jeudi 18 avril 2024

Jules Massenet: Le Mage. Biennale MassenetSaint-Etienne, Opéra-Théâtre: du 20 octobre au 7 décembre 2012

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Il y aurait donc encore de l’inédit dans les opéras de Jules Massenet, l’auteur tant aimé de la fin du XIXe qui enchanta les générations d’ensuite avant d’être quelque peu… minimisé par l’évolution de l’histoire musicale ? La ville natale – Saint-Etienne – a entrepris depuis 1989 de favoriser une célébration de son compositeur le plus célèbre, en une Biennale qui aborde sa 11e édition en 2012. Cette année, on ressuscite Le Mage, alias Zoroastre ou Zarathoustra, sur un sujet exotico-passionnel qui devrait réserver quelques surprises dans le traitement musical.


Vous n’aimez pas la dissonance

« Vous êtes un homme heureux » : je vous plains, monsieur, d’être si facilement heureux. Faut-il qu’un homme soit tombé bas pour se croire heureux ! Si ma langue pouvait prononcer une telle phrase, elle en resterait paralysée. Vous n’aimez pas la dissonance. Arrière les indiscrets qui troublent la somnolence de votre bonheur. » Est-ce une lettre inédite d’un atrabilaire fin de siècle à Jules Massenet (1842-1912) ? Non point, et les baudelairiens auront sans doute reconnu l’inimitable griffe de Charles décochant des impertinences à un journalistique et critique de son époque, Jules Janin. Tiens, un Jules, tout comme le compositeur de Werther et Manon, et un peu avant qu’on ne parle de la République des Jules (Favre, Ferry, Simon) qui consacra la chute de Napoléon III et anticipa cette 3e République dont Massenet fut l’un des plus beaux ornements culturels.


Couvert d’honneurs et de gloire

Auteur prolifique pour la scène lyrique (une trentaine d’opéras), adoré des femmes, homme charmant et bienveillant, fort cultivé au-delà de son métier de musicien et curieux de toutes les formes artistiques, ce Stéphanois eut vite la reconnaissance officielle de son talent. Prix de Rome à 21 ans, soutenu par Berlioz mais aussi A.Thomas (« il y a trois sortes de musiques, la bonne, la mauvaise, et celle d’Ambroise Thomas », commentait ce farceur de Chabrier), commençant son ascension lyrique à 25 ans, compositeur universellement fêté à 42 pour sa Manon puis à 50 pour son Werther,ou sa « Méditation de Thaïs », il est nommé professeur de composition au Conservatoire en 1878 (et libéral dans son enseignement : Koechlin, Schmitt, R.Hahn n’auront nullement été brimés par son autorité) ,devient en 1879 le plus jeune membre de l’Institut, et finira sa « riche et florissante carrière couvert d’honneurs et de gloire ».


Un perfectionniste anxieux

Alors, heureux, Monsieur Massenet (il détestait son prénom et ne le laissait pas imprimer) ? Pas si sûr, au-delà du fait qu’il était « un anxieux », perfectionniste en diable, obsédé de ponctualité (« c’est chez moi une manie »), lui qui parlait de « cette carrière musicale pour laquelle je doute encore avoir été destiné tant j’ai gardé l’amour des sciences exactes ».Ces nuances sur « l’homme heureux » rappelées par Gérard Condé nous font aussi penser au drame de sa fin : il meurt en 1912 d’une cruelle maladie (la même que celle de Claude Debussy…). Ce travailleur acharné – levé « généralement vers 4h, oeuvrant parfois 16 heures par jour » – notait « au recto des pages, entourées d’un cercle, des précisions relatives au temps, gris en général, à la pluie : « triste » est un mot qui revient souvent. »


Les tressautements de Manon

Mais quelle place dans l’histoire musicale, cent ans après sa mort ? Le compositeur quasi tout opéra – nuances : de la musique religieuse dont un Requiem, des mélodies (environ 200 tout de même !), des ballets, 7 suites symphoniques ( dont les assez connues Scènes Pittoresques ) – a sans doute d’abord « souffert » de sa trop universelle célébrité, lui qu’on a pu ensuite réévaluer comme un « exquis petit maître, dans les limites de son génie, limites qu’il était assez fin pour connaître » (R.de Candé). Cet artisan infatigable d’un art lyrique français modéré, tendre, parfois aux limites du prosaïsme, aura pourtant, en 1886, fait son voyage à Bayreuth, vu passionnément Parsifal, « ce qui le bouleverse : la découverte du théâtre wagnérien le transforme, et sur ce plan il n’est pas le seul, rejoint par D’Indy ou Chausson » (Lee Yu Wang ).


Adieu, notre petite table…

Bref, son œuvre ne saurait se résumer au si populaire « adieu notre petite table » de Manon et Des Grieux, ni même à cette tendance à l’affadissement qui traduit (et trahit) en « soft » le modèle goethéen des « (Souffrances du jeune) Werther ». Héritier du « grand opéra romantique français inauguré par Auber, Hérold, Meyerbeer et Halévy », aimablement tutellé par Gounod qui l’appelait « mon cher fils », il ne pouvait être… le génial Debussy, qui à l’orée du siècle (XXe) réinvente le lyrisme et le rend « absolument moderne »(comme aurait dit Rimbaud) avec Pelléas. D’ailleurs, et pour citer le toujours lucide Narrateur dans La Recherche du Temps Perdu : « Le jour devait venir où, pour un temps, Debussy serait déclaré aussi fragile que Massenet et les tressautements de Mélisande abaissés au rang de ceux de Manon. Car les théories et les écoles, comme les microbes et les globules, s’entre-dévorent et assurent, par leur lutte, la continuité de la vie. »
Gérôme à Hollywood


Adieu, notre petite table…

« Un hollywoodien » (avant la lettre), écrit ici même Lee Yu Wang, en le rapprochant du peintre Gérôme (académique ? pompier ? c’est selon les goûts, en tout cas résolu contempteur des impressionnistes : « pour que l’Etat accepte de pareilles ordures – signées Monet ou Pissarro -, il faut une bien grande flétrissure morale »)… Dont il partage (côté texte et musique) « l’imaginaire méticuleux, la sensualité orientaliste, une vraisemblance photographique…préparant par la fresque grandiose et suggestive l’essor futur du cinéma » ? Il est vrai que l’éclectisme des sujets massenétiens – antiquité, christianisme, médiévalisme, orientalisme, exotisme toutes destinations…- laissait ouverts bien des domaines d’inspiration, parfois inattendus et sophistiqués. Ainsi en va-t-il pour cette résurrection (après 116 ans de mise au tombeau) d’un Mage – de 1891, représenté non sans succès, mais ensuite oublié après une reprise hollandaise de 1896 -, qui s’appelle Zarâstra, alias Zoroastre ou Zarathoustra…


Je vous enseigne le Surhumain

S’agirait-il de celui qui vaticinait chez Nietzsche : « Voici, je vous enseigne le Surhumain, qui est le sens de la terre… L’homme est quelque chose qui doit être surmonté. Qu’avez-vous fait pour le surmonter ? ». Que nenni ! Ainsi ne chantait pas Zarâstra, en un scenario empeplumé par Jean Richepin – poète d’une Chanson des Gueux qui lui valut un mois de prison, dramaturge et même acteur le temps d’une pièce avec Sarah Bernhardt –, où le Mage iranien doit ordonner ses ferveurs entre Varedha, prêtresse « de la divinité malfaisante de la volupté », et Anahita, reine touranienne. « Le sujet exotique traitant par ailleurs aussi bien de l’emprise psychique des religions que des passions amoureuses –déjà abordées dans Le Roi de Lahore, puis Hérodiade »,(J.Christophe Branger) ne pouvait qu’intéresser le compositeur, « malgré certains clichés du livret », et la nécessité de sacrifier aux conventions du genre avec un ballet au 2e acte de cette « action en 5 actes ». Wagner est en filigrane, avec « des effets harmoniques et orchestraux audacieux, et une structure d’ensemble par motifs de rappel »(leitmotive), la noirceur du personnage de Varehda qui évoque Ortrude ou Kundry, même si Massenet reste fidèle au schéma traditionnel airs-duos-ensembles. L’orchestration (riche en percussions, et cuivres, avec deux tubas) et la masse chorale font bloc pour un opéra où il ne manquera que…la mise en gestes, l’espace et le décor.


L’enfant du Pays des terrils

Dans le cadre d’une « simple » version de concert – on verra plus tard pour l’agrandissement en format cinémascope et numérique ! -, l’Opéra Théâtre de Saint-Etienne poursuit son inlassable exploration des richesses célèbres et surtout moins connues qu’a laissées l’enfant du Pays des Terrils. La Biennale Massenet en est à sa onzième édition, et ne pouvait ne pas marquer d’une pierre…noire le centenaire de la mort du compositeur. Le chef Laurent Campellone (multi-instrumentiste, diplômé de philosophie, ancien étudiant de Christoph Eschenbach, Premier Prix des jeunes chefs à Spolète), se passionne pour ce Festival et Le Mage en particulier, y entrainant son Orchestre Symphonique et son Chœur Lyrique, ainsi que des solistes particulièrement à l’aise dans le répertoire lyrique français : l’Américaine Kate Aldrich (Varedha), la Française Catherine Hunold (Anahita), l’Italien Luca Lombardo (Zarastra), le Canadien Jean-François Lapointe( Amrou)… La Biennale 2012, commencée fin octobre avec Cendrillon (en association avec le Centre vénitien du Palazetto Bru-Zane), donnera donc deux représentations du Mage, puis un concert symphonico-lyrique sur le thème « aimez-vous Massenet ? », un récital de mélodies, Pensées d’automne (avec Ingrid Perruche et Lionel Lhote), pour terminer par un ensemble d’extraits de Thaïs (Nathalie Manfrino et Markus Werba, dirigés par L.Campellone) et « en création mondiale » pour orchestre et…électrophone (il ne doit pas s’agir d’un Teppaz !), une Vision que le compositeur n’a jamais entendue sur scène et qui « laisse entrevoir la future méditation de Thaïs ». Exposition et colloque complètent ce dispositif de célébration soulignée dans le texte et le calendrier stéphanois.


Opéra-Théâtre de Saint Etienne. Biennale Jules Massenet (1842-1912), du 21 octobre au 7 décembre 2012. Re-création de Le Mage en version de concert, dir. Laurent Campellone. Vendredi 9 novembre (20h), dimanche 11 (15h). « Aimez-vous Massenet ? », dimanche 18, 15h. Pensées d’automne, mardi 20, 20h. Sur les pas de Thaïs, mardi 4 décembre, 20h.
Information et réservation : T.04 77 47 83 40 ; www.operatheatredesaintetienne.fr

Centenaire Jules Massenet 1912-2012
Dossier spécial Jules Massenet
Né dans un faubourg de Saint-Etienne (Loire), le 12 mai 1842, Jules Massenet incarne
à la fin du XIXè, ce postromantisme éclectique au souffle hollywoodien,
comme le désigne aussi son aîné le peintre académique Gérôme (1824-1904)
dont la récente exposition du Musée d’Orsay a souligné l’imaginaire
méticuleux, épris de sensualité orientaliste autant que de vraisemblance
photographique et d’exactitude archéologique. Les deux créateurs qui se
sont liés (la curiosité de Massenet pour les autres disciplines
artistiques et visuelles, reste constante toute sa vie durant) préparent
par leur génie de la fresque grandiose et suggestive, l’essor futur du
cinéma; voir et concevoir en grand certes mais rester fidèle à ce
réalisme humain, fourmillement ciselé de détails qui ne sacrifie jamais
la subtilité des évocations sur l’autel du spectaculaire… En lire +

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