Jean-Philippe Rameau
Platée, 1745
Documentaire conçu au moment des représentations, à l’Opéra de Paris, en 2002. Réalisation : Don Kent, 1h, 2006.
Premier volet d’une série consacrée aux ouvrages méconnus de l’Opéra, Platée appartient au cycle « découvrir un opéra », grâce auquel Arte met à l’honneur en 2007, le genre opéra. Le réalisateur, Don Kent, a sélectionné plusieurs scènes clés qui offrent le prétexte à commentaires, analyses et témoignages. Ceux en particulier des interprètes, Marc Minkowski (chef d’orchestre), Paul Agnew (ténor ou selon la nomenclature de l’époque de Rameau, « haute-contre », interprète du rôle-titre) et Laurent Pelly qui signe la mise en scène. Dans Platée, grénouilles et créatures des marais descendent dans la fosse d’orchestre et prennent la direction de la musique. La folie (qui est un vrai personnage de l’opéra, en particulier dans l’acte II, quand chacun s’apprête pour célébrer le mariage de Jupiter et de la Reine des grenouilles) et le délire mènent la danse. Jamais Rameau ne fut plus inspiré par son propre projet, ni plus engagé à défendre ce qui lui est cher : l’empire de la souveraine musique sur les autres arts. Musicien de génie, il travaille à la prééminence de sa discipline : d’ailleurs, ne faut-il pas voir dans le personnage de la Folie qui surgit en rompant l’action de l’acte II, Rameau lui-même qui démontre la puissance irrésistible des instruments, aptes à émouvoir ou attrister, indépendamment du livret ? Le vrai pouvoir de la musique, tel est la question qui est au coeur de Platée. Paul Agnew s’intéresse à la psychologie de Platée (coquette et arrogante, vaniteuse et agressive, surtout crédule et naïve…) ; Minkowski loue l’inspiration du musicien qui mêle avec un panache époustouflant le comique et le tragique ; Pelly admire la dramaturgie de la musique : « pas une note de trop : chacune sert l’action »… Donc, Platée est un chef d’oeuvre, à redécouvrir. Merci Arte de nous offrir cette révélation et ce plaisir (écoutez l’air de la Folie narrant les amours malheureuses d’Apollon et de la nymphe Daphné… : un joyau !).
Distribution
Platée, Paul Agnew
La Folie/Thalie, Mireille Delunsch
Mercure/Thespis, Yann Beuron
Jupiter, Vincent le Texier
Junon, Doris Lamprecht
Un Satyre/Citheron, Laurent Naouri
L’amour/Clarine, Valérie Gabail
Momus, Franck Leguérinel
Les Musiciens du Louvre, Marc Minkowski (direction)
Un opéra délirant visionnaire
Jamais musicien n’imagina un tel délire. Pour éprouver la jalousie de Junon, et lui jouer un tour à sa façon, Jupiter feint d’aimer la Reine des Grenouilles, Platée, « superbe » nymphe en son marais… La belle habitante de l’onde se prend à ce tour et quand elle croit que l’hymen sera prononcé, Junon furieuse interrompt la noce, s’esclaffe jusqu’à l’hilarité déplacée, en dévoilant la mariée, reconnaissant que son époux lui a joué un admirable tour… L’épouse réconfortée accompagne Jupiter au ciel, amusée d’avoir cru être détrônée par une pauvre et hideuse batracienne qui coasse. Au travers de cette nouvelle péripétie jupitérienne, Rameau épingle la naïveté d’une romantique avant l’heure, qui s’est plue en aimée du dieu… Le livret d’Autreau, repris par Orville, donne matière à une série d’onomatopées célèbres, et surtout prétexte à l’ apparition de la Folie qui s’est emparée de la lyre d’Apollon, dans une scène totalement inédite, des plus fantasques, sur les planches lyriques françaises (Acte II, scène 5).
Platée, nymphe comique et tragique
Joué au Théâtre de la Grande Ecurie à Versailles, le 31 mars 1745, l’opéra-ballet de Rameau est une oeuvre visionnaire, atypique, grotesque au sens strict, qui paraphrase et parodie tous les poncifs de l’opéra français, mais en replaçant les éléments ciblés pour que naisse une cascade de tableaux comiques. Outre son propos comique et bouffon, Rameau a conçu un personnage véritable, prototype éloquent de la figure ridicule, naïve, coquette, fragile, pathétique voire tragique. Platée est chanté par un homme travesti (un haute contre ou ténor). La partition fouille le sérieux de la grenouille grotesque. Jamais le délire comique ne fut poussé aussi loin.
Il reste surprenant que le compositeur ait osé surprendre son public courtisan et royal, pour le premier mariage du Dauphin, devant la Cour de Versailles, avec une oeuvre qui mettait en scène une parodie de mariage, la mariée incarnant le ridicule et la laideur personnifiés ! Quelques mois après la représentation, Rameau fut gratifié d’une pension et d’un titre (mai 1745). Lors de sa reprise à l’Académie Royale à Paris, l’oeuvre suscita l’admiration des critiques, dont Rousseau, Grimm et d’Alembert.
Prochain volet de la série « Découvrir un opéra » sur Arte : Cardillac de Paul Hindemith, samedi 10 février 2007, à 22h30.
Crédits photographiques
Platée à l’Opéra de Paris (DR)
La Folie qui a dérobé la lyre d’Apollon (Mireille Delunsch) (DR)