Pianos à la folie ! Entretien avec Yvan Offroy, Directeur du festival des Pianos Folies du Touquet Paris-Plage, à l’orée de leur onzième édition (du 15 au 21 août). Entretien réalisé le 28 juin 2019. La musique a toujours été présente au Touquet Paris-Plage, comme en témoigne une histoire jalonnée de célébrités. Dès les années 20 – années de ses premières folies – les deux casinos de la station accueillent opérettes et opéra-comiques, sous la direction artistique d’un frère de Léon Blum. L’on y danse au son des Collégiens de Ray Ventura et d’autres orchestres de music-hall. En 1933, Christian Ferras, fils d’un hôtelier, y voit le jour. Maurice Ravel, déjà gravement malade, passe ses derniers étés chez le collectionneur et mécène André Meyer. Georges Van Parys y compose ses opérettes. Lucienne Boyer et Maurice Chevalier peuvent y croiser Django Reinhardt et Serge Lifar. Plus tard, le jeune Lucien Ginsburg – futur Serge Gainsbourg…- accompagne du clavier les agapes d’un restaurant célèbre.
Ne tirez pas sur le pianiste… » : spécialement s’il participe dès 2009 à l’aventure des Pianos Folies, un festival bâti sur le sable par Yvan Offroy, un ancien fonctionnaire territorial épris de musique et de beauté. Un rêve devenu, dix ans plus tard, une réalité bien vivante, qui a su résister aux flots comme aux courants d’air politiques.
CNC / CLASSIQUENEWS : A la création en 2009, le président du Conseil général de l’époque vous donnait cinq ans pour gagner votre pari. Est-ce que le risque était si grand ?
Yvan Offroy : Non, dans la mesure où l’on avait pris dès la création les bonnes options : le choix des plus grands pianistes actuels, pour qui, on le sait bien, le public répond présent. Nous avions, dès le départ, l’envie de prouver que la musique classique peut être partagé par le plus grand nombre, aussi bien par les néophytes que par les connaisseurs, et pour cela il fallait trouver la bonne formule, pour qu’il soit accessible à tous : on n’est pas obligé de connaître pour apprécier la musique. D’où une ouverture très large, grâce à trois options : une politique des prix, avec la moitié des concerts gratuits, et pour les autres des tarifs allant de 10 à 40 euros, inchangés à ce jour, et des concerts aussi bien dans la périphérie qu’au Touquet même, pour irriguer l’ensemble du Montreuillois, et enfin le souci de l’équilibre financier, basé sur un tiers de fonds privés à trouver pour compléter les fonds publics – un tiers également – et pour le dernier tiers de ressources propres. Et notre budget, 350.000 euros, est resté stable à travers le temps. Voilà les raisons qui nous ont permis de tenir.
CNC / CLASSIQUENEWS : Malgré les changements politiques ?
Yvan Offroy : L’alternance politique n’y a rien changé. D’abord parce que le conseil départemental – d’où je suis issu -, toujours de gauche, m’a suivi dès le départ, de même que la Région, malgré son passage à droite en 2015, car son Président, Xavier Bertrand, a bien compris les enjeux d’un festival de cette qualité, tant en termes d’économie et d’attrait touristique – avec quasiment 50% de festivaliers qui ne sont pas du Pas-de-Calais. On est devenu, à en croire certains, la Roque d’Anthéron du Nord. Nous programmons d’ailleurs souvent les mêmes artistes. Et je connais bien René Martin, avec qui j’entretiens d’excellentes relations. Le Touquet est reconnu aujourd’hui comme étant le plus grand festival de musique classique des Hauts-de-France.
La Roque, Le Touquet… La comparaison s’arrête là… Contrairement à René Martin, qui est à la tête de toute une organisation bien structurée, je ne suis qu’un petit artisan, qui, doit tout faire lui-même. Bien sûr, je bénéficie du soutien de la municipalité et du personnel communal. Je bâtis la programmation avec mon épouse, mais je dois tout régler moi-même, de la recherche des financements et des subventions aux questions quotidiennes d’intendance et de communication. On travaille encore de façon artisanale. On n’a même pas d’agence de presse ou d’accès à une billetterie informatisée, promise par la municipalité. On fonde de grands espoirs – tant pour la communication que pour la billetterie – sur la future salle de concerts Maurice Ravel de 1.200 places du Palais des Congrès rénové, disponible dès l’an prochain.
CNC / CLASSIQUENEWS : Est-ce que le fait d’avoir à donner les concerts dans une salle de remplacement, cette année comme la précédente, a constitué un handicap notable ?
Yvan Offroy : Grâce aux efforts de la municipalité pour l’aménager, pas tant que cela. L’acoustique est tout à fait acceptable. Et elle est plus fonctionnelle pour les artistes comme pour moi, avec des loges et des bureaux proches de la salle, contrairement à ceux de l’ancien casino avec ses dédales.
CNC / CLASSIQUENEWS : Comment construisez- vous chaque édition ? Avez-vous pensé parfois à créer des thématiques ?
Yvan Offroy : Non, car cela est trop compliqué et trop restrictif. A l’exception de l’édition 2011, consacrée en partie à Ravel, qui est venu au Touquet dans les année 30, Je remets tout à plat tous les ans, en pensant toujours aux « folies » que je vais faire. Je ne veux rien faire de traditionnel ou de contrefait : chaque édition est différente. Je cherche à inventer du nouveau. En gardant l’âme de ce qui fait le festival : bien accueillir les artistes, les mettre en confiance – en leur parlant russe par exemple – et répondre à leur demande prioritaire : un piano pour travailler. A midi on mange tous ensemble à la cantine, où l’on peut faire le point, personnels, bénévoles, techniciens et artistes, cela contribue à l’ambiance du festival. Et l’on fait la fête après le concert ! On est très sérieux sans jamais se prendre au sérieux. L’âme du festival, ce n’est pas un hasard, est intimement liée à la forte présence russe : on ne vient pas juste faire un concert, on est un interprète qui vient avec son cœur et qui joue différemment au Touquet, en harmonie avec la beauté du lieu.
CNC / CLASSIQUENEWS : Comment se décide le choix des programmes ?
Yvan Offroy : On leur demande de nous faire trois propositions de programme, dans lesquels on fait notre choix, en fonction des autres concerts. Mais on peut aussi ne rien changer à un programme, comme ce sera le cas pour celui de Boris Berezovsky cette année, exceptionnel par son originalité, entre transcriptions de Rachmaninoff rarement jouées et une seconde partie entièrement vouée à Scriabine.
D’une édition à l’autre, on a vu effectivement se succéder ces jeunes talents… pour la plupart devenus des artistes confirmés : Rémi Geniet, Jean-Paul Gasparian, Julian Trevelyan, Lukas Geniusas, etc. Ils sont de plus en plus nombreux et talentueux, et c’est la mission du festival de leur offrir l’occasion de se produire. Je suis toujours enthousiasmé de voir des jeunes se consacrer corps et âme à leur art. Un Alexandre Kantorow, venu en 2015, premier Français à remporter le Concours Tchaïkovski, en est un parfait exemple.
Reproche récurrent aux Pianos Folies, la présence très forte de pianistes issus de l’école russe… Qu’on le veuille ou non, cela reste une école exemplaire, de par son héritage intellectuel et artistique, cela reste une référence constante, qui résiste à tous les régimes politiques et s’enrichit de leurs apports comme de leurs défauts. D’ailleurs le gouvernement russe tient à garder cette excellence, en matière culturelle, comme en témoigne la construction de nouvelles salles de concert et la multiplication des conservatoires. De son côté, Denis Matsuev est à la création de concours de jeunes talents. Et nombre de ces pianistes russes font maintenant partie du paysage musical français, comme Mark Drobinsky, Mikhaïl Rudy. Et comment ne pas évoquer le souvenir de Brigitte Engerer, exemplaire ambassadrice de l’école russe, qui avait accepté d’être la marraine du festival ? Cette dominante russe est indéniable, mais cette année par exemple, on trouvera Alexandre Tharaud, Benjamin Grosvenor, un Japonais, un Américain, etc. Des représentants de neuf nationalités. A ceux qui me reprochent de faire revenir les mêmes, je réponds que la fidélité est une valeur fondamentale pour moi. Je sais que René Martin défend la même attitude.
CNC / CLASSIQUENEWS : Quelles seront les Folies de cette édition 2019 ?
Yvan Offroy : Cette année, on ouvre sur un feu d’artifice, dans lequel on place un pianiste, Frédéric la Verde. Et l’on propose une Nuit du piano, en allant du baroque au classique : le récital d’un contre-ténor, Théophile Alexandre – également danseur – accompagné au piano par Guillaume Vincent, sera suivi par le récital de Anna Vinnistkaya. Cette année, d’ailleurs, tous les arts seront représentés, danse, peinture, poésie avec Brigitte Fossey – une touquettoise d’adoption -, et cinéma la nuit sur la plage avec une séance d’hommage aux pionniers du cinéma muet. Et l’on retrouvera deux de nos plus fidèles et prestigieux complices : Nikolaï Lugansky et Boris Berezovsky. Mon seul regret est de ne pouvoir programmer d’orchestres dans cette salle. Vivement l’année prochaine !
Autrement, il y a toujours un festival off, à Etaples, sur un chantier de construction navale, à Rang-du-Fliers. J’aime à donner des concerts dans des lieux authentiques de vie. Quand j’étais au Conseil général, j’avais ainsi fait jouer l’Orchestre de Douai dans le tunnel sous la Manche, et également dans l’usine Renault locale. A Rang, c’est un concert annuel à l’hôpital : la musique remplace ce jour-là les médicaments. Et l’on incite les jeunes et leurs parents à faire de la musique en faisant entendre les élèves de Nicole Lasson et Nadia Offroy, mon épouse.
Folies obligent, le Festival présente beaucoup de concerts – gratuits – en plein air. Je me souviens d’un instant magique, lors d’un récital de Dinara Klinton au centre hippique du Touquet, lorsque deux cavalières sont passées comme dans un rêve…
CNC / CLASSIQUENEWS : Comment préparer des musiciens à jouer dans des conditions parfois difficiles ?
Yvan Offroy : Généralement, ils acceptent ces aléas sans problèmes. Notre souci est de les protéger au maximum, comme évidemment les pianos eux-mêmes. Onze ans après leur création, les Pianos Folies sont bien reconnues sur le plan régional, mais encore insuffisamment sur un plan national, me semble-t-il. Quelle en est l’explication ? Sans doute le manque de communication. Nous ne pouvons pas nous offrir les services d’une agence de presse. Je prône depuis des années, vu le nombre de festivals, une communication au niveau de la Région, englobant toutes ces manifestations musicales. On pourrait y travailler tous ensemble. Heureusement, cette année voit la confirmation d’un véritable partenariat avec Radio France. Et l’on est bien présent sur les réseaux sociaux.
CNC / CLASSIQUENEWS : Il est un mélomane célèbre au Touquet, le Président Macron, espérez-vous sa venue au Festival ?
Yvan Offroy : Il est le bienvenu, évidemment. Il fait partie des invités de la municipalité. Mais cela pose malheureusement des problèmes de sécurité, spécialement dans la salle actuelle
CNC / CLASSIQUENEWS : 2009-2019, l’heure d’un premier bilan avant cette onzième édition ?
Yvan Offroy : Certes, on pourrait faire mieux, mais toujours dans les limites de nos moyens. L’audience augmente à chaque édition. Je n’ai pas honte de ma programmation, bien au contraire : chaque saison s’achève sur un bilan artistique pleinement satisfaisant. Cela ne peut aller qu’en s’améliorant, tant que je peux compter sur mes trois piliers, les artistes évidemment, les financeurs sans qui rien ne pourrait exister, et le public, qui pour moi est sacré. Je veux que l’âme de ce festival soit reconnue, comme l’est celle de la Roque d’Anthéron. En ancien militant, je trouve que la musique devrait aider les hommes à vivre mieux, simplement. Essayons donc d’améliorer le monde à travers la musique.
Propos recueillis en juin 2019 par Marcel Weiss
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LE TOUQUET. Festival Piano folies, du 15 au 21 août 2019
INFOS et RESERVATIONS sur le site des PIANOS FOLIES LE TOUQUET Festival de piano
http://lespianosfolies.com