jeudi 8 mai 2025

Mascagni/Monleone: l’affaire Cavalliera Rusticana

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Cavalliera Rusticana
de Mascagni et de Monleone

Le 23 juillet 2001, le festival de Radio France et Montpellier programmait le chef d’oeuvre de Pietro Mascagni suivi de l’ouvrage éponyme signé de Monleone. Retour sur une soirée mémorable qui venait à poing nommé éclaircir une « affaire » scandaleuse. Défendu par son éditeur, Cavalliera Rusticana de Mascagni, au triomphal immédiat, fit de l’ombre à l’ouvrage suivant signé par Monleone.

Un opéra et sa copie interdite

En ouverture de son cycle lyrique le 16 juillet 2001, le festival de Radio France et Montpellier a programmé un enchaînement sulfureux : deux partitions « Cavalleria rusticana » écrites par deux compositeurs différents, inspirées de la même œuvre littéraire du poète Verga, « Vie des champs », et dont la ressemblance fit l’objet d’un procès à l’époque.

Mettre en perspective un sujet traité selon les éclairages musicaux qu’il a suscités, est digne d’intérêt. Quel festival aujourd’hui interroge la signification d’un mythe à travers ses différentes adaptations ? Pouvons-nous rêver de voir un jour un cycle dédié au seul sujet d’Orphée et d’assister en conséquence, aux ouvrages de Monteverdi, Gluck, Offenbach… ? Un tel projet riche en découvertes nées des confrontations mériterait d’être approfondi et souhaitons qu’un directeur artistique le développe totalement. Revenons au programme du concert de Montpellier.

Si le premier volet était signé de l’illustre inconnu Domenico Monleone, la seconde partie du programme affichait l’exceptionnel chef d’œuvre de Pietro Mascagni. Ainsi les fidèles du festival retrouvaient cette alliance emblématique, du connu indiscutable et de la nouveauté la plus séditieuse puisque l’ouvrage de Monleone demeurait « interdite » après un procès à rebondissement intenté contre son auteur.

Cavalleria Rusticana de Mascagni, créée en 1890, est une œuvre majeure de l’histoire de l’opéra italien. Elle renouvelle le genre en redonnant à l’opéra « son rôle officiel de spectacle populaire », comme le souligne Guido Salvatti. Une intrigue tragique, simple et puissante ; des personnages tirés de la rue – ici, de la campagne sicilienne, particulièrement caractérisés, captivent une audience conquise par un drame nouveau dont la vérité égale la force émotive.
L’opéra souligne le rôle central de l’amoureuse Santuzza, rejetée par Turiddu qui lui préfère Lola, laquelle est mariée à Alfio. Ce quatuor circonscrit une arène sanglante, celle d’une femme blessée, maudite par son amour refusé, qui se venge en faisant tuer par duel l’homme qui l’a bafouée. Mascagni, à peine âgé de 26 ans, puise dans la nouvelle de Verga (publiée en 1880 dans le recueil « Vie des champ »), un authentique chef d’œuvre : rien ne dilue la lente et progressive tension menant au duel final. Ni la puissance des évocations de l’orchestre qui peignent les miroitements du paysage de la campagne sicilienne, le soir ou au lever du soleil ; ni chacun des airs des solistes, véritables tours de force exprimant le désarroi et la violence des passions les plus profondes. Le chœur tout aussi présent dessine aussi une trame continue : les scènes collectives aux champs ou à l’église insistent davantage sur la vérité de cet opéra paysan. La Nature, l’humanité se mêlent ici avec lyrisme et poésie. Avec cette œuvre capitale, Mascagni devait marquer une colonie de compositeurs : Leoncavallo, Cilea, Giordano et même Puccini, tous inspirés par le modèle mélodramatique fixé par Cavalleria Rusticana.

L’opéra de Monleone
Dans cette vague montante s’inscrit la figure de Domenico Monleone, chef d’orchestre comme son père et compositeur. En hommage à l’ouvrage de son aîné Mascagni, il décide de reprendre le sujet de la Cavalleria, et en accord avec le poète Verga, crée sur un livret de son frère Giovanni, 17 ans après la première version, sa « lecture » du sujet lors d’un concert retentissant à Amsterdam, le 7 février 1907. Le succès est immédiat. Mais l’éditeur de Mascagni, Sonzogno, surpris par l’accueil unanime de l’opéra de Monleone, intente un procès contre les frères Monleone et contre Verga lui-même pour « violation des droits d’auteur et plagiat ». Abusive motivation qui prêterait à sourire si l’histoire n’avait pas pesé au final en défaveur des auteurs Monleone. Le tribunal de Milan donnait en effet raison à Sonzogno et faisait interdire l’ouvrage, le 23 décembre 1907, soit presque 8 mois seulement après la création de l’œuvre.

Voici donc planté le contexte de notre concert du 16 juillet. D’un côté un chef d’œuvre incontestable et « préservé » ; de l’autre, son double refusé, « interdit ». Rendons hommage au courage de René Koering, directeur artistique du festival, jamais en reste de pertinence facétieuse. Il est juste de rétablir une œuvre, fut-elle « interdite ». Programmer la Cavalleria Rusticana de Monleone pose aujourd’hui une question capitale : peut-on encore accepter l’idée d’interdire une œuvre ? A elle ensuite de s’imposer auprès de publics en fonction de ses qualités musicales intrinsèques.
Fidèle à ses choix artistiques, le festival confirme sa volonté de découverte. Il semble même mener un procès contre tous les procès instruits par la petite histoire juridico-financière, et rendre à l’art sa liberté. Cette entreprise est menée avec un succès chaque année confirmé puisque la Cavalleria Rusticana de Monleone fait suite à un cycle à présent important d’exhumations exemplaires : citons, entre autres, Macbeth d’Ernest Bloch, Le livre de la jungle de Charles Koechlin, Parisina de Pietro Mascagni, Cassandra de Vittorio Gnecchi. N’omettons pas non plus, les « révélations » du cru 2001 qui succèderont à la Cavalleria de Monleone : Risurrezione de Franco Alfano (le 23 juillet) et Notre-Dame de Paris de Franz Schmidt (d’après Victor Hugo), le 31 juillet. (Lire notre calendrier en fin d’article).

Les interprètes du 16 juillet 2001

Le concert du 16 juillet dernier donné en version non scénique dans le vaste Opéra Berlioz-Le Corum de Montpellier remontait le concert inaugural du 5 février 1907, mais ici dans un ordre inversé : Monleone d’abord, Mascagni ensuite. Conduits par le chef Friedemann Layer, l’orchestre national de Montpellier Languedoc-Roussillon, le chœur de la radio Lettone ont exprimé la force évocatoire des deux partitions : les sublimes pages instrumentales des paysages sonores (la « nuit de printemps » ouvrant l’œuvre de Monleone, les « interludes » pour orchestre seul chez Mascagni) ont souligné la violence lyrique des deux compositeurs.
Bien sûr, l’histoire de la musique n’en sera pas modifiée et le chef d’oeuvre de Mascagni restera un indiscutable artistique par ses mille fulgurances lyriques, poétiques, passionnelles. La structure dramatique, l’ordre des tableaux musicaux, la confrontation des caractères vocaux subliment une intrigue au demeurant peu originale. Le style de Mascagni fait toute la différence. Mais la « relecture » de Monleone n’en paraît pas pour autant insignifiante, loin de là. L’opéra en un prologue et un acte dont la durée n’excède pas 50 minutes, (plus court que l’œuvre de Mascagni), surprend par sa violence sauvage, la fureur de certaines scènes. Le mérite revient principalement au plateau des solistes qui chez Monleone comme chez Mascagni ont donné une leçon d’équipe. Le chant vériste en sort gagnant. Le ténor slovène Janez Lotric qui connaissait déjà le rôle de Turiddu pour l’avoir interprété à Salzbourg n’a pas manqué de vaillance ni de sensibilité en particulier dans l’ultime scène du Mascagni (air « Mamma, quel vino è generoso… »), l’Alfio de Jean-Philippe Lafont était noble et la soprano Denia Mazzola-Gavazzeni a touché son auditoire (lire plus haut).

Discographie

La collection du festival Radio-France et Montpellier éditée au disque chez Actes Sud.
Disponibles à ce jour : Macbeth de Ernest Bloch (Live 26 juillet 1997), Le livre de la Jungle de Charles Koechlin (live 22 juillet 1998), Parisina de Pietro Mascagni (live 22 juillet 1999), Cassandra de Vittorio Gnecchi (live 13 juillet 2000, éditions Agora).
Annoncé en septembre 2001 : Elektra de Richard Strauss (live 3 août 1995 avec Hildegard Behrens), Les exilés de Sibérie de Gaetano Donizetti (live 12 juillet 1999), La Finta Giardiniera de Wolfgang Amadeus Mozart (live 17 juillet 1995).

Les opéras au programme du Festival 2001

Le 23 juillet : Rissurezione (1902-1903) de Franco Alfano
Le 24 juillet : Li Zite’n galera (1722) de Leonardo Vinci
Le 31 juillet : Notre-Dame de Paris (1902-1904) de Franz Schmidt

Illustrations

Pietro Mascagni (DR)
Domenico Monleone (DR)

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