vendredi 29 mars 2024

Lully: Atys, 1676. Le livret de Philippe Quinault Aspects d’une partition géniale…

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Philippe Quinault
Atys
, 1676


Aspects d’Atys, l’opéra du Roi

Le dramaturge qui fut plus applaudi et mieux payé que Corneille et Racine demeure injustement méconnu… pourtant, depuis ce fameux Atys de 1986 ressuscité par Christie et Villégier à Paris, un regain d’intérêt s’est manifesté pour la musique de Lully. Aujourd’hui, l’attention se porte sur un autre aspect de la réussite éclatante des opéras à l’époque de Louis XIV, celle de la langue, magistralement articulée pour la déclamation et le chant, celle que Philippe Quinault, librettiste familier du surintendant de la musique à la Cour du Roi Soleil, a su ciseler ouvrage après ouvrage, grâce à sa longue collaboration avec Lully.
Au moment où Hugo Reyne, directeur musical de La Simphonie du Marais reprend la tragédie lyrique, Atys dans le cadre du Festival Musiques à La Chabotterie 2009 en Vendée (2 soirées incontournables les 11 et 12 juillet 2009), classiquenews.com se penche sur les aspects méconnus de l’écriture de Philippe Quinault, particulièrement maîtrisés dans Atys
La perfection poétique, son adéquation à la mise en musique, du livret d’Atys impose le génie d’un Quinault, habile versificateur qui sut donner et du sens et du chant. Il donne aux opéras de Lully, dans un contexte de pure propagande et de complaisance au pouvoir (chaque prologue sait célébrer les vertus morales et guerrières du plus grand des héros, soit Louis XIV lui-même), ce supplément d’âme qui fait la force toujours actuelle des ouvrages de Lully.


Equilibre racinien

Aujourd’hui Atys (1676) représente une manière de modèle et de première perfection du drame lyrique français: beauté unique et singulière des vers, concision et force de la construction dramatique, équilibre rare entre célébration politique et action mythologique… Rarement Lully et Quinault se sont entendus et associés dans la réalisation d’un pur chef-d’oeuvre du premier baroque français.
Créé pendant la résidence de la Cour à Saint-Germain, -comme Thésée-, le 10 janvier 1676, Atys connaît un succès immédiat, confirmé lors de sa reprise en mai 1677 pour la réouverture de l’Académie Royale à Paris: l’opéra tient l’affiche pendant 1 an, jusqu’à Pâques 1678. Incroyable succès. Après les prémices esthétiques de Thésée, la Cour de Louis le Grand avait trouvé, enfin, l’opéra digne de ses désirs, fantasmes et ambition esthétique autant que politique.

Le sommeil (d’Atys, visité par l’amoureuse Cybèle, à l’acte III) a saisi les imaginations: résonances « assoupissantes » et irrésistibles qu’admira Madame de Sévigné si critique, et plus encline à préférer Alceste des mêmes Lully et Quinault. Après quelques modifications portées après les premières représentations et voulues par Louis XIV soi même afin de renforcer la place du divertissement dans l’ouvrage, Atys fut très vite nommé « l’opéra du Roi« . A ce titre, il est légitime de considérer la partition comme l’aboutissement de la réponse des auteurs aux voeux de leur royal patron, lequel, quand Atys disparaît de la scène, soit vers 1678, se désintéresse de façon croissante de l’opéra et des drames en musique, sous l’influence de sa seconde épouse, la pieuse et ascétique, Madame de Maintenon…
Sur le plan dramatique, Quinault fait trop peu de concession au décoratif de son époque, afin de se concentrer sur la violence saisissante des caractères. En cela, Atys fait figure d’opéra le plus racinien de Quinault dont la « barbarie » heurtera certaines âmes sensibles au XVIIIè (La Harpe) quand Voltaire de son côté, dans son éloge du Siècle de Louis XIV, évoque la « charmante tragédie d’Atys » (!).
Pourtant, avec le recul, Atys offre un équilibre idéal entre les différents éléments qui composent un opéra Louislequatorzien: association subtile entre accents héroïques, comiques, complaisants, poétiques et expressifs. Du prologue à l’obligation des danses et des divertissements, de la nécessité réclamée et attendue par le parterre, des scènes féeriques et surnaturelles aux scènes d’alanguissement sentimental, les auteurs avaient fort à faire.


Sources d’Atys

Quinault puise chez Ovide (Métamorphoses), les sources de l’action d’Attis, comme il le fera souvent pour ses autres tragédies lullystes, exception faite d’Alceste, inspiré d’Euripide.
Sangaride provient des vers de Pausanias (Fastes) lequel offre une autre version de la légende: Sangar/ide (fille du dieu fluvial Sangarios) y convole avec l’hermaphrodite Agdistis (dont le membre émasculé est remplacé par un amandier) et plaçant une amande sur son sein, enfante les Attis…
Quinault joue des sources antiques et mêle voeu de chasteté imposé par Cybèle à son jeune aimé Atys, et amour libre entre ce même Atys et la nymphe Sangaride/Sangaris… Pour se venger d’avoir été trompée, Cybèle tue Sangaride et frappe Atys de folie… lequel s’émascule: image terrifiante qui insiste davantage sur sa faute première. Au coeur du mythe, s’affirme la force du voeu d’amour, voeu trompé, source des puissantes possessions et des déferlements émotionnels. Quinault va plus loin encore ou actualise le mythe: c’est Atys lui-même, possédé par la folie produite par Cybèle déchainée, qui tue Sangaride, pensant voir en elle, une bête féroce. C’est aspect introduit un autre élément, aux côtés de la sauvagerie conquérante de l’amour, la tempête non moins irrésistible de l’aveuglement qu’il produit.
Comme Racine, Quinault invente les rôles des confesseurs: personnages fidèles qui confessent les héros et permettent aux spectateurs de mieux comprendre calculs, intentions, ressentiments des protagonistes. Ainsi Quinault invente le rôle de Célénus: confident mais aussi force qui appelle une réaction, Célénus est ce roi dont le royaume accueille l’action. S’il dit vouloir épouser Sangaride, c’est pour susciter de la part de cette dernière une scène magistrale où elle se répand auprès d’Atys en un duo amoureux, également très réussi.
Fort de ses livrets précédents: Cadmus, Alcide, Thésée, Quinault invente un nouveau type de héros radical et maudit: le berger n’est d’ailleurs pas un conquérant. Il ne peut se vanter d’aucun fait d’arme ni de bravoure. Seulement possédé par l’amour pour Sangaride, ayant pourtant fait le voeu de chasteté (à Cybèle qui ne peut s’empêcher d’éprouver pour lui un désir coupable, comme c’est le cas de Diane pour Endymion), Atys incarne un personnage tragique par excellence. Son ampleur poétique en quasi monopole, ne souffre aucun élément comique. Son cas est d’autant plus fascinant qu’il n’a laissé après lui aucun avatar.

Atys décide de tromper son ami Célénus pour ne se consacrer qu’à son amour pour Sangaride; pourtant Cybèle tente un dernier coup, en paraissant dans son sommeil afin de lui rappeler son voeu de chasteté… Quinault sait ficeler toutes les scènes de l’action à la folie exclusive et amoureuse d’Atys: ni Idas ni Doris ne s’interposent dans la réalisation de ce dessein tragique. En cela, le sommeil d’Atys, situé à un moment de climax, incarne le tableau le plus saisissant de l’opéra, par sa force poétique et dans sa situation dans le flux musical. Quinault exploite l’aspect de Cybèle comme créatrice des danses, rites et transes: ainsi, les nombreux divertissements qui ponctuent l’action, s’inscrivent en une parfaite continuité. Leur rôle sont d’autant plus naturels et légitimes au sein d’un ouvrage qui aurait pu prendre comme titre « Cybèle ».


Galerie de caractères

En fin psychologue, Quinault sait aussi varier et approfondir le ressentiment très humain- de Cybèle, ainsi humiliée par son bien aimé: il réserve à la déesse un monologue exemplaire dont la violence et la sensibilité sont exprimées autant à l’orchestre que dans le texte. La déesse qui a son origine chez les phrygiens puis a diffusé de Grêce vers Rome, incarne la nature sauvage. Grande Mère, ou encore Mère des dieux, Cybèle personnifie la force première, celle des grands mystères fondateurs auxquels elle initie le jeune Dionysios. Protectrice, elle peut aussi se montrer violente et irrésistible.
En outre, contrairement à ses autres quatrièmes actes, Quinault réussit dans Atys un exploit: celui de varier là encore sans imposer – au risque de l’artifice-, un changement de décor avec de nouveaux personnages. L’acte IV réalise comme toujours une fausse résolution de l’intrigue. Ce qui permet un dernier acte spectaculaire et d’autant plus violent, d’impressionner les spectateurs, tenus en haleine. Au IV d’Atys, les amants réunis sont enlevés par les Zéphyrs vers un lieu illusoirement enchanteur… qui peut être en réalité, observé par Cybèle, haineuse autant que jalouse. Le motif des Zéphyrs a été déjà développé au III où Atys était déjà prêt à les solliciter. Illustration: le berger Atys avec le bonnet phrygien, jeune aimé de Cybèle (sculpture grecque alexandrine, IIIè siècle après JC).

Expérimental, le mot n’est pas inexact en parlant d’Atys. En réussissant un juste équilibre entre héroïsme tragique, action fantastique et tradition pastorale (si chère aux publics français), Quinault offre en 1676 à Lully, l’un de ses livrets les plus saisissants. Sa violence croissante, la qualité de sa construction « racinienne », la puissance des affects exprimées rapprochent ici la scène lyrique du théâtre parlé et permet ainsi la victoire de celle-ci, sur ce dernier. Atys peut être considéré en effet comme un aboutissement de l’art théâtral et musical à la Cour de Louis XIV.

Illustrations: Philippe Quinault, Jean-Baptiste Lully, Atys (DR)


Hugo Reyne dépoussière Atys en Vendée

Le festival Musiques à la Chabotterie présente
les 11 et 12 août 2009 une version nouvelle, dépoussiérée, plus pure
voire « corellienne » de l’opéra de Lully, Atys (1676). Production
lyrique événement de l’été 2009

La grande affaire de la Chabotterie pour l’été 2009, demeure assurément l’opéra tragique Atys de Lully, présenté en version de concert en clôture du Festival vendéen, les 11 puis 12 août 2009. Hugo Reyne,
directeur artistique, a choisi de revenir sur une partition mythique
qui fit les beaux jours de l’Opéra Comique (le 16 janvier 1987 pour la
commémoration des 300 ans de la mort de Lully en 1687), sous la
direction du chef Christie et dans la mise en scène de
Jean-Marie-Villégier, à une époque où il jouait lui-même dans
l’orchestre des Arts Florissants et montait même sur scène pour faire
souffler son traverso dans l’air du sommeil d’Atys…
22 ans plus tard, (et après tout un cycle de réalisations
discographiques dédiées à Lully), le Flûtiste, à présent chef fondateur
de la Simphonie du Marais, -qui vient d’enregistrer une superbe nouvelle version des Concerts de Jean-Philippe Rameau (Rameau: Concerts mis en simphonie, 1 cd Musiques à la Chabotterie), promet une relecture qui tire profit des
avancées de la connaissance du théâtre lullyste, en particulier la
restitution des petits ensembles d’instruments selon les épisodes, airs
ou récits.

13è Festival Musiques à la Chabotterie (Vendée, Saint-Sulpice le Verdon). A
50 km de la mer, 50 km de Nantes, et seulement 1h30 mn de Paris, en
plein bocage vendéen
, voici l’un des événements champêtres et musicaux
les plus magiciens: de l’été, le Festival Musique à La Chabotterie. Une certaine idée actuelle de l’Arcadie? Dans l’axe de la demeure vendéenne qui a gardé son allure baroque et
classique, un grand rideau rouge indique l’endroit des enchantements…

Lire


Le Centre de musique Baroque de Versailles et l’éditeur Mardaga viennent de publier un ouvrage dédié aux livrets des tragédies lyriques de Lully: « Quinault, Librettiste de Lully. Le poète des grâces » de Bedford Norman. Parution: août 2009. Prochaine critique développée dans le mag des livres de classiquenews.com
Révolution?
On croyait tout connaître du classicisme français à l’âge baroque : le
génie linguistique et poétique du français Louisquatorzien semblait
avoir été réalisé et porté à un degré de perfection jamais atteint,
avec Jean Racine… Or, voilà un livre majeur qui remet en cause nos
perspectives et réhabilite surtout l’oeuvre du duo Lully/Quinault dans
le genre de la tragédie en musique. C’est que s’appuyant sur la
perfection nouvelle des textes de son librettiste Philippe Quinault,
le compositeur Lully de 1673 à 1686, construit un cycle de chefs
d’oeuvre qui met en péril la suprématie du théâtre parlé. Le public de
l’époque a même tranché: applaudissant davantage les opéras des deux
auteurs que les pièces de Racine, pourtant parvenu à son sommet.
L’auteur de Phèdre choisira même de changer de genre, préférant
désormais l’historiographie à l’écriture de nouvelles pièces… La
scène musicale riche en merveilleux, fantastique, ballets et passions
héroïques autant que sentimentales a rivalisé avec le théâtre plus
austère (décor unique) et plus « doux » du grand Racine.
Tel n’est pas le moindre apport de ce livre capital qui bouscule les
idées reçues et analyse tous les livrets (prologues compris) des opéras
tissés par le « poète des grâces », Philippe Quinault. L’auteur explique
avec scrupule les éléments du drame lyrique ciselé par Quinault, son
génie de la langue et son sens du texte mis en musique; les genres
musicaux perfectionnés par Lully (récitatif, récit lyrique, petits
airs…), la réception de chaque partition auprès des publics (à la
Cour, à la ville, actuel…); la genèse et les sources des sujets
choisis…


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