vendredi 19 avril 2024

Lille Piano(s) festival 2012, le 9 juin 2012. Marie Jaëll: Concertos pour piano et orchestre (recréation). Romain Descharmes, David Violi (piano). Joseph Swensen, direction

A lire aussi
Défenseur de l’inédit, le Palazzetto Bru Zane (Centre de musique romantique française) assure le renouvellement des programmations festivalières; en favorisant la recréation des deux concertos pour piano de la très méconnue Marie Jaëll (1846-1925), le Centre toujours à la pointe des résurrections légitimes, réalise les objectifs de ses missions: faire jouer les compositeurs français oubliés ; en plus d’oeuvres méconnues, le programme défendu à Lille (Opéra, le 9 juin 2012 à 17h puis 19h) est d’autant plus méritant qu’aux côtés des noms connus (qui sont loin de prendre un tel risque), il fait appel à deux jeunes pianistes français de la génération montante, tempéraments ardents et passionnés, convaincus de défendre ici deux œuvres redoutables pour la main. Pas sûr que les têtes d’affiche d’aujourd’hui s’engagent dans un tel défi pour l’interprète. Saluons donc le festival lillois d’avoir choisi dans sa programmation 2012, ce volet des plus audacieux, vraie découverte pour le spectateur.


le piano enflammé de Marie Jaëll

Les programmateurs de France et de Navarre (pour une partie subventionnés par les contribuables) seraient inspirés de prendre ici la mesure d’un juste équilibre artistique: comment faire la critique du Lille piano(s) festival 2012 qui sait afficher un marathon Debussy, donc servir le répertoire et les compositeurs mis en avant par le calendrier, tout en osant la redécouverte d’un style inconnu en pariant sur la seule volonté de deux jeunes passionnés, ambassadeurs d’un romantisme français dont on ne mesure jamais assez la diversité des sensibilités, l’originalité des tempéraments.
Le cas de Marie Jaell est à ce titre exemplaire ; la personnalité est plus qu’attachante: lumineuse, admirable, par sa volonté, son courage, l’œuvre plurielle laissée en héritage dans un siècle obstinément misogyne, en particulier vis à vis des femmes artistes. Celle qui fut estimée de Saint-Saëns dont elle fut l’élève, de Liszt qu’elle approcha à Weimar et qui devint un mentor lui aussi admiratif, nous laisse aujourd’hui deux Concertos pour piano et orchestre dont la portée esthétique doit aussi être mise en relation avec son oeuvre de pédagogue et de chercheuse singulière: c’est elle qui utilise les ressources de la neuropsychologie pour comprendre le fonctionnement de la main et « la mécanique du toucher », rédigeant ensuite une méthode d’interprétation qui porte son nom et qui fait toujours autorité!

Mariée à Alfred Jaëll qui était un pianiste virtuose lui aussi, particulièrement inspiré dans l’interprétation des oeuvres de Chopin, Marie (née Trautmann) mène d’abord une carrière de récitaliste prodige, comme Clara Schumann de l’autre côté du Rhin. Du reste, l’Allemagne occupe une part non négligeable dans sa vie: formée à Stuttgart avant de rejoindre Paris, Marie reste très influencée par les compositeurs germaniques, et surtout Liszt; c’est tout le bénéfice des deux Concertos recréés à Lille, manifestes bruts et embrasés d’un tempérament qui suscite l’admiration, dont la puissance de l’inspiration rend légitime cette résurrection: l’Orchestre national de Lille sous la baguette vive de l’américain Joseph Swensen accompagne l’implication des deux jeunes pianistes invités par le Palazzetto Bru Zane dans cette aventure riche en redécouvertes: après les concerts du 9 juin, les interprètes se retrouveront à l’été 2012 pour une session d’enregistrement car un disque est déjà annoncé pour immortaliser l’événement.

Le premier Concerto daté de 1877 est saisissant par sa fougue parfois martiale, sa puissance d’inspiration où le piano très exposé, au chant permanent, exige une implication digitale peu ordinaire: Romain Descharmes tient la distance; il réussit ce premier défi qui souligne chez Jaëll, ce feu viril que tous les auditeurs à son époque ont su diversement mettre en avant; autant démonstratif que poétique, ce premier opus s’impose de lui-même dans l’histoire du concerto pour piano romantique français.

Le second Concerto joué quelques heures après, est plus tardif (1884); il est immédiatement redevable à la leçon lisztéenne: s’écoulant comme un torrent d’un seul flux, enchaînant les 3 sections successives, sa richesse harmonique, l’ivresse poétique et suspendue de son mouvement lent (avec un 2è thème particulièrement suggestif et évocatoire) expriment à l’image de son modèle à Weimar, l’esprit des hauteurs, et la quête des sommets inatteignables qui dans l’écriture dévoile une inspiration remarquable, ardente, enflammée voire mystique. Sous les doigts flexibles et caressants de l’excellent David Violi (qui joue sans partition!), le massif s’ébranle avec une énergie dansante irrésistible, éclairant la structure très élaborée de la partition avec les réexpositions successives des thèmes moteurs ; sachant aussi ciseler les couleurs évanescentes et diaphanes du mouvement lent, l’un des sommets de l’écriture pianistique de Marie Jaëll; autant de force et de douceur à la fois font la réussite de ce programme inédit.

Prélude à chaque concert, une conférence explicative sur la femme dans son siècle, la compositrice et la pédagogue apporte les éléments clés pour mieux comprendre l’héritage d’une créatrice exceptionnelle. En conférencier vivant et communicatif, Sébastien Trœster, éditeur passionné qui a réalisé le matériel d’orchestre et la réécriture des manuscrits assure lui aussi la richesse d’une journée historique pour la reconnaissance de la pianiste et compositrice française.

On attend désormais l’enregistrement discographique avec impatience. D’ici là, France Musique diffuse le 2 juillet 2012 à 20h, les deux programmes Marie Jaëll présentés en recréation à Lille. Partenaire des programmes inédits et défricheurs, classiquenews était présent pour fixer le souvenir de la journée Marie Jaëll présentée par le Palazzetto Bru Zane dans le cadre du Lille Piano(s) Festival 2012. Reportage vidéo exclusif à venir très prochainement.

Lille. Opéra, le 9 juin 2012. Lille Piano(s) festival. Marie Jaëll:
recréation des deux Concertos pour piano (1877, 1884). Romain
Descharmes, David Violi, piano. Orchestre national de Lille. Joseph
Swensen, direction
Lille: recréation des 2 Concertos pour piano de Marie Jaëll

- Sponsorisé -
- Sponsorisé -
Derniers articles

OPÉRA GRAND AVIGNON. VERDI : Luisa Miller, les 17 et 19 mai 2024. Axelle Fanyo, Azer Zada, Evez Abdulla… Frédéric Roels / Franck Chastrusse...

Malentendu, quiproquos, contretemps… Luisa Miller puise sa force dramatique dans son action sombre et amère ; la tragédie aurait...
- Espace publicitaire -spot_img

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img