vendredi 29 mars 2024

Gustav Mahler: 8 ème symphonie (Rafael Kubelik)

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mahler_profilLa première audition à Munich, dans la vaste salle de concert de l’Exposition Internationale, ce 12 septembre 1910, relève d’un événement considérable : pas moins de 3400 spectateurs font face aux… 850 choristes (500 adultes et 350 enfants), auxquels sont associés les 146 musiciens et les huit solistes placés sous la direction du compositeur.

Politiques et journalistes, se sont déplacés, et tout le milieu musical dont Richard Strauss, Camille Saint-Saens, mais encore les écrivains Arthur Schnitzler et Stefan Zweig… le metteur en scène Max Reinhardt, futur fondateur du festival de Salzbourg, -avec Strauss-, sont dans les rangs de l’audience.
L’abbatage promotionnel autour de la Symphonie des Milles, dans les rues de Munich a marqué les imaginations : la création de la 8ème symphonie de Gustav Mahler est bien un événement immanquable… que de chemin parcouru depuis ses premières symphonies !

Pour Mahler lui-même, il s’agit d’une date importante, elle est liée à l’importance de l’œuvre pas seulement par les effectifs, surtout par son sujet dont témoigne la qualité des textes chantés, et l’action qui s’y joue : une partition capitale où l’on entend « non pas des voix humaines, mais les chants des planètes et des soleils qui tournent dans l’espace ».
L’écriture de ce monument remonte à l’été 1906 où dans son ermitage désormais familier (häuschen) au cœur des forêts de Carinthie, Mahler reçoit comme une révélation fécondante, les paroles de l’Hymne de la Pentecôte : « Veni Creator Spiritus ». Lui qui n’a pas toujours la même facilité d’inspiration, car la détente après les mois éreintant comme directeur de l’Opéra de Vienne n’est pas immédiate, doit d’ordinaire travailler avant de concevoir la trame générale d’une nouvelle œuvre.
Pour le première partie, il s’agit de retrouver le texte complet en latin de Hrabamus Maurus, l’archevèque de Mayence qui vécut au IX ème siècle. Dans cette quête, le compositeur rentre en transe. Il compose la musique et recevant finalement les paroles intégrales, s’aperçoit que ce qu’il a composé coïncide parfaitement à ce que lui a dicté une force quil e dépasse tant il se considère comme un « instrument dont joue l’univers ».
En guise de seconde partie, il faut choisir un texte de la même élévation. Il hésite à écrire lui-même quelques vers – comme pour sa seconde Symphonie, et finalement s’enthousiasme sur la propre traduction de Goethe d’après le Veni Creator.  C’est le final du Second Faust qui donnera l’unité de sa seconde partie et le prétexte d’un oratorio sans limites, pour voix, chœurs et orchestre.

Kubelik dans ce nouveau concert pris sur le vif à Munich, la ville de la création de l’œuvre, le 24 juin 1970, réalise une lecture stupéfiante du grand œuvre mahlérien.  D’autant que la présente réédition profite des performances du traitement SACD, avec entre autres bénéfices, un relief acoustique somptueux, profitant aux cuivres d’une noblesse fracassante.
Mahler a souligné en un brillant contraste, le climat et les référenes musicales des deux parties : lointaine réminiscence de la polyphonie de la Renaissance pour la première partie, oratorio libre postromantique, dans la veine des Scènes de Faust de Schumann. Au final, la cohérence de la pensée qui les a réuni les rend parfaitement dépendants l’un de l’autre. Le souffle du mysticisme qui porte et traverse la puissante architecture de la Huitième symphonie, est d’une incontestable efficacité. La signification profonde de l’œuvre trouve sa résoluton dans le Chorus Mysticus final.
Ni adieu serein et pleinement pacifié comme il le développera dans la 9ème, ni constat des forces diverses en présence, la Huitième marque surtout une étape cruciale dans le processus créateur de Mahler, parce qu’il semble y rejeter ce qu’il aimait développer auparavant, le sens de la dérision, la parodie cynique et amère, ces auto citations complexes, dont les plans de lectures superposés et mêlés exprimaient une rancœur amère mal assumée. Ni marche à panache caricatural, ni ländler parodique, la Huitième exhale un pur chant d’amour, une prière sincère dont la ferveur est exhaucée puisqu’au final, l’homme est accueilli par la Mater Gloriosa en personne. La prière est d’autant plus émouvante qu’elle fait écho à la propre solitude tragique de Mahler. Il a perdu sa fille Maria, mais il perd aussi d’une certaine façon,  Alma, l’épouse tant adorée, qui le trompe sans se cacher et lui annoncé qu’elle ne l’aimait plus tout en lui confirmant qu’elle ne l’abandonnerait jamais.

Architecte limpide, ciselant l’ossature et le continuum dramatique, en particulier dans les épisodes de la Seconde partie, Kubelik captive par l’unité de son propre regard, d’une distance épique à nouveau, d’une tendresse si profondément humaine, d’une simplicité de ton, indiscutable.
Malgré la masse chorale, les plans de détachent, la transparence des pupitres s’impose. D’autant que le plateau vocal préserve sa coloration humaine à l’odyssée interprétative. Martina Arroyos, Dietrich Fischer-Dieskau, Edith Mathis composent entre autres, de superbes incarnations.
La création de la Huitième suscita un immense triomphe pour celui qui fêtait alors ses 50 ans et dont les exercices précédents s’étaient surtout soldés par des échecs à répétitions et une incompréhensions tout aussi tenace. Offrande légitime pour un auteur en pleine possession de ses moyens artistiques, que le destin frappera encore. Huit mois plus tard, une infection devait décider de son sort, en l’emportant en quelques jours.

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