Livre cd, compte rendu critique. GOUNOD : Cinq-Mars, 1877. Vidal, Gens, Christoyannis, … (2 cd 2015). Dès l’ouverture, les couleurs vénéneuses, viscéralement tragiques, introduites par la couleur ténue de la clarinette dans le premier motif, avant l’implosion très wébérienne du second motif, s’imposent à l’écoute et attestent d’une lecture orchestralement très aboutie. Du reste l’orchestre munichois, affirme un bel énoncé du mystère évoqué, éclairé par une clarté transparente continue, qui quand il ne sature pas dans les tutti trop appuyés, se montre d’une onctuosité délectable. Tant de joyaux dans l’écriture éclairent la place aujourd’hui oubliée de Charles Gounod dans l’éclosion et l’évolution du romantisme français. Et en 1877, à l’époque du wagnérisme envahissant, (le dernier) Gounod, dans Cinq-Mars d’après Vigny, impose inéluctablement un classicisme à la française qui s’expose dans le style et l’élégance de l’orchestre (première scène : Cinq-Mars et le chœur masculin). D’emblée c’est le style très racé de la direction (nuancé et souple Ulf Schirmer), des choristes (excellentissimes dans l’articulation d’un français à la fois délicat et parfaitement intelligible) qui éclaire constamment l’écriture lumineuse d’un compositeur jamais épais, orchestrateur raffiné (flûte, harpe, clarinette, hautbois toujours sollicités quand le compositeur développe l’ivresse enivrée de ses protagonistes).
Cinq-Mars éclaire le raffinement du dernier Gounod
Justesse immédiate dès la première scène et surtout la seconde entre De Thou et Cinq Mars : timbres suaves et naturellement articulés du ténor et du baryton ainsi fusionnés, Cinq-Mars et son aîné (paternel) De Thou, soit l’excellent Mathias Vidal et Tassis Christoyannis : vrai duo viril, l’équivalent français en effusion et tendre confession mêlée, du duo verdien : Carlos et Posa, dans Don Carlo. Le même duo revient d’ailleurs pour fermer l’épisode tragique, juste avant l’exécution de Cinq-Mars par Richelieu, à la fin du drame en 4 actes.
Force vocale palpitante, liant tout le déroulement de l’action, la prise de rôle de Mathias Vidal en Cinq-Mars engagé et nuancé, relève du miracle lyrique et dramatique : un tempérament ardent et juvénile, au style impeccable qui renouvelle sa fabuleuse partie dans les Grands Motets de Mondonville révélés par le chef hongrois Gyorgy Vashegy (LIRE notre critique du cd Grands Motets de Mondonville, CLIC de classiquenews de mai 2016).
Intriguant sombre, persifleur grave et insidieux, le père Joseph (éminence grise de l’ombre, créature à la solde de Richelieu), Andrew Foster-Williams captive aussi par la vraisemblance de son incarnation ; même épaisseur psychologique pour la Marie de Gonzague de l’aînée de tous, Véronique Gens, à la diction idéale, creusant l’ambition de la princesse, immédiatement saisie par son avenir de Reine… on note cependant une certaine tension dans les aigus vibrés mais comme c’est le cas de l’autre soprano française, d’une étonnante longévité – Sandrine Piau, Véronique Gens convainc ici par le contrôle de son instrument; par son style sans effet, sa grande vérité directe et fluide : bel angélisme de son air « Nuit silencieuse » au caractère d’ivresse suave éperdue.
La cohérence évidente de cette magnifique lecture rend hommage au génie de Gounod inspiré par le Cinq mars de Vigny (1826). 50 ans après Vigny, Gounod conçoit ce Cinq Mars où brille et scintille l’enchantement d’un orchestre délicat et raffiné auquel la direction aérée et souple, globalement somptueusement suggestive de l’expérimenté Ulf Schirmer, exprime les facettes irrésistibles, toutes sans exception, dramatiquement très efficaces. Avant Cinq-Mars, Gounod n’avait pas composé d’opéras depuis 10 ans : son retour pour l’Opéra-Comique dirigé par Léon Carvalho, est traversé par l’intelligence, cette limpidité (dont parle le critique et compositeur Joncières pourtant très wagnérien), ce souci du coloris et une sensualité dont il a conservé le secret. D’un opéra historique déployant les intrigues politiques et courtisanes qui opposent Richelieu et les princes qui conspirent dont le Marquis de Cinq-Mars, Gounod fait un drame sentimental poignant qui touche par la justesse des séquences, tant collectives qu’intimistes et individuelles.
On s’incline devant une partition aussi bien ficelée, devant une lecture ciselée, attentive à sa subtile texture, autant instrumentale que vocale. Superbe réalisation, de loin, l’une des mieux conçues de tous les titres jusque là parus dans la désormais riche et fondamentale collection « Opéra français » (écoutez aussi dans la même tenue artistique et pour mesurer un autre chef d’œuvre oublié : l’oratorio romantique La Mort d’Abel de Rodolphe Kreutzer, source de l’admiration sans borne de Berlioz, paru en 2010). CLIC de CLASSIQUENEWS de mai / juin 2016. Si la publication au disque est opportune et tout à fait légitime, on regrette qu’aucun opéra en France ne prenne l’initiative de programmer ce sommet lyrique romantique français : les interprètes sont prêts et l’orchestre, sur instruments d’époque, existe. Le dossier de presse accompagnant le titre mentionne la prochaine production scénique de la partition à l’Opéra de Leipzig (20, 27 mai puis 11 juin 2017). Quid en France ? Le public français a toute compétence pour juger de la valeur d’un telle perle lyrique. On commet une grossière erreur à l’en priver.
Livre cd, compte rendu critique. GOUNOD : Cinq Mars, 1877. Vidal, Gens, Christoyannis, … 2 cd Ediciones Singulares — Palazzeto Bru Zane, enregistrement réalisé à Munich en janvier 2015
LIRE aussi notre dossier présentation et synopsis de Cinq-Mars de Gounod, lors de sa recréation en janvier 2015 à l’Opéra royal de Versailles