Hermann Levi : un juif à Bayreuth. C’est peut-être le pire cas qu’ait eu à gérer Wagner dans sa vie … l’antisémite notoire devait croiser sur son chemin de bâtisseur, un maçon exceptionnel, maestro architecte doué pour diriger et comprendre ses œuvres : Hermann Levi… le juif. Pour accomplir son dernier opus, le naître de Bayreuth ne put faire sans Levi. Les mots à son encontre évoque le malaise Wagner vis à vis d’un musicien exceptionnel capable comme personne alors de comprendre la musique de l’avenir… « juif domestiqué », « juif assimilé »… autant de vocables bien discutables qui s’effacent devant la réalité inimaginable de l’époque. L’histoire réelle dépasse souvent la fiction : jamais Parsifal ne devait connaître un meilleur maestro que Hermann Levi, à jamais inscrit dans l’histoire de Bayreuth et dans la genèse du dernier opéra de Wagner en 1882.
Le chef créateur de Parsifal
Il incarne une contradiction notoire dans le cercle très restreint des proches et des intimes de Wagner à Bayreuth : Cosima et son époux sont des antisémites militants qui ne manquent jamais une occasion de déprécier la judéité y compris chez les musiciens les plus doués à leur époque. Le Journal qui consigne sous la plume de Cosima tout ce que dit son divin époux éclaire chaque étape de leur confession. Hermann Levi (1839-1900), fils et petit fils de rabbins en fait le frais : immense chef d’orchestre et doué dès son jeune âge, son seul défaut est d’être juif. Mais le musicien qui vénère Wagner comme un dieu, souhaite réaliser grâce à lui et sa quête artistique de dépassement et d’accomplissement, mais aussi, une manière d’intégration complète dans la culture germanique dont le couple de Bayreuth est le plus engagé des ambassadeurs.
Hermann Levi dirige l’orchestre de l’opéra de Munich dont il est directeur musical depuis 1872: il est l’employé de Louis II de Bavière qui accepte que le jeune chef dirige aussi à Bayreuth. Après de très longs efforts pour approcher Wagner et susciter son regard bienveillant, Levi ne tarde pas à devenir un habitué de Wahnfried, – la maison des Wagner à Bayreuth-, hôte recherché et donc jalousé, que Wagner adoube même officiellement en demandant à ce que le chef juif dirige la création de Parsifal ! De fait, Levi restera dans l’histoire de Bayreuth, le créateur, surtout le plus grand interprète de Parsifal : un comble. De 1882, pour la création et jusqu’en 1894, soit 12 ans, Levi est le chef de Parsifal : un statut inouï que personne ne saura jamais égaler après lui.
Pour l’homme hypersensible que fut Levi, cela n’alla pas sans tiraillements et angoisse viscérale. Wagner exigeait autant qu’il savait attendrir tous ceux prêts à le jouer, mieux le servir. A plusieurs reprises, Levi demande d’être soulagé et libéré d’une telle charge, tout en espérant être fondamentalement reconnu pour ses aptitudes personnelles et artistiques à comprendre et interpréter Wagner. Ce que le compositeur lui permet de vivre avant de mourir en 1883. Tout en exigeant l’impossible, Wagner accorde à son chef préféré la reconnaissance tant espérée.
Dans les faits, Hermann Levi réussit cette ambition, dévoilant tout ce qui dans Parsifal relève d’une profonde expérience humaniste, mystique, intime. Il dirige à 8 reprises Parsifal à Bayreuth (1882, 1883, 1884, 1886, 1889, 1891, 1892 et 1894). La crise la plus aiguë dans cette vocation doloriste fut l’année 1888 : usé, éreinté psychiquement, Levi doit se reposer; il ne dirigera pas Parsifal, sujet de toutes ses peines et de tous ses dépassements musicaux : Wagner décédé, c’est Cosima qui reprenant peu à peu la direction du festival wagnérien impose un rythme, une nouvelle méthodologie de travail surtout un nouveau sacerdoce exclusif. En 1891, Levi élabore pour elle, une version remarquable de Tannhaüser pour Bayreuth, d’après les nombreuses possibilités laissées par Wagner ; cette version Levi sera longtemps tenue pour un modèle par tous les chefs soucieux de diriger la partition. La corde a failli se rompre entre Levi et Cosima : il reste une légende de la direction, celle qui dès la création de Parsifal aura permis de conclure le mythe Wagner de son vivant, jusqu’au cime de l’excellence.