samedi 20 avril 2024

Georg Solti: coffrets Mozart, Strauss, SoltiDecca

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Centenaire Solti


le chef lyrique

3 coffrets Decca: Mozart, Strauss, Verdi…

Octobre 2012 marque le centenaire du chef d’origine hongroise Sir Georg Solti. Decca réédite son legs discographique l’un des plus convaincants, alternative magistrale aux enregistrements de Karajan chez Deutsche Grammophon… Contre des idées préconçues majoritairement repris ici et là, ses Mozart respirent la grâce, ses Strauss sont moins bruyants qu’il n’y paraît et ses Verdi d’une tension dramatique exceptionnelle… outre la maîtrise orchestrale, le chef a toujours su réunir autour de lui, les meilleures voix du moment (Nilsson, Behrens, Gruberova, Kanawa, Van Dam, Stade, Berganza, Crespin…).


Decca réédite en 3 coffrets événements, l’héritage du chef lyrique dont la frénésie et l’appétit discographique remontent à 1958 quand il enregistrait la première Tétralogie stéréophonique de l’histoire (repéré par John Culshaw de Decca qui avait probablement identifié le chef aventurier , impressionnant monstre de travail): un plus dans la spacialisation des captations et une nouvelle vision davantage scénique des oeuvres fixées par les micros; certains ont regretté l’emphase et les boursoufflures alors atteintes: son Ring wagnérien reste le coffret le plus vendu au monde. De toute évidence, le legs de Solti au disque est l’un des apports les plus déterminants dans cette nouvelle esthétique discographique: ce son studio dont l’universalisme veut restituer le frisson de la scène, l’éclair du théâtre total… Avec Culshaw, Solti façonne une sonorité vocale, symphonique et théâtrale qui rivalise avec celle de Karajan, son alter ego chez Deutsche Grammophon.


Solti enregistre

Les 3 coffrets lyriques éclairent la science millémétrée du maestro hongrois qui comme Karajan s’est surtout exprimé par le disque. Trois compositeurs recueillent les fruits d’un regard affûté, d’une grâce rayonnante, d’une activité toujours constante et pas uniquement bavarde…


Mozart tout d’abord (5 opéras au total): la perle reste Les Noces au sommet (1981). La Flûte de 1969
avec les Wiener Philharmoniker a cette élégance et ce sens de la trépidation pulsionnelle qui rétablissent l’urgence d’une partition électrique et humaine: la tension permanente qu’y imprime le chef reste épatante: dommage que cette fois, l’ingénieur joue trop avec les micros, créant des spatialisations artificielles… et des effets en veux-tu en voilà (le Ring est passé par là: dès 1958, Solti dispose de ce studio viennois, véritable laboratoire du son dédié selon ses envies…). Mais Deutekom en Reine de la nuit, Martti Talvela en Sarastro,… affirment des individualités remarquables.
Le Cosi de 1974
avec les équipes de Covent Garden, sa maison d’alors qui lui vaudra toute les marques de reconnaissance (légitimes) de la part de la haute société anglaise et de la Reine (qui l’anoblit): Pilar Lorengar et Teresa Berganza en Fiordiligi et Dorabella comme Jane Berbié (Despina) éblouissent par leur legato de toute beauté: une grâce saisissante au diapason d’un London Philharmonic Orchestra réglé comme un métronome d’une précision à la fragilité cardiaque. Même parterre vocal lumineux, facétieux pour le Don Giovanni de 1979 enregistré à Londres avec le LPO: Si le Don Giovanni de Bernd Weikl reste assez terne, la donna Anna de Price, le Leporello de Bacquier et la Zerlina de Popp sont anthologiques…
Les Noces sont la perle du coffret: les chanteurs sont de vrais acteurs de théâtre doués d’une diction, une élégance, un feu individuel et collectif: Allen, Ramey (Comte et Figaro), Kanawa, Popp, Von Stade (Comtesse, Suzanne, Chérubin) sans omettre Berbié (Marcelline) et Curzio (Langridge): tous se change en or sous la baguette d’un immense mozartien (Londres, 1981)… L’Enlèvement captive lui aussi (1985 avec les Wiener): le cast est exemplaire, servi par une fine caractérisation des personnages: Gruberova (Konstanze), Kathleen Battle (Blonde) et Gösta Windberg en Belmonte saisissent par leur justesse musicale: le chef a décidément du nez et sait composer les distributions. 1 coffret 15 cd DECCA référence 478 3703

Georg Solti / Richard Strauss: la rencontre de braise. 5 opéras au total. Solti, jeune, au sortir des années de galère en Suisse (il est resté entre Genève et Lucerne pendant toute la période nazie) sort de l’ombre à Munich où il est nommé par les Américains, directeur musical de l’Opéra de Bavière: sa direction ne durera pas longtemps mais le virus straussien est contracté à cette période, assurant entre le compositeur et le chef une aimantation magistrale (une photo reproduite dans le livret témoigne de leur travail conjoint, en 1949, une rencontre de braise: l’énergie volcanique et ciselée dont il est capable, restitue aux partitions straussiennes ce sang et cette chair âpre qu’aucun autre chef n’a su depuis distiller avec une telle frénésie, entre hédonisme et volupté, fureur et crépitation, vision et abandon. Il n’est pas surprenant que le vieux Strauss ait apprécié la conversation de jeune homme de 36 ans, sémillant, ouvert et curieux dans lequel le compositeur entrevoyait l’espoir après des années de sombre décadence…

Là encore les chanteuses font aussi la différence: dans le bonus, Christel Goltz avec l’Orchestre de l’Opéra Bavarois (Bayerisches Staatsorchester) en 1953 restitue cette braise ardente dont Solti est capable, nouveau champion de la baguette européenne quand les germaniques complaisants avec Hitler sont bannis (Karajan, Knappertsbush, Jochum, Kraus…). Puis ce sont Kiri Te Kanawa dans les Quatre derniers lieder (1990) et l’irradiante et crémeuse Fleming dans la dernière scène de Dapné (1996), portées par le lyrisme instrumentalement ciselé d’un chef irradiant son orchestre et ses solistes.
Parlons des opéras.

Salomé (Vienne, 1961) est transcendé par l’étoffe somptueusement filée des Wiener, par Birgit Nilsson (Salomé) et dans le rôle de Jochanaan par Eberhard Wächter. Même ivresse apocalyptique pour Elektra chronologiquement postérieure (1966) avec les mêmes, Nilsson (Elektra) en tête.

Après avoir achevé son Ring stéréophonique, Solti enregistre Der Kavalier (1969) avec une distribution qui brille là encore par son intelligence (en 1949, il recueillait de Strauss lui-même quelques conseils précieux pour la compréhension de l’ouvrage): Crespin illumine par sa classe germanophone, et Luciano Pavarotti étonne tout autant dans le rôle du chanteur italien… Dire que le Philharmonique de Vienne est ici comme dans un poisson dans l’eau, est une évidence que Solti a très bien compris: c’est bien le meilleur orchestre pour Strauss.
C’est d’ailleurs la participation de l’Orchestre viennois qui imprime aux Strauss de Solti, leur incomparable patine et cette élégance native, jamais contrainte.

L’Ariadne auf Naxos bénéficie de la Zerbinette de Gruberova, sans omettre Price (Prima Donna, Ariadne), l’incandescente Tatiana Troyanos (Componist)… Vienne, 1977.

1989-1991; Solti s’attaque au grand oeuvre de Strauss: la Femme sans ombre, manifeste humaniste et compassionnel écrit au dernier instant de la grande guerre et de l’Empire. Il y a les déflagrations des armes et surtout le chant enivrant des hommes bouleversants (le couple de Barak et de sa femme) par leur malédiction terrestre: la dimension théâtrale dans l’éloquence des situations, le souffle épique de l’orchestre surdimensionné, exhalant sa charge poétique à la face du cosmos s’entendent sous la baguette du chef: là encore les chanteurs sont soigneusement choisis; Varady et Behrens (l’Impératrice et la femme du teinturier), Van Dam et Domingo (Barak, l’Empereur) composent un quatuor passionnant.
Alchimiste, et même pointilliste dans la soie instrumentale, Solti sélectionne pour la voix du faucon, Sumi Jo… également sollicitée par Karajan. Sans posséder le caractère d’urgence, la tension hallucinante des gravures de Boehm ou de Karajan, la lecture de Solti éblouit par son intelligence théâtrale, son euphorie symphonique.
Solti: Richard Strauss. Coffret de 15 cd DECCA référence 478 3704

Comme Strauss, Verdi occupe une place centrale chez Solti: dès ses postes d’après guerre à Munich jusqu’en 1952 puis à Franckfort jusqu’en 1961 et plus encore au sommet de sa carrière lyrique au Covent Garden, 10 années d’accomplissement (1961-1971), Aïda, Don Carlo, la Forza del destino, Boccanegra, Otello sont régulièrement analysés, approfondis. Solti y trouve une force incomparable du drame, de l’expression concentrée, de la projection du texte: au cœur de son interprétation verdienne: la clarté rythmique et comme chez Mozart et Strauss, un soin particulier, spécifique porté sur la caractérisation des voix, individus et acteurs: là encore le théâtre et l’articulation du verbe sont essentiels.
A Rome, Un Ballo in maschera (Rome, 1961) ouvre le cycle discographique avec un couple légendaire qui montre l’instinct exceptionnel du chef dans la constitution des distributions: Bergonzi incomparable et surtout Birgit Nilsson qui a enregistré pour le maestro ses grands Strauss Elektra et Salomé, et ose à Rome une incursion – unique- chez Verdi. Même année (1961) pour une Aïda irradiante et tendue de façon idéale avec Léontyne Price dans le rôle-titre et… John Vickers dans celui de Radamès.
Un nouvel absolu est atteint dans Falstaff de 1963 (repris à Berlin en 1993): Solti y retrouve certaine approche de l’oeuvre quand il assistait Toscanini sur l’opéra à Salzbourg en 1936 (Falstaff était l’opéra fétiche du chef italien, son mentor et modèle) et aussi ce culte avoué pour le duo Verdi/Boïto, retrouvé dans Simon Boccanegra. Pour Falstaff, le rire gras et hilare de l’orchestre dès le début indique l’éclat de la farce, la subtilité délirante du geste d’un chef à la poigne essentiellement théâtrale: avec le RCA Italian Opera orchestra, le maestro éblouit littéralement par ses brûlures et ses vertiges tendres d’une infinie poésie: le verbe buffa y règne grâce Geraint Evans dans le rôle titre, Alfredo Kraus (Fenton), Mirella Freni (Nannetta), l’ineffable et impeccable Giuletta Simionato… Quelle intelligence là encore de la situation et des profils psychologiques.

Que dire de son Don Carlo de 1965 avec les troupes londoniennes du Royal Opera house: un travail éblouissant de cohérence et de dramatisation subtile sur le profil linguistique des rôles: Bergonzi (Carlo), Dietrich Fieskau (Posa légendaire), Grace Bumbry (Eboli), Ghiaurov et Talvela sont prodigieux et les duos tendres (dont l’acte de Fontainebleau jamais joué) entre Bergonzi et Tebaldi, fatiguée mais très juste remettent le théâtre du mot et de la nuance ciselée au cœur de l’opéra verdien: un modèle !

L’Otello avec les Wiener, révèle le dramatisme de Carlo Cossuto (Otello) et la finesse de Margaret Price en Desdémone (Vienne, 1977). L’opéra le plus wagnérien de Verdi exulte de sueur et de sang au diapason shakespearien et l’angélisme trop passif de l’amoureuse Desdémone, emmurée dans une grâce lumineuse mais aveugle en sort exacerbé, criant, presque insupportable… le vrai protagoniste est bien Jago (Gabriel Bacquier), maître du soupçon et du doute, poison efficace dans le cœur des victimes trop soumises…

Simon Boccanegra est avec Don Carlo de 1965, l’accomplissement du grand œuvre verdien de Solti: en 1988, avec les ressources de la Scala, le chef parvient un nouveau tour de force traversé par l’éclair du drame, la vérité des sentiments, fondée essentiellement sur une distribution sans faille: dans l’action de longue chronologie, sur deux générations (le prologue qui scelle le destin de Simon et aussi le nœud de sa malédiction, se passe 25 années avant l’action de l’opéra qui suit), le chef trouve un Boccanegra idéal (Leo Nucci), un Paolo intriguant homme de l’ombre (et du poison: Paolo Coni)… la pureté incarnée, l’innocence celle d’Amelia/Maria (Kiri Te Kanawa) resplendit (même si elle enregistre le rôle un peu tard) et le rôle du fervent amoureux, soupirant auprès de la belle Maria (Giacomo Aragall), impose une santé vocale étonnante comme un abattage vocal ardente et intense. Sur Boccanegra, doge malgré lui puis politique intègre écartant au péril de sa vie toute compromission, Solti réserve un regard intime, proche, humain, bouleversant: Leo Nucci y signe l’un de ses rôles les plus aboutis: un jalon dans la carrière du grand baryton verdien qui a chanté aussi Macbeth ou Rigoletto…

Six ans plus tard, c’est La Traviata (1994) avec la sémillante et si subtile Angela Gheorghiu… et Germont (Leo Nucci). Ce coffret Verdi est une bombe de théâtralité juste et active. Un legs d’une irrésistible vérité: précision, action, intelligibilité: l’alliance idéale pour Verdi. Le visuel de couverture est de surcroît l’un des meilleurs du chef au travail: il semble indiquer aux instrumentistes présents et aux chefs après lui, le niveau artistique accompli alors… un standard et un son Solti qui par le disque restent une référence indiscutable.

Dommage qu’en bonus (aux côtés des choeurs de Nabucco, I Lombardi, Rigoletto, Don Carlo…), il n’y ait pas les Quatre Pièces sacrées (il y a bien le Sanctus du Requiem), certes hors sujet dans un coffret d’opéras mais ce qu’y fait Solti dépasse toute réalisation antérieure: c’est là encore un théâtre sobre, tranchant des passions les plus extrêmes. Le mélomane verdien, curieux de mesurer Solti doit connaître absolument ses Quatres pièces sacrées.

Aucun doute, à l’écoute de ces trois coffrets, pour le Strauss et le Verdi, Solti est un chef lyrique doué d’une vision intérieure infiniment moins bavarde ou clinquante qu’on le dit: il suffit d’écouter (mais certes cela prend du temps!…). Ceux qui auront fait l’effort d’accepter la temporalité propre du chef dans ce corpus de réussites éclatantes en seront gratifiés au centuple.

Solti, the Operas. Verdi. 16 cd Decca, référence: 478 3705. Le coffret Der Ring de Wagner (1958-1965) ne nous a pas été adressé: il ne figure donc pas dans cette recension.

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