Compte-rendu, concert. VIENNE, concert du nouvel an, 1er janvier 2021 / Neujahrs Konzert 2021. Wiener Philharmoniker, Riccardo Muti (direction). Le chef milanais Riccardo MUTI revient « chez lui », pour le 6Ăš fois au Musikverein de Vienne, cĂ©lĂ©brant ce 1er janvier 2021 : des retrouvailles qui sont saluĂ©es cette annĂ©e, Ă chaque fin de partie par les applaudissements enregistrĂ©s des spectateurs prĂ©sents mais derriĂšre lâĂ©cran de la mondiovision covid oblige ; la salle est vide mais les instrumentistes sont plus impliquĂ©s que jamais pour une cĂ©lĂ©bration qui fĂȘte lâavĂšnement de 2021 dans un contexte sanitaire des plus moroses, alors que se profile une 3Ăš vague, que plusieurs pays ferment tous les commerces, quâun prochain confinement se profile de jour en jour. MalgrĂ© lâĂ©mergence des premiers vaccins⊠DĂ©jĂ le masque FFP2 devient la norme en Allemagne, en Autriche. LâAutriche justement qui au moment oĂč nous rĂ©digeons notre article, est confinĂ©e jusquâĂ fin fĂ©vrier 2021.
AprĂšs une premiĂšre partie de programme assez conforme, – oĂč le chef choisit plusieurs nouveaux standards, inĂ©dits ici, signĂ©s de lâinusable Johann Strauss II (Schallwellen opus 148), comme Grubenlichter de Carl Zeller, ou In Saus und Braus dâun autre Carl ⊠Millöcker. A chaque nouveau concert du 1er janvier, ses joyaux jouĂ©s « en premiĂšre » ; les musiciens semblent plus Ă la fĂȘte dans la seconde partie.
En dĂ©but de cycle, certes lâouverture de Franz von SuppĂš :âPoet and Peasantâ / Dichter und Bauer, arbore noblesse et grandeur, mais le choix sâavĂšre dĂ©cevant car la piĂšce devient chevauchĂ©e qui tourne en rond ; et son cĂŽtĂ© « tagada tsoin tsoin » finit par montrer les limites de la baguette du chef, sa nervositĂ© racĂ©e certes, un rien tendue cependant.
La Polka Marguerite / Margherita-Polka (opus 244, autre inĂ©dit ici) de Josef Strauss, frĂšre de Johann II fait paraĂźtre les danseurs du Ballet de lâOpĂ©ra de Vienne : trio amoureux dans le style annĂ©es 1930. On se rĂ©veille grĂące aux claquettes Ă©lectriques du galop vĂ©nitien (opus 74) de Johann I : valse infernale et frĂ©nĂ©tique. Puis rĂ©fĂ©rence Ă Karajan qui la joua (mais dans sa version avec soprano), la sublime valse « Voix du printemps / FrĂŒhlingsstimmen » (op. 410) affirme la grande classe du roi incontestĂ© de cette fĂȘte, Johann Strauss II le fils ; toujours dâun kitsch surannĂ©e mais parfaits parce que mesurĂ©s et synchronisĂ©s avec lâorchestre, les danseurs (costume de Christian Lacroix)
Ă©voluent autour dâun carrosse, au Palais Lichtenstein ; puis dans les jardins, fleuris, de fait « printaniers » filmĂ©s Ă la bonne pĂ©riode; sourires, esthĂ©tisme, lĂ©gĂšretĂ© si bienvenue en ses temps de crise sanitaire ; on en oublierait les temps de la covid.
Le programme est depuis longtemps la confirmation du gĂ©nie de Johann Strauss II. Baguette plus souple et badine, Muti enchaĂźne alors quatre piĂšces du gĂ©nie viennois : « In the Krapfenwaldl / Im Krapfenwaldâl», Polka française, op. 336 (avec chant du coucou, plein dâhumour) ; Nouvelles mĂ©lodies (quadrille opus 254) sur des thĂšmes dâopĂ©ras italiens (dont La Traviata de Verdi) ; la sublime Valse de lâEmpereur / Kaiserwalzer, op. 437, avec en bonus tĂ©lĂ©visĂ©s, des images du rĂšgne de François-Joseph, dans le MusĂ©e Sissi, et des vues insistantes sur les cariatides du Musikverein, beautĂ©s dĂ©nudĂ©es de style nĂ©oclassique. Comme une rĂ©miniscence des fastes des derniers Habsbourg, la partition ensorcĂšle et finit par son solo de violoncelle, entonnĂ© comme une berceuse qui sâefface⊠beau moment dâintĂ©rioritĂ© chambriste.
Enfin le programme officiel sâachĂšve par la polka rapide (polka schnell, fouettĂ©e, vive « Fougueux en Amour et dans la Danse / StĂŒrmisch in Liebâund Tanz » opus 393, jouĂ©e avec le triangle scintillant, festival de nuances des plus subtiles.
Il est temps de saluer. Chef et instrumentistes font face camĂ©ra, les applaudissements des spectateurs du monde entier, prĂ©alablement enregistrĂ©s, rĂ©sonnant dans le vaste volume du Musikverein, – les photos des spectateurs sont diffusĂ©s Ă lâantenne en frises mosaĂŻques- ; Muti fixe les camĂ©ras, un rien hautain sans sâincliner. Toujours cette superbe nerveuse qui apporte Ă sa direction la tension virile quâon lui connaĂźt. En bis, une premiĂšre « Surprise » : galop Ă©lectrique, dâune Ă©nergie orgiaque (« Furioso Polka » de Johann fils). Puis lâallocution Ă©tonnamment longue du chef, contexte sanitaire oblige se rĂ©vĂšle finalement plus audacieuse et pertinente que sa direction.
Les mots de Muti sonnent justes et pĂ©nĂ©trants, ⊠politiques. Ils Ă©voquent dâabord les mannes des compositeurs qui ont marquĂ© lâhistoire du Musikverein, ceux dont les Ćuvres ont Ă©tĂ© créées ou ont rĂ©sonnĂ© de maniĂšre spĂ©cifique ici mĂȘme : Brahms, Bruckner, Mahler (avec justesse car ce dernier est souvent « oublié » alors que sa contribution Ă lâOpĂ©ra demeure fondamental) ; Muti inspirĂ© poursuit : les armes de la musique sont lâamour et sa mission pour lâhumanitĂ© nâen fait pas un divertissement mais une nĂ©cessitĂ© spirituelle : que les politiques partout dans le monde considĂšrent la musique avec plus de respect – dĂ©claration affĂ»tĂ©e, pleine de gravitĂ© fraternelle Ă la hauteur de la situation que nous vivons tous : oui, bravo maestro Muti, cĂ©lĂ©brons lâan neuf « Happy new year » dans la clairvoyance et lâestimation dâune culture enfin réévaluĂ©e ; dans la crise sanitaire que nous vivons depuis 1 an dĂ©jĂ , les spectacles Ă©tant tous empĂȘchĂ©s, les salles fermĂ©es depuis le 28 octobre 2019 (en France) : il est temps de se reprendre et reconnaĂźtre dans lâexercice de la culture vivante, une respiration salvatrice. Souhaitons que la culture et la musique, tous genres confondus et pas seulement le classique et lâopĂ©ra, ne soient plus ses variables dâajustement ; en appliquant la mise Ă distance, en modulant leur jauge, en organisant les flux dâentrĂ©e et de sortie des publics, ⊠etc.. les salles ont dĂ©montrĂ© prĂ©cĂ©demment leur capacitĂ© Ă appliquer les mesures de sĂ©curitĂ© sanitaire.
On aurait aimĂ© quâil demande et exhorte les nations de la planĂšte Ă protĂ©ger les animaux, martyrs de lâextinction qui se rĂ©alise (1 milliard de morts en Australie suite aux incendies jamais vus auparavant), Ă planter des arbres partout, surtout dans les villes⊠pour rendre la planĂšte plus respirable. Mais on ne peut demander tout Ă un seul artiste. Claudio Abbado nâavait-il pas aidĂ© Ă la replantation de milliers dâarbres quelques mois avant de mourir ? Que la culture et le spectacle vivant dont la musique puissent retrouver leurs publics, voilĂ qui serait dĂ©jĂ un pas salvateur.
Rite obligĂ©, voici en premiĂšre offrande de fin, le Beau Danube Bleu / An der schönen blauen Donau, créé Ă Paris pour lâexposition universelle en 1867 (dans une version chorale prĂ©liminaire bien diffĂ©rente de celle orchestrale actuelle). Le jeu collectif sâexĂ©cute mais la direction de Muti a perdu de son panache. Le geste est raide et le son, dĂ©nuĂ© de suspension.
Enfin sans la claque des spectateurs, de Johann Strauss pĂšre : la Marche de Radetzky, opus 228 (pas sĂ»r que ce dernier rituel plaise tant Ă Muti le milanais car la partition de Johann Strauss Ă©voque la victoire des autrichiens sur les italiens en 1848). Cette Ă©dition du Concert du Nouvel An nous laisse indĂ©cis : le programme est enchanteur ; sa rĂ©alisation peu sensible ; parfois martiale et sĂšche. En revanche le discours trĂšs politique du chef suscite lâadhĂ©sion totale. Que la musique vivante soit une nĂ©cessitĂ© vitale : la dĂ©claration vaut manifeste qui doit ĂȘtre suivi dâeffets. A bon entendeur, salut ! Bonne annĂ©e 2021 Ă tous. Le cd du concert Ă©vĂ©nement est paru chez Sony classical (notre visuel).
LIRE aussi notre annonce du CONCERT DU NOUVEL AN Ă VIENNE 2021 :
http://www.classiquenews.com/concert-du-nouvel-an-2021/
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LIRE aussi nos comptes rendus précédents RICCARDO MUTI / Concerts du Nouvel An à VIENNE :
Compte rendu, critique, concert. Vienne, Musikverein, le 1er janvier 2018. CONCERT DU NOUVEL AN 2018. Wiener Philharmoniker / Riccardo Muti, direction. Pour le concert du Nouvel An Ă Vienne ce 1er janvier 2018, revoici les instrumentistes du Philharmonique de Vienne sous la direction du chef familier pour eux, Riccardo Muti. Nous les avions quittĂ©s ici mĂȘme le 1er janvier 2017 sous la direction de Gustavo Dudamel : jeune et trĂšs prĂ©cis maestro : le plus jeune alors depuis des dĂ©cennies Ă diriger les prestigieux instrumentistes autrichiens. Les ors et les fleurs en surabondance, selon le goĂ»t spĂ©cifique des Viennois pour lâultra kitsch (Sissi nâest pas loin, sans omettre les fastes sirupeux de Schönbrun), soulignent lâimportance musical, surtout mĂ©diatique de lâĂ©vĂ©nement.
COMPTE-RENDU, critique. CONCERT DU NOUVEL AN 1er janvier 2013 / Franz Welser-Möst, directon. Cette annĂ©e, retour du chef Franz Welser-Möst, dĂ©jĂ prĂ©sent pour le concert du nouvel an 2011. AprĂšs Mariss Jansons, lâactuel directeur musical de lâOpĂ©ra de Vienne et du Cleveland symphony Orchestra, a dâautant plus de lĂ©gitimitĂ© pour diriger les musiciens du Philharmoniker que ce sont les mĂȘmes instrumentistes quâil dirige tout au long de lâannĂ©e dans la fosse de lâOpĂ©ra dâĂ©tat. LâOrchestre assure toutes les reprĂ©sentations lyriques⊠un exercice permanent qui suscitant des sĂ©ances de travail rĂ©guliĂšres explique certainement lâexcellente musical de la phalange.
Cette annĂ©e au Musikverein de Vienne, dĂ©corĂ© comme Ă lâhabitude de bouquets et de gerbes floraux, le chef autrichien a choisi de rendre hommage en particulier au fils cadet de Strauss pĂšre, Josef, mort prĂ©maturĂ©ment mort Ă 43 ans et qui reste dans lâombre de son gĂ©nial ainĂ©, Johann II, indiscutablement le maĂźtre compositeur de la famille.