vendredi 25 avril 2025

Joseph Losey, Don Giovanni de Mozart (1979)Les « suppléments » du coffret dvd

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L’estimation d’un coffret dvd tient certes à la qualité de son sujet principal, ici l’intégralité de l’opéra de Mozart. Mais rentrent aussi en compte, et pour notre plus grand plaisir, les bonus complémentaires, ces « suppléments » qui apportent leur éclairage sur la compréhension de l’œuvre, sa genèse et ses enjeux.

D’autant plus nécessaires se révèlent les quatre films composant le dvd bonus du coffret.
Il y a tout d’abord les reportages de l’époque de l’enregistrement (juin 1978) –qui a précédé le tournage-, puis les images captées pendant le tournage du film (commencé en septembre suivant) en Vénétie, à Vicenza principalement.
Avec le recul, les conditions dans lesquelles a été produit « le film-opéra » prennent toute leur importance et soulignent combien le résultat fut miraculeux. On y mesure la distance qui au départ, oppose le milieu musical, des ingénieurs et des musiciens, et l’équipe technique du réalisateur. Les visions changent selon les partis, chacun y explique sa vision sans guère comprendre les nécessités de l’autre. Au cœur des nombreux problèmes de la production, l’opposition de la vision de Losey qui pense en image et dans l’expressivité de l’action filmée, et celle des chanteurs et des musiciens, plus soucieux de continuité musicale. La difficulté atteignit certainement un degré supplémentaire encore lorsque Losey imposa de chanter les récitatifs au moment des prises du tournage. Obligeant à une autre prise de son, différente de celle de l’enregistrement dans l’église du Liban. Ici le plein air accompagné au clavecin (par Janine Reiss), là l’enregistrement préalable avec orchestre, sous la voûte réverbérante de l’église parisienne.
S’en suivit une divergence de point de vue, exprimée dans de nombreuses lettres, après le tournage, entre les tenants d’une vision cinématographique et les défenseurs de la partition musicale.
Pourtant à y réfléchir de plus près, il n’y eut pas davantage de paramètres à prendre en compte ou à surmonter ici que dans la production d’un opéra ordinaire : théâtre ou musique, action ou vocalité, image ou son ? L’opéra n’a de cesse d’interroger les formes qu’il suscite. Et les contingences auxquelles le cinéaste et les musiciens durent faire face, avec moultes compromis pour que sorte enfin le film, appartiennent aux avatars ordinaires du monde lyrique.

Qu’il s’agisse du film d’époque tourné pendant les séances d’enregistrement sous la direction de Lorin Maazel pour la firme CBS (« à propos de Don Giovanni », réalisé par Jean-Pierre Jeanssen), ou bien encore de l’analyse de Michel Ciment, sur l’écriture filmique de Losey, le regard du cinéaste confronté à une œuvre qu’il découvre au moment de l’enregistrement pour le disque, reste au cœur du sujet. Car le film qui résulte de cette odyssée cinémusicale, demeure la vision de Losey. Ce qu’il a réalisé à partir des éléments nombreux qui lui furent imposés au départ : – la distribution des chanteurs non acteurs de cinéma, l’idée du plein air et des villas palladiennes (la suggestion aurait été esquissée à Rolf Liebermann par Patrice Chéreau d’abord pressenti pour le projet, mais qui déclina l’offre par la suite), la partition (Losey était jusque là peu amateur d’opéra), le résultat prend valeur de chef-d’œuvre absolu.

Tout autant bénéfiques pour comprendre les raisons qui conduisent la Gaumont à reprendre l’ouvrage et lui offrir au dvd, une seconde vie, sont les deux autres compléments réalisés pendant le remixage, la recherche et les restaurations successives des bandes originales. L’enquête au terme de laquelle les équipes de la Gaumont prennent enfin possession du master d’origine, celui qui avait permis de réaliser la bande-sonore qui était sortie sous étiquette CBS, relève d’une roman à péripéties.
L’exposé expliquant les qualités et les limites du système dolby de l’époque, qui s’avéra ensuite source de bien des problèmes au montage, permet de comprendre outre la spécificité des contraintes techniques, les options d’ordre esthétique que choisirent les ingénieurs du son pendant le remixage.
Enfin, le documentaire de plus d’une heure, « Don Giovanni, le film-opéra », réalisé par Thibault Carterot, révèle avec pertinence et clarté, l’ampleur du travail de restauration accompli par les équipes de la Gaumont et davantage encore.
Outre les étapes commentées de cette aventure bis, les propos et les témoignages recueillis par les chanteurs, plus de vingt ans après le tournage, sont éloquents : difficultés de concentration (Kiri te Kanawa), découvertes de la caméra et rapports souvent distants avec Losey (Edda Moser que le cinéaste trouvait d’ailleurs, lors des premières séances de tournage, « trop dramatique », « trop opératique »), fatigue et faible disponibilité des musiciens, en particulier du chef Lorin Maazel qui accepta à l’arraché la proposition de Liebermann, ayant de nombreux autres engagements que ce projet.
Ce qui fascine c’est l’analyse que porte chacun sur les conditions de la réalisation : urgence, pression et même tension, fatigue des chanteurs auxquels il est demandé de jouer devant la caméra, ici « la fantaisie du chanteur » et là, les suggestions des techniciens, contraints par le manque de temps, le stress des producteurs, soucieux de voir le budget initial, exploser…

Ce retour en arrière sur le tournage, par la voix des interprètes, des techniciens et aussi des producteurs, montrent combien la « machine opéra » déjà fascinait, comme elle fascine encore aujourd’hui. Projet utopique et mégalomaniaque souhaité par Liebermann et Toscan Du Plantier, ce film-opéra demeure quoiqu’on en dise, un modèle, une oeuvre d’art, le prototype inégalé de tous les films qui sont venus après lui.

Quel sera son destin au dvd, voilà un autre enjeu à suivre. La France qui avait déjà applaudi, renouvelle son engouement. Qu’en sera-t-il pour les autres pays ? Aux Etats-Unis ou en Allemagne ? L’accueil y avait été des plus froids, en particulier de la part des critiques musicaux.
Sorti non sans un certain opportunisme en pleine année Mozart, le coffret mérite assurément tous les honneurs. Car le film de Losey a droit à une revanche. Le temps et le recul lui auront donné raison : les images du cinéaste parlent aujourd’hui pour lui. Gagner de nouveaux adeptes comme vaincre les réticents hier inconditionnels, seraient un juste retour des choses.

« A propos de Don Giovanni« (26mn, réalisation : Jean-Pierre Janssen)
« Losey et Don Giovanni« : l’analyse de Michel Ciment (15mn)
« L’odyssée sonore (1978-2006)« 
« Don Giovanni, le film-opéra« (1h15mn, réalisation: Thibault Carterot)

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