur leur rocher), si la voix des hommes s’accordent, la mezzo peine à convaincre : intelligibilité absente (on ne comprend strictement rien à ce qu’elle dit sur le choeur des hommes d’où elle se détache). On a l’impression à chacune de ses interventions qu’il s’agit de démontrer plutôt que de ressentir, d’expliquer plutôt que d’exprimer. Voilà qui rend artificiel la réalisation et imprime à ce Méhul, un ton de cantate pour le Prix de Rome.
D’emblée dès son premier air, le Larmor, père trahi, éprouvé, roi viré, humilié, du baryton Jean-Sébastien Bou convainc a contrario par sa maîtrise exceptionnelle de l’articulation et de l’intelligibilité (ses dialogues et ses récits parlés restent naturels : la hargne nerveuse du chef outragé (qui a suscité l’appui des Morven), rageuse, virile s’affirme par une tension intelligemment gérée.
Les scènes avec chœurs (grâce à l’excellent choeur de chambre de Namur) éblouissent par leur couleur fantastique et héroïque (premier choeur qui conclut la scène 1 : « « le grand Fingal » avec Bardes et guerriers dont la noblesse nerveuse et guerrière rappellent le Thésée de Gossec, que le chœur a précédemment et magnifiquement ressuscité). Le second choeur, nerveux, fantastique, traversé par des éclairs (« vers le palais »), gorgé de la rage de la vengeance saisit par sa coupe électrique. Le Ullin de Sébastien Droy déçoit par ce voile sur la voix qui atténue constamment la clarté et l’intensité de l’émission.
NOBLE ET TENDRE UTHAL… Assimilé au monde sylvestre, en proie aux tourments de l’âme : Uthal paraît en quête de son épouse ; le génie romantique de Méhul est d’associer aux vertiges émotionnels du héros, le souffle des éléments. L’analogie est propre à l’époque : Beethoven fait de même. Le timbre très musical, admirablement couvert du ténor Yann Beuron affirme une noblesse naturelle et flexible qui dévoile le cœur de l’homme tendre. Voilà un saisissant contraste : le portrait du solitaire sympathique est totalement contredit par le premier tableau de Larmor et sa fille dans le regard desquels Uthal faisait figure de traître, fils et mari ingrat. Or ici, c’est bien l’émotion, l’affection, l’amour d’un époux trahi qui inspire son air « tel que l’on voit sur nos montagnes ». C’est Byron incompris, ou Faust solitaire : l’Uthal de Méhul ne pouvait pas trouver meilleur interprète. Le goût du texte, l’intelligence dramatique font une très belle prise de rôle.
Puis, dans leur confrontation suivante, le rythme du duo Malvina / Uthal a la noblesse des tragédies de Racine : c’est bien là la réussite de l’opéra de Méhul. Associer le moralisme vertueux des héros raciniens, et la couleur romantique des sentiments nouveaux. Le pathétique de Uthal se révèle dans un orchestre fabuleusement conteur ; ce sont les instruments qui inscrivent la richesse et la poésie des paysages, paysages réels, tempêtes et forêts, mais aussi paysages intérieurs où les émotions des héros trouvent écho dans le déchaînement ou la magie des éléments; tout concourt à la scène de l’affrontement entre les deux hommes, piliers dans la vie de Malvina, son père contre son époux (scènes 6 et 7 : noyau dramatique, centre émotionnel de l’opéra).
La situation dans sa grandeur héroïque et sa charge tragique convoque bien des tableaux de David : un néo classicisme où la prière féminine implore les glaives haineux « mon père est opprimé, mon père est coupable ». Mais le choix de Malvina est fait au terme de ces deux scènes en style parlé.
Méhul excelle dans l’expression du nerf des guerriers avides ; son orchestre et ses choeurs chantent avec une acuité inédite, la couleur et les accents de la barbarie sanguinaire (choeur Larmor / bardes et Guerriers : fin de la scène 7, « les combats sont nos fêtes »). On comprend ici que l’auteur fut aux temps révolutionnaires, un formidable compositeur, livrant les musiques des célébrations de la nouvelle République. D’ailleurs, la vision est d’autant plus forte, que la bataille entre les deux rivaux est restitués par la voix de Malvina qui exhorte son père à raconter le déchaînement des deux armées, et le duel entre le père et l’époux.
Peintre de l’ardeur, d’une sauvagerie inédite alors, Méhul sait aussi ciseler le chant des Bardes (chant de leur chef, scène 8) : vraie réflexion sur la couleur celtique et la mise en musique des légendes d’Ossian, dont Bonaparte avait fait son livre de chevet.
EFFICACITÉ NERVEUSE DE MEHUL… Nous tenons là un opéra efficace, nerveux, ciselé comme un bas relief antique. Exacerbé et tragique dans ce développement et son déroulement dramatique, finalement lumineux dans son dénouement, – inspiré par la clémence des princes des Lumières, loués dans les opéras seria de la fin du XVIIIè. En plus de la loyauté de la fille, c’est aussi la clémence et le pardon du père qui sont ici magnifiquement exprimés. La révélation est totale : Méhul, si admiré comme Gluck par Berlioz, s’impose par un génie dramatique percutant, frénétique, efficace (la nervosité trépidante de l’orchestre y contribue aussi continument). L’ouvrage méritait bien cet enregistrement.
En 2017, bicentenaire de la mort de Méhul, des nombreuses célébrations sont annoncées. Mais déjà en octobre 2016, le chef franco-brésilien Bruno Procopio savait ressusciter à Rio de Janeiro, lors d’un festival français mémorable, la tension électrique du Méhul symphoniste : pilotant l’Orchestre Symphonique du Brésil, Bruno Procopio révélait la tension guerrière, la frénésie éruptive de la Symphonie n°1, contemporaine de la Cinquième de Beethoven. Méhul digne contemporain de Beethoven : la démonstration était faite. VOIR les extraits de la Symphonie n°1 de Méhul par Bruno Procpio et l’OSB – Orchestre symphonique du Brésil, Rio de Janeiro, octobre 2016. CLIC de CLASSIQUENEWS, « découverte », de janvier 2017.
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CD, événement. MEHUL : UTHAL, 1806. Jean-Sébastien Bou (Larmor), Yann Beuron (Uthal), Karine Deshayes (Malvina),
Sébastien Droy, Ullin
Philippe-Nicolas Martin, Le Chef des Bardes, Troisième Barde
Reinoud Van Mechelen, Premier Barde
Artavazd Sargsyan, Deuxième Barde
Jacques-Greg Belobo, Quatrième Barde
Chœur de Chambre de Namur
Les Talens Lyriques. Christophe Rousset, direction
1 cd Ediciones singulares / Palazzetto Bru Zane, collection « Opéra français / French opéra » — Enregistré à Versailles en mai 2015. Edition limitée à 3500 exemplaires. CLIC de CLASSIQUENEWS « recréation », de janvier 2017.
LIRE aussi notre présentation de l’opéra UTHAL de Méhul
http://www.classiquenews.com/uthal-de-mehul-recree-a-versailles/