samedi 20 avril 2024

Jean-Baptiste Lully: Cadmus et Hermione (Dumestre, 2008) 1 dvd Alpha

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L’Opéra Grand Siècle

En 1673, Lully « invente » avec Cadmus, l’opéra français. Pour Louis XIV. A Versailles. La production présentée à l’Opéra-Comique en janvier 2008, s’inscrit comme un jalon mémorable depuis la légendaire réalisation d’Atys (en 1987, dans le même théâtre parisien). 20 ans ont passé: il fallait bien cela pour mesurer combien on s’était trompé: Lully n’a rien d’amidonné ni d’officiel, rien de raide ni de précieux. Mais une claire et limpide action de la musique, en étroite intelligence avec le texte…
Ce Cadmus fera date. Comme Atys, mais d’une toute autre manière: l’opéra français, ou tragédie en musique, est ici restitué plutôt que repensé. Bougies comme à l’époque, costumes foisonnants (carnavalesques: pour nous, la faiblesse du spectacle), déclamation ouvragée comme le métal le plus précieux, surtout chez les hommes…

A défaut d’une lecture unificatrice, la réalisation reste naïve, illustrative même, mais à la façon féerique et enchanteresse d’une boîte à musique ou d’un théâtre de marionnettes. Avec ses effets de machineries, ses décors peints à la Bérain, ses séductions visuelles un rien décoratives mais franches, simples, heureusement soumises à la progression du drame… Saluons la beauté des toiles peintes, dont le style et la palette chromatique respectent les ouvrages connus des grands décorateurs et machinistes travaillant à la Cour de Louis XIV. L’oeuvre qui a été faite à l’époque du monarque, encore jeune et amoureux (Louis le Galant, collectionne alors les conquêtes…) respire cette tendresse émotionnelle, cette fraîche volupté humaine. A l’équilibre des registres poétiques (héroïque et sentimental, comique voire trucculent, tragique et solennel…) répond la sincérité poétique du chant: lui seul porte la vérité des sentiments. Petite réserve cependant, dans cette imagerie enfantine, le dragon que combat Cadmus n’a rien d’effrayant: il symbolise même une joute qui a fait rire le public… Louis XIV aurait-il apprécié? Est-ce bien ce que désiraient les concepteurs, Lully et Quinault?

Tragédie en musique, premier état

Lully, première manière, ébauche avec Cadmus un premier canevas qui éblouit la Cour et le Roi, par son faste certes, mais aussi par son esprit: le Florentin connaît les ficelles de la Commedia dell’arte et reprend ce qui fit les succès des opéras vénitiens trente années auparavant, de Monteverdi à Cavalli: le rire et la truculence. Voir par exemple le personnage de la Nourrice qui rappelle souvent celle de Poppée dans l’Incoronazione di Poppea du grand Claudio. Le français lyrique de Lully s’écoule sans cérémonie, avec une fluidité que les vers de Quinault rendent aérienne. Comme nous l’avons dit, si les chanteuses ont des aigus bien pointus, leur diction s’efface devant celle des chanteurs, dont le plus méritant demeure le baryton allemand, André Morsch, jamais en difficulté avec la langue du Grand Siècle: habité sans excès, fragile et vulnérable mais héroïque et ardent, avec vérité! Contrepoint de sa noblesse articulée, le tempérament bouffon de son valet Arbas: ‘Arnaud Marzorati, décidément très à l’aise quand il faut exprimer les délices du français baroque, avec verve et délire, en un geste musical qui s’avère superlatif.

Dans la fosse, Vincent Dumestre à la tête d’un orchestre soucieux d’être aussi proche que possible, de l’orchestre lullyste de Versailles, sans pour autant disposer des Vingt-Quatre Violons du Roy depuis reconstitués par Patrick Cohën-Akénine (Festival de Sablé, août 2008), soigne la diction de l’orchestre, tout en préservant la continuité dramatique. Le chef, directeur du Poème Harmonique, dans un autre registre, plus noble, ample et théâtral, renouvèle ainsi le succès du Bourgeois Gentilhomme (1670) où l’on pouvait déjà apprécié le Moufti déjanté d’Arnaud Marzorati.

Songez qu’au moment où Lully « ose » son Cadmus, le tout Paris d’avril 1673, se querelle au théâtre (parlé), opposant La Pulchérie de Corneille, au Mithridate de Racine. Dès lors, avec Cadmus, l’opéra français offrait de nouveaux attraits sur la scène baroque, jusqu’à devenir modèle européen.
Ainsi les musiciens, grâce à Lully, prenaient-ils leur revanche sur les dramaturges classiques qui jusque là occupaient sans rivaux, les arts de la scène française.

La réalisation du spectacle au dvd est d’autant plus opportune qu’après la première réussite du Bourgeois Gentilhomme (1670), réalisée en 2004, Cadmus marque un premier point d’équilibre entre souffle dramatique et poésie émotionnelle, action et passion… Avouons que le duo Dumestre/Lazar gagne incontestablement quand leurs ainés, Christie/Carsen, en octobre 2008 sur la scène du Théâtre des Champs Elysées, font échoué les promesses d’une nouvelle Armide, …par artifice décalé et sophistication.

Jean-Baptiste Lully: Cadmus et Hermione, 1673. Tragédie lyrique en un prologue et cinq actes. Livret de Philippe Quinault d’après Les Métamorphoses d’Ovide. Cadmus, André Morsch. Hermione, Claire Lefilliâtre. Arbas, Arnaud Marzorati. La Nourrice, Jean-François Lombard. L’Envie, Romain Champion. Isabelle Druet, Camille Poul. Danseurs, Chœur et Orchestre du Poème Harmonique. Vincent Dumestre, direction. Mise en scène, Benjamin Lazar. Chorégraphie, Gudrun Skamletz. Chef de chœur, Daniel Bargier. Scénographie, Adeline Caron. Costumes, Alain Blanchot. Lumières, Christophe Naillet (1 dvd Alpha).

vidéo
Visionner la bande annonce de Cadmus et Hermione sur le site d’Alpha

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