dimanche 8 décembre 2024

Gustav Mahler : Symphonie n°1  » Titan  » (Kubelik)

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Mahler_gustav_mahler_2007La première symphonie de Mahler est composée de janvier à mars 1888. Mahler a 28 ans. Comme compositeur il a remporté un premier succès avec Die drei Pintos d’après les esquisses inachevées de Weber. Il a toujours souhaité composer.

Alors chef d’orchestre au théâtre de Leipzig, il a profité de la période de deuil consécutive à la mort de l’Empereur Guillaume Ier, pour s’atteler à sa seule vraie passion : l’écriture. En découle, la composition de son « poème symphonique ». La création a lieu à la Philharmonie de Budapest le 20 novembre 1889. Mahler laisse l’audience dans un climat d’incertitude, puis d’indignation. La claque est même sévère : « par la suite, tout le monde m’a fui, terrorisé, et personne n’a osé me parler de mon oeuvre! », écrit-il amer. En 1891, il rejoint Hambourg où il est nommé premier chef au Stadt-Theater. Il aura l’occasion de diriger à nouveau son œuvre, en octobre 1893, au programme « Titan, poème musical en forme de symphonie ».
Le public applaudit quand la critique s’insurge contre la vulgarité d’une subjectivité excessive. De fait, de son vivant, la première symphonie restera un « enfant de douleur », une œuvre jamais vraiment comprise, ni analysée à sa juste mesure.

Kubelik déploie un sens épique déjà observé dans la 7ème symphonie. Mais au service du bouilonement des idées, il y ajoute une nervosité sanguine et palpitante, parfaitement en phase avec les univers subjectifs qui ont été tant décriés après la création. C’est bien un drame personnel qui se joue ici. Le premier mouvement est plein de feu et d’énergie conquérante, nourrie dans l’aube de ce « printemps naissant et qui ne finit pas » dont parle le compositeur en référence.
La charge parodique du second mouvement, décrivant le cortège des animaux de la forêt accompagnant le corps du chasseur mort éclate à tous les pupitres. Le climat devient plus sombre et pesant dans le troisième mouvement, à mesure que les plans musicaux et interprétatifs s’interpénètrent, guidant l’auditeur de la pure marche déhanchée, au sentiment d’un profond abattement mêlé d’ironique voire de dérision amère : la fluidité et le sens de la distanciation, révèle que l’affinité du chef Kubelik avec l’effusion mahlérienne est ici une rencontre déterminante, une affaire de sang. Le chef éclaire chacun des aspects de la partition, sa double sensibilité constante qui fait pencher le flux musical, d’un côté vers l’idéalisme le plus lyrique ;  de l’autre, dans la dépression la plus terrifiée. Mahler qui a lu E.T.A Hoffmann et Jean-Paul s’y impose définitivement : déjà, tous les climats de ses futures partitions sont là. Il y cultive le sens des contrastes fantastiques, à la façon du graveur français du XVIIème, Jacques Callot qu’il cite comme référence pour le second mouvement ; surtout, des alliances de timbres d’une sensualité empoisonnée, vénéneuse, d’une lascive et pénétrante torpeur.

Il ne cessera d’ailleurs au fur et à mesure des auditions de son œuvre, de reprendre instrumentation et orchestration, en particulier en 1897, puis en 1906. A propos de l’utilisation des timbres et des notes écrites pour chaque instrument, en particulier dans la partie extrême de leur tessiture, les écrits de Mahler sont éloquents : il s’agit pour le musicien de travailler la pâte instrumentale, d’inaugurer en quelque sorte une nouvelle gamme de résonances, un travail exceptionnel dans la matière et la texture, comme le ferait un peintre, en plasticien réformateur, sur le registre des tons et des nuances de la palette : « Plus tard dans la Marche, les instruments ont l’air d’être travestis, camouflés. La sonorité doit être ici comme assourdie, amortie, comme si on voyait passer des ombres ou des fantômes. Chacune des entrées du canon doit être clairement perceptible. Je voulais que sa couleur surprenne et qu’elle attire l’attention. Je me suis cassé la tête pour y arriver. J’ai finalement si bien réussi que tu as ressenti toi-même cette impression d’étrangeté et de dépaysement. Lorsque je veux qu’un son devienne inquiétant à force d’être retenu, je ne le confie pas à un instrument qui peut le jouer facilement, mais à un autre qui doit faire un grand effort pour le produire et ne peut y parvenir que contraint et forcé. Souvent même, je lui fais franchir les limites naturelles de sa tessiture. C’est ainsi que contrebasses et basson doivent piailler dans l’aigu et que les flûtes sont parfois obligées de s’essouffler dans le grave, et ainsi de suite… », précise-t-il à son amie, Nathalie Bauer-Lechner, en 1900.

Il faut entendre comment dans le dernier mouvement, l’orchestre peu à peu développe la flamboyance d’esprit tchaikovskienne, où se mêlent aussi l’esprit de Berlioz et de Liszt pour mesurer la gestion de la tension avec laquelle Kubelik organise cette lente montée vers la lumière.
La Première symphonie affirme dès le début du cycle symphonique de son auteur, un tempérament sans équivalent. Une personnalité originale et déjà entière. Autant d’attraits et d’accents spécifiques qui sautent aux yeux de ce concert enregistré en public, le 2 novembre 1979, sous la baguette de l’un des chefs les plus incontestablement mahlériens.

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