samedi 26 avril 2025

Liège. Salle Philharmonique, le 11 novembre 2012. Gossec: Thésée. Virginie Pochon (Eglé), Jennifer Borghi (Médée)… Chœur de chambre de Namur. Les Agrémens. Guy Van Waas, direction.

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Gossec, dévoilé

Déjà mis en musique par Lully (1675) puis Mondonville (1767), Thésée regorge de scènes et de tableaux propres à l’enchantement d’une tragédie lyrique dont la forme est héritée du XVIIè. Pour autant, fidèle à la sensibilité du XVIIIè, Gossec (portrait ci dessus) fait évoluer le genre avec un sens personnel de la continuité dramatique: bataille, chants et rituels sacrés, invocation infernale, admirables duos amoureux où se précise un art du récitatif admirable (proche d’Atys de Lully et annonçant aussi l’opéra comique romantique)… tout œuvre à l’expression des passions: haine et tempérament de Médée dont les vertiges et la hargne vengeresse (à grands coups de trombone et timbales) restent finalement impuissants face au lien qui unit Thésée, pourtant éprouvé, à la jeune princesse qu’il aime (Eglée). Aux cris déchaînés d’une Médée fiurieuse répond aussi la tendresse mesurée et surprenante de l’amoureuse Eglé dont la figure rééquilibre un ouvrage qui n’aurait pu être qu’inféodé aux enchantements de la magicienne infernale. L’opéra de Gossec est créé en 1782 : il s’inscrit dans une succession de créations lyriques marquées par la présence des compositeurs étrangers à la Cour de France (après Gluck, les Italiens Piccinni puis Sacchini s’affirment non sans arguments sur la scène lyrique française); Grétry (Andromaque, 1780) et donc Gossec ne sont pas en reste, et la recréation de son Thésée est un nouveau jalon particulièrement réussi dans l’histoire lyrique des années 1780…

D’emblée, la cohésion de la production s’impose: le plateau vocal est solide, l’un des plus convaincants jamais réunis pour le cycle des recréations tragiques en série, depuis Andromaque de Grétry (1780), puis Amadis de Jean Chrétien Bach (1779), à l’initiative du CMBV et du Palazzetto Bru Zane, principaux maîtres d’œuvre de ce regain d’intérêt pour la lyre tragique sous la règne de Marie-Antoinette, à quelques années de la Révolution et du changement de régime.

Il ne faut guère aller bien loin pour recueillir la vibration de l’époque: déjà le théâtre lyrique résonne de nouvelles convulsions, elles-mêmes préfigurant les années de terreur à venir. D’où vient que les compositeurs sur les sujets légués par Quinault, entre autres au XVIIè, se concentrent ainsi malgré des titres majoritairement masculins (Thésée, Renaud, Atys…), aux héroïnes furieuses et douloureuses ? C’est le propre de la série : un profil nouveau féminin se précise dont l’expression spécifique, musicalement très raffinée, réalise ce passage des passions baroques au sentiment romantique; voyez ces Armide, Cybèle et Médée (sans omettre Arcabonne dans Amadis de JC Bach) auxquelles les compositeurs étrangers à Paris, dans le sillon tracé par le visionnaire Gluck, réservent leurs meilleurs développements…
Aux côtés de Gluck et Piccinni, Gossec s’illustre avec un tempérament original, en maître de la coloration instrumentale (cuivres et bois très finement sollicités selon la carte émotionnelle des situations), des étagements spectaculaires (chœurs éclatés ou dialoguant avec les solistes), de la psychologie surtout d’une Médée, finement abordée, dans le style contemporain de la Médée du Renaud de Sacchini (1783): Gossec sait traiter les doutes, les vertiges haineux comme les blessures et dissimulations de l’amoureuse solitaire et impuissante avec un feu d’une justesse visionnaire: ici, le portrait si fameux de la Médée de Cherubini, écrite plus de 15 ans plus tard (1797), prend sa source.
Du reste, Thésée paraît avec une richesse égale comme la tendre mais déterminée Eglée, vraie rivale de la Magicienne terrifiante qui paraît à Athènes, après avoir tué les enfants qu’elle avait eu de Jason… Son parcours donne le frisson.

Au service des passions préromantiques de la partitions, les deux protagonistes: Médée et Thésée, auxquels il faut aussi ajouter donc la figure d’Eglée, sont défendus par les chanteurs choisis: la mezzo Jennifer Borghi caractérise un rôle singulier, démésuré même (comme la Médée tout autant contradictoire et trouble que Sacchini portraiture dans Renaud) et pourtant très attachant; tout en projetant le texte avec une flamme vengeresse dont les accents préfigurent après Cherubini jusqu’à Spontini (air concluant le II: « Dépit mortel, transport jaloux… »), la cantatrice italo-américaine sait dévoiler le visage de la femme blessée… plus humaine démunie que sorcière manipulatrice. Rien à dire non plus à la projection naturellement articulée et souple du ténor Frédéric Antoun dont le Thésée perce par son épaisseur lui aussi humaine; entre eux, l’Eglé de Virginie Pochon résiste et combat avec ses propres armes: celles d’un chant tout en tendresse active d’une irrésistible vraisemblance. Les trois font déjà la réussite de la recréation. A leurs côtés, saluons également le Roi athénien Egée du baryton Tassis Christoyannis (belle prestance d’un héroïsme tout en panache) comme La Grande Prétresse puis Minerve de Katia Velletaz.


tragique spectaculaire et orchestral

Champion des précédents La Vénitienne de Dauvergne comme La mort d’Abel de Kreutzer, -deux réalisations discographiques récemment éditées-, le chef Guy van Waas, d’une précision nuancée et constante, exprime le chant d’un orchestre qui étonne par son raffinement instrumental; Gossec, père de la Symphonie française, se dévoile ici en génie dramatique, sachant enchaîner les tableaux comme les profils mêlés des figures simultanées (en particulier dans le I, où les combattants dans les coulisses s’associent au choeur des prêtresses au devant de la scène…): le chef réussit le délicat étagement des solistes et des choeurs, associés à la vitalité nerveuse jamais strictement illustrative des musiciens des Agrémens. A l’intelligence de la direction répond en particulier l’éloquence constante du chœur de chambre de Namur, particulièrement habité pour chaque scène: un modèle de chant collectif, lui aussi subtilement dramatique.

Même sensibilité ciselée dans les détonants contrastes des III et IV, actes dominés par la figure de Médée, faussement proche d’Eglé; la furie haineuse manipule, avale des couleuvres, feint les douceurs pour mieux se répandre ensuite et rugir… La vision du chef profite des sessions d’enregistrements qui ont précédé la première à Liège. Le disque est annoncé courant 2013: un nouveau jalon de la tragédie française à ne pas manquer.

Incontestablement, en mettant en musique le livret de Quinault, précédemment traité par Lully, Gossec surprend par le flux orchestral fédérateur qu’il sait développer; la tension finement architecturée des récitatifs; la diversité des formes et combinaisons vocales et chorales; la science maîtrisée des transitions (la succession de l’ouverture en situation, – la première du genre car la partition créée en 1782, remonte à 1777/1778- et de la première scène, est d’un effet dramatique toujours saisissant qui plonge immédiatement le spectateur dans le cœur de l’action, guerrière et sentimentale). Tout cela indique une écriture trempée, un tempérament puissant et fin dont la réussite justifie évidemment la présente production comme la publication discographique qui suivra courant 2013.

Liège. Salle Philharmonique, le 11 novembre 2012. Gossec: Thésée, 1782 (recréation). Virginie Pochon (Eglé), Jennifer Borghi (Médée), Frédéric Antoun (Thésée), Tassis Christoyannis (Egé), Katia Velletaz (La grande prêtresse, Minerve), Mélodie Ruvio (Cléone)… Chœur de chambre de Namur. Les Agrémens. Guy Van Waas, direction.

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