vendredi 29 mars 2024

Livre événement, critique. COMPOSITRICES, l’égalité en acte (éditions CDMC – MF, février 2019)

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compositrices-egalite-en-acte-livre-critique-classiquenews-MF-actualites-musqiue-classique-opera-festivals-concerts-infos-classiqueLivre, critique. COMPOSITRICES, l’égalité en acte (éditions CDMC – MF, février 2019). Elles sont cinquante-trois compositrices rassemblées dans un ouvrage qui a pour ambition de promouvoir « L’égalité en acte » (1). Représentant plus de vingt nationalités, elles ont pour point commun d’exercer leur art en France. Leurs témoignages sont précédés d’une trentaine de contributions de musicologues, historiens et journalistes, autant d’éclairages d’une très grande richesse, à la mesure de la complexité du sujet. Une douzaine de ces compositrices sont venues témoigner de leur vécu, le 12 février dernier, lors de la conférence de présentation du livre, en prélude au festival Présences de Radio-France. La Critique livre par notre rédacteur MARCEL WEISS.

Bien présentes, comme nombre de leurs consoeurs dans l’auditoire, venues décrire un combat pour l’égalité amorcé dès l’aube de l’humanité ou presque, à en croire Jacques Amblard, de la mythique Sappho de Lesbos à Kaija Saariaho, atteignant enfin – de son vivant – une reconnaissance planétaire. Une « conquête en dents de scie », résume-t-il, rappelant le propos ironique de Virginia Woolf en 1929 : « Monsieur, une femme qui compose est semblable à un chien qui marche sur les pattes de derrière. Ce qu’il fait n’est pas bien fait. Mais vous êtes surpris de le voir faire ».
Au hasard de ce parcours, l’on croise Hildegarde de Bingen, Francesca Caccini, Barbara Strozzi, Elisabeth Jacquet de La Guerre, Fanny Mendelssohn, Clara Schumann, Augusta Holmès, Lily Boulanger, etc. Encore a-t-il fallu, comme le souligne Jacques Amblard, que s‘exercent des protections familiales ou sociales, pour qu’elles soient reconnues médiatiquement.

Où sont les compositrices ? »

Etape emblématique de cette tardive reconnaissance, le premier Prix de Rome, obtenu en 1904 par Hélène Fleury-Roy, au terme de débats houleux, comme nous le rappelle Florence Launay, auteure en 2006 d’une thèse fondamentale sur « Les Compositrices en France au XIXe siècle » (2). Un demi-siècle après l’admission en 1850 des femmes dans les classes de composition du Conservatoire de Paris, censé prôner la mixité depuis sa création en 1795. Siècle d’une relative floraison de compositrices, selon Florence Launay, le XIXe siècle voit accéder à un statut professionnel une vingtaine d’entre-elles, de Pauline Viardot aux sœurs Boulanger. Les chefs des sociétés de concert parisiennes n’hésitent pas à programmer les œuvres de femmes, de Cécile Chaminade à Augusta Holmès et Henriette Renié. Les critiques contemporains soulignent volontiers la qualité des œuvres jouées, même si de temps en temps émergent encore des apartés sexistes, comme chez cet auteur de La France musicale à propos de Louise Farrenc : « Il est rare de trouver chez une femme autant de vigueur et d’intelligence dans la combinaison des effets. » Et pourtant, la qualité des œuvres de ces dames pèsera de peu de poids dans le jugement des musicologues fin-de-siècle, entièrement voués au culte des génies romantiques, forcément masculins. D’où l’occultation dans l’histoire de la musique des compositrices, dénoncée par Florence Launay.
Mais comment les appeler, ces « professionnelles de la double-croche » comme les désignait avec dédain un chroniqueur du XIXe siècle ? Il faut attendre 1847, rappelle David Christoffel, pour qu’un musicologue, Adrien de La Fage, suggère de remplacer l’appellation dévalorisante de femme compositeur par compositrice ; un titre repris avec réticence et le plus souvent encore placé entre guillemets jusqu’à la fin du XIXe siècle, et encore contesté dans les années 1970, jugé même laid, à en croire Michèle Reverdy qui préférait pour sa part proclamer : « Je suis compositeur ». Volonté également d’être
reconnues comme des compositeurs à part entière et non comme des amateurs juste capables d’écrire des « œuvres de femmes ».
Au-delà de l’interrogation sur l’appellation idéale, la question du statut des compositrices constitue le thème essentiel de l’ouvrage. « Où sont les femmes ? » titrait une brochure de la SACD, rassemblant de 2012 à 2016 les données sur la parité entre créateurs et créatrices. Une égalité entre hommes et femmes consacrée Grande cause nationale pour le quinquennat 2017-2022. Aujourd’hui, les compositrices ne représentent que 10% de la profession et leurs œuvres atteignent à peine 1% des programmations musicales. David Verdier dresse le constat de leur sous-représentation dans le secteur musical, en tant qu’interprètes et plus encore dans les postes de direction. Significative également, la présence encore trop discrète, en termes de candidatures, des compositrices dans les commandes musicales d’Etat : de 11% ces vingt dernières années, le taux n’est passé qu’à 16% entre 2015 et 2017, malgré un pourcentage encourageant de 45% de commandes obtenues. 

La surreprésentation féminine dans les catégories « installation sonore » et « électroacoustique » – 13% des commandes, alors que la moyenne globale est de 6% – est le reflet de l’engouement des compositrices pour un nouveau territoire exploré dans les premiers studios de musique concrète, une terra incognita, selon l’expression de Michèle Tosi, leur permettant « de concevoir la musique délivrée du poids de la tradition et des codes culturels qui la régissent ».

Dans le précédent opus du CDMC – « 40 ans de création musicale » (3) – Betsy Jolas constatait qu’elle était le seul compositeur à ne pas voir mentionnée en 1966 dans un programme du Domaine musical sa date de naissance… Signe des temps, c’est chose faite dans ce livre, comme pour toutes les autres. Plus que des biographies, ces cinquante-trois portraits de musiciennes s’attachent à décrire leur univers artistique, singulier, et proprement inouï. Il n’y est jamais question de militantisme, et pourtant l’on perçoit dans chacun de ces parcours un combat opiniâtre pour prendre sa place dans le monde de la musique contemporaine. Comme l’affirme Clara Iannotta, forte de sa double expérience de compositrice et de directrice de festival, « Ce n’est pas aux femmes compositrices de militer pour trouver leur place, ce sont les directeurs d’institutions qui doivent faire leur travail un peu plus sérieusement ! »
Des compositrices et des musicologues ont pourtant relevé ce défi en créant en 2013 l’association Plurielles 34, présidée par Sophie Lacaze, attachée à veiller à la promotion de la création féminine. Notamment dans tous les secteurs où – pour reprendre l’expression de Béatrice Thiriet – « les femmes sont considérées comme des invisibles », celui de la musique de film dans son cas, celui des musiques improvisées et du jazz pour Joëlle Léandre, et quasiment pour toutes les mondes de la composition – pour preuve, la rareté des classes tenues par des femmes – et de la musique contemporaine. « J’ai appris dans mes années de conservatoire que seuls les hommes devenaient compositeurs » se remémore Agnès Poisson qui, comme une vingtaine des compositrices présentées dans ce livre, a choisi la musique concrète et l’électroacoustique comme l’espace de création idéal où travailler le matériau son directement, sans intermédiaire, un espace devenu la chambre à soi chère à Virginia Woolf, où l’on devient enfin « maitre de son temps », se félicite Annette Vande Gorne.
Une maitrise toute relative lorsque l’on choisit de mener de front carrière professionnelle et vie familiale. Betsy Jolas se souvient de ses débuts où il fallait essayer
d’être « tout à la fois épouse, mère et compositeur, et chose plus difficile encore à l’époque, femme-compositeur ».

CLIC D'OR macaron 200Etre une femme et composer : dans un mémoire de fin d’études, Pascale Lazarus assumait pleinement cette double identité, avec toutes ses contradictions, en déclarant que « créer, c’est tricoter son être ». Avec la volonté d’affirmer sa personnalité et sa féminité « en passant outre la censure imposée par le stéréotype », qui oblige à masquer tout signe de féminité pour défendre chaque projet : « Plus que la compositrice, ce sont les signes de la féminité qu’il faut camoufler ». Pour Diana Soh, forte de sa double identité de mère et compositrice, chaque note est une victoire : « J’ai besoin d’exister, et j’existe parce qu’il y a une note sur la page ».
Une identité duelle, vécue comme une force créatrice et non comme un handicap. Ambroise Thomas, déjà, disait de Cécile Chaminade : « Ce n’est pas une femme qui a composé, mais un compositeur qui est femme. » Comme un écho, Donatoni, un siècle plus tard, déclare, au vu des premières compositions de Lara Morciano : « Tu n’écris pas une musique de femme ». Des compliments pour le moins ambigus, pour peu que l’on essaye de les transposer dans un mode masculin. Le chemin vers l’égalité est encore long. Marcel WEISS.

 

 

 

 

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(1) Compositrices, l’égalité en acte. Centre de documentation de la musique contemporaine. Editions MF, collection Paroles. 2019

(2) Publiée sous le titre Les compositrices en France : XIXe-XXe siècles. Editions Fayard, 2006

(3) La mémoire en acte. Quarante ans de création musicale. CDMC/Editions MF. 2017

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Livre événement, critique. COMPOSITRICES, l’égalité en acte (éditions MF, février 2019). Parution le 12 février 2019 – 488 pages. Ouvrage collectif / CLIC de CLASSIQUENEWS

LIRE aussi notre annonce du livre L’égalité en actes / CDMC
https://www.classiquenews.com/livre-annonce-compositrices-legalite-en-acte-editions-mf-fevrier-2019/

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