Livres. Riccardo Muti : Prima la musica (L’Archipel). On se souvient qu’en mars 2011, à Rome, alors qu’il dirige Nabucco de Verdi et son choeur des esclaves, le chef septuagénaire Riccardo Muti (né en 1941) jamais en reste d’une action fracassante propre à défendre l’art et la musique, regrettant l’Italie perdue, bissait le choeur fameux avec la complicité du public debout, explicitement hostile à Berlusconi, à l’instar des révoltés républicains de 1840. La musique était devenu hymne politique contre un pouvoir étranger à tout essor culturel. L’anecdote souligne les positions d’un chef déterminé voire sec et despotique qui incarne après Toscanini et Nino Votto (son maître direct, avant que Karajan ne l’appelle à Salzbourg pour y diriger Mozart au début des années 1980 (Cosi…), le mythe du chef charismatique, guide et visionnaire pour tous. De fait, sa plume, à l’honneur dans ce carnet de commentaires, pensées, suggestions sur sa carrière ne manque pas de phrases pénétrantes, souvent superfétatoires voire autosatisfaites lorsqu’il s’agit d’évoquer telle ou telle production, tel ou tel concert. Félin mordant et jaloux de sa gloire, Muti semble souvent dresser la liste de ses réalisations comme s’il s’agissait de démontrer tous ses mérites dans un procès imaginaire.
Le titre « Prima la musical! » donne l’indice d’un musicien qui laisse toute la place à l’orchestre et au chant ; face aux mises en scène dont Muti dénonce souvent les décalages, les glissements dangereux, l’incompréhension, le chef défend ses chanteurs et ses instrumentistes. Il n’est guère que quelques scénographes dignes de son engagement et de son exigence : Ronconi ou Strehler.
Passion Verdi. C’est essentiellement au chapitre verdien que la plume se révèle la plus passionnante : Muti l’inflexible se montre très inspiré dans le travail sur les opéras de Verdi : rajeunir La Traviata (avec Alagna), dépoussiérer Le Trouvère, retrouver les silences de Macbeth (et ses pianissimos souhaités par Verdi), opter pour le diapason 432 pour Otello… Autant d’options bien argumentées et expliquées qui fondent ici une connaissance profonde et intime d’une écriture si proche de sa sanguinité artistique.
L’affaire de sa démission obligée de La Scala (dont il est directeur de 1986 à 2005) après la résistance d’un personnel de plus en plus réticent face à la droiture fière et souvent supérieure d’un maestro drapé comme un dieu grec est évidemment évoquée… à la faveur du démissionnaire.
Outre les évocations positives des épisodes de la vie musicale, plusieurs figures paraissent ici : Karajan (le père spirituel), Pavarotti (et ses aigus satinés dans un Don Carlos mémorable), Strehler, Jessye Norman, Fellini, Toscanini, mais aussi Callas (pressentie espérée mais finalement inaccessible) ou Nino Rota et Sviatoslav Richter, duo de solistes pour ses noces… A l’heure des révolutions stylistiques permises par le jeu sur instruments d’époque, Muti fait cependant figure de chef d’un monde révolu. Quel grand metteur en scène voudrait d’ailleurs travailler avec lui ? L’Italien magnifique, comme un lion aguerri, ne semble plus être aussi convaincant à l’opéra et demeure surtout invité pour quelques cycles symphoniques et des messes exigeant souffle fervent, solennité d’un autre âge.
Livres. Riccardo Muti : Prima la musica (L’Archipel). 19,95 €. ISBN : 9782809805390. 236 pages. Parution : 12 mars 2014.