samedi 14 juin 2025

Maria Cecilia Bartoli (1 dvd Decca)

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Maria, Cecilia Bartoli
Voici assurément l’aboutissement d’un projet musical parmi les plus réussis dans la carrière déjà riche de la mezzo contemporaine Cecilia Bartoli. « Maria« , que l’on connaissait sous sa forme audio grâce à un formidable album discographique décliné en plusieurs versions (normale, éditor, « de luxe », édité chez Decca en septembre 2007), revient par l’image. Ce dvd complète l’enregistrement pour le disque, en offrant les images de la tournée des récitals que la cantatrice romaine a réalisée depuis septembre 2007 et jusqu’au 24 mars 2008, jour anniversaire de la naissance de Maria Malibran, née à Paris. Etape essentielle de sa tournée, la concert parisien donné à Paris, Salle Pleyel, (en fait la journée exceptionnelle « Maria Malibran », le 24 mars 2008) couronne un long cheminement musical. Plus qu’un hommage, c’est une consécration et la preuve d’une maturité éclatante.

Comme nous vous l’avions dit pour son album discographique, jamais Cecilia Bartoli n’a si bien chanté. Aux qualités d’implication dramatique, de facilité et de justesse vocale, de prouesse techniques, l’interprète quadragénaire ajoute ce supplément si rare: le coeur et l’âme.
Dans le concert de Barcelone (octobre 2007), réalisé pendant sa tournée européenne, où elle chante une sélection des airs enregistrés pour le disque, la mezzo Bartoli captive moins par bravoure que par vérité. La subtilité d’émission, la complicité aussi avec les instrumentistes de La Scintilla opèrent une sublimation du chant. Aucune vistuosité gratuite, pas l’ombre d’une acrobatie artificielle: tout ici, est suprêmement dit, ciselé, articulé sur le souffle de la voix. Soulignons d’ailleurs, combien dans le souci d’équilibre et de fusion voix/orchestre, la disposition de la cantatrice, placée au coeur de l’orchestre, sur un podium, tel un instrument soliste porte ses fruits. Dans nos entretiens vidéo avec Cecilia Bartoli, la mezzo romaine avait précisé ce qui lui importait beaucoup à présent dans chacune de ses performances scéniques, théâtrales ou en récital, l’équilibre chambriste entre chant et orchestre. La voix est ici traitée en instrument supersoliste. La démonstration de ce pari réussi nous est offerte à Barcelone. Ajoutons d’ailleurs que cette configuration de la diva, dans sa robe rouge géranium, brodée comme la parure d’une princesse, lui donne des airs d’automate magicienne: sur son estrade centrale, la diva, nouvelle Olympia plus vraie que la vérité, n’en finit pas de nous séduire, déployant sans compter, l’art indicible de son chant miraculeux.

Instinct tragique, profondeur tendre, ivresse et énergie irrépressibles, la palette émotionnelle est vaste, et toujours maîtrisé, constamment ouvragée, avec le style et cette nuance nouvelle et subtile, la délicatesse. En fidèle admiratrice de Maria Malibran, Bartoli chante son répertoire. En particulier les rôles centraux de Rossini, surtout Desdemona. Et aussi Bellini, dont un air de la Sonnambula, où d’un désespoir mélancolique et solitaire, de caractère lunaire, le chant change de registre pour s’envoler sur les crêtes de la jubilation amoureuse la plus jubilatoire. Etonnante échelle des sentiments, qui voisinent aussi avec la pure vocalità, libérée, opulente, dégainant ses perles vocalisés, tels les deux airs de Hummel (chant rustique tyrolien) et le pétaradant Rataplan (chanté en français, le chant juvénil d’un tambour à la guerre nous touche par son ardeur et sa franchise) et composé par La Malibran soi-même! Réentendre même La Bartoli dans l’air de Cendrillon « Nacqui all’affanno… Non più mesta », reste tout autant un moment de grâce accomplie. Et pour le public catalan, l’artiste fine et complice, conclue avec l’air écrit par son père Manuel Garcia, en espagnol « Yo que soy contrabandista« , hymne enflammé qui porte tous les hispanismes flamenco les plus ardents, pour lequel Cecilia Bartoli s’est assuré le concours du guitariste Daniel Casares.

Dans le dvd 2, le documentaire signé Michael Sturminger ne cache rien de l’approche musicologique qui sous-tend l’hommage de Cecilia Bartoli à Maria Malibran. Pour connaître la diva romantique, diva des divas, première « star » du lyrique, figure adulée à son époque par des foules en liesse, la cantatrice mène une longue enquête, visitant les lieux qu’a connu Maria, rerouvant ses objets et accessoires de scène (qui forme aujourd’hui sa collection personnelle)… Ce long métrage remarquablement écrit, offre un complément jubilatoire au récital barcelonais. Du travail, de la recherche, et au bout de l’approche, cette finesse bouleversante qui porte aujourd’hui au sommet, l’une des divas contemporaines les plus captivantes de l’heure. Bravissima!

« Maria, Cecilia Bartoli« . 2 dvd Decca. Dvd 1: « The Barcelona concert ». Orchestre La Scintilla. Premier violon et direction: Ada Pesch (1h19mn)

Point historique. Maria Malibran est née le 24 mars 1808 à Paris, au 3, de la rue de Condé. Fille du célébrissime ténor Manuel Garcia (en fait baryténor car il était capable de chanter Almaviva du Barbier de Rossini, comme Don Giovanni de Mozart) et de la cantatrice Joaquina Sitches, Maria adopte avec passion l’art vocal qui est l’affaire de la famille. Même le frère de la chanteuse, Manuel (1805-1906) sera et professeur réputé et baryton estimé. Quant à sa soeur, la non moins célèbre Pauline (future Viardot) (1821-1910), elle s’imposera avec éclat comme interprète de Mozart entre autres, sur la scène parisienne. Formé à la dure par son père, Maria débute à Paris, dès 1824, dans le Barbier de Rossini et le Crociato in Egitto de Meyerbeer. En 1825, elle épouse à New York, son époux Malibran, négociateur plus âgé qu’elle… Mais le couple bat de l’aile et en femme libre et émancipée, Maria rejoint Paris où dès 1828, à 20 ans, elle devient la reine du Théâtre Italien. Henri Decaisne le portraiture en Desdémone (Otello de Rossini), un rôle qui lui assure un triomphe sans égal, la jeune artiste qui ne tarde pas à s’engager aux côtés des révolutionnaires pendant les événements de 1830. En plus de bien chanter, Maria est une actrice exceptionnelle dont les excès choquent Mérimée et Delacroix. Sa tessiture embrasse 3 octaves, car elle est à la fois, soprano et même alto. A Venise, elle permet au Théâtre qui porte aujourd’hui son nom, de se relever de la faillite: tous ses récitals sont donnés à guichets fermés. Phénomène atypique de la scène, torche vivante, Maria Malibran s’éteint à la suite d’une chute de cheval, à Manchester, le 23 septembre 1836. Elle n’a que 28 ans: le mythe fait place à la carrière fulgurante d’une chanteuse actrice, morte trop tôt.

Illustration: Maria Malibran (DR)

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