vendredi 29 mars 2024

Festival des Pianissimes des Monts d’Or, Neuville s/Saône (69). Du 5 au 8 juillet 2007

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Pianissimes des Monts d’Or
Neuville-sur-Saône (69)
Du 5 au 8 juillet 2007

Un amour de piano
Et d’abord le titre…où il serait incongru de ne pas voir une adjectivation superlative de l’instrument à clavier et marteaux. C’est en effet l’amour du piano qui, en 2006, a conduit la fondatrice à implanter au nord de Lyon une saison de concerts et, dans la foulée, un festival. Catherine Alexandre en est à sa seconde année d’expérience originale sur ces terres qu’on pourrait croire trop proches de la métropole d’entre-Rhône et Saône (une vingtaine de kilomètres à vol d’oiseau) pour abriter de façon durable une saison, qui plus est, couronnée par un festival de 4 jours et 10 concerts. Va donc pour « pianissimes d’été » ( du 5 au 8 juillet), qui rend aussi hommage au « parrainage » (un terme désuet,un rien bonnes œuvres, mais le cœur y est) du pianiste Cédric Tiberghien, l’un des espoirs de la jeune génération française du clavier, dont Catherine Alexandre souligne l’amitié très agissante dans ce qu’on ne saurait appeler une « entreprise » (au sens économico-volontariste du terme), mais plutôt une action associative et culturelle qui s’incarne en un groupe fédérateur, Dièse.
Paradoxalement, il semble que la formule festivalière d’été, il est vrai un tant soit peu aidée par pouvoirs publics et privés, ait davantage de succès public que le long terme de la série hivernale et printanière des concerts mensuels. Il y a une autre originalité en tout cela : les pianissimes de l’été 2006 étaient très orientées vers la résurrection d’une compositrice de la fin du XVIIIe et du début XIXe, Hélène de Montgeroult, soulignée par la parution d’un maître-livre de recherche (Jérôme Dorival) et d’un disque (Bruno Robilliard) salués par la critique (et ici même….).

Quelle conversation avec Dieu?
Sans penser que Catherine Alexandre et ses complices veuillent obstinément centrer leur effort (f)estival sur ce thème, on observe une continuité en 2007, avec les projecteurs braqués sur Mel Bonis (1858-1937), une autre compositrice injustement oubliée – comme tant des « artistes du sexe », ainsi que les qualifiaient en plein double sens hypocrite les formulations d’époque – et à qui on commence à rendre justice, par livres (Christine Géliot, l’arrière-petite – fille présente lors du festival -, chez L’Harmattan ; la musicologue Florence Launay, chez Fayard) et disques (Laurent Martin, chez Ligia Digital et avec d’autres interprètes chez Voice of Lyrics ; Doron Musique)…
Qui était donc Mel (alias Mélanie) Bonis (1858-1937), née au moment où Baudelaire crachait son venin sur la tant haïe « femme Sand » (« bête, bavarde, lourde, …cette latrine »), et pontifiait en aphorismes du genre : « La femme qui veut toujours faire l’homme, c’est un signe de grande dépravation. » Et qui connut une vie écartelée entre son indéniable talent musicien, ses convictions religieuses enracinées au plus profond de la conscience malheureuse, et le renoncement à une vie amoureuse authentique. Mariage arrangé par la famille avec un industriel qui ne comprenait rien à la musique, lui apporta 5 enfants de son veuvage et lui en donna 3 autres, et retrouvailles tardives (la seconde chance) avec l’amour de sa jeunesse, le critique musical Amédée Hettich. Ils ont une fille, que Mel Bonis n’osera jamais reconnaître, terrifiée par ses tabous religieux. D’où une vie « austère et de grande spiritualité », que les souffrances physiques et morales des dernières années conduiront au retranchement du monde. Comme disait aussi le bon Charles (Baudelaire) : « On ne devrait pas admettre la femme dans les églises : quelle conversation peuvent-elles avoir avec Dieu ? » Malgré tout, reste l’œuvre, d’assez considérable ampleur, parfois jouée dans le début du XXe (en même temps que D’Indy, Ravel ou Dukas), mais ensuite ensevelie. C’est une petite partie de celle-ci que Laurent Martin (et Sandrine Canterrogi au violon, pour la Sonate op.64, de 1923) vont nous révéler en un concert qui constitue l’axe de la série 2007. Au piano, 11 pièces écrites entre 1890 et la fin des années 1920, dont certaines témoignent de sa sensibilité descriptive des éléments naturels ou de son goût sentimental , d’autres de son inspiration mystique (« L’Ange Gardien »). «La cathédrale blessée » (1915), à la mémoire et en pensée des jeunes soldats au front, n’a rien d’esthétiquement « englouti », mais est une page dramatique très fortement symbolique. Occasion de rouvrir le dossier de cette compositrice post-romantique, puis impressionniste et symboliste, qui écrivit aussi des mélodies, des pièces d’orgue et vocales, de la musique de chambre et des œuvres pour enfants.

Massenet, Gershwin,Ravel
Mel Bonis mourut en 1937 : voyez les coïncidences que sont les anniversaires ! Ravel aussi, et Gershwin. Si le jazz a pu rassembler ces deux-là, on n’imagine pas la bonne Mel s’adonnant, fût-ce en pensée, au swing. En tout cas, le côté franco-américain de François-Joël Thiollier le qualifie tout particulièrement pour placer en miroir le Ravel (tragique) de la Valse en sa redoutable version pianistique et le Gershwin fasciné par la Rhapsody in blue et ses promenades dans Paris (Un Américain…etc). Il y joint des Debussy d’extrême jeunesse, la Soirée dans Grenade, l’Isle Joyeuse (on y va en « Watteau à vapeur », hasardait-on chez Proust) et une Ondine plus élémentale que celle de Ravel. Le thème de la rareté demeure pianissime : c’est ici que le jeune Ivan Ilic et l’aîné Noël Lee nous feront découvrir par leur 4 mains des partitions aux frontières du très-peu joué. D’abord, la réduction que Ravel fit du 2 pianos pour l’Après-midi d’un faune, originellement prévu en tryptique piano-et voix récitante : on sait que ce grand jaloux de Mallarmé félicita le musicien d’aller « plus loin que le poème, avec finesse, avec malaise, avec richesse », façon ambiguë de littérateur qui se sent pillé au-delà de toute désespérance…Ensuite, 6 Scènes de la forêt de Bohême, contemplatives, tumultueuses ou descriptives que Dvorak composa dans un village-refuge, en 1883. Enfin 3 séries d’ « Année Passée » où Massenet joue aux 4 Saisons et les termine par le printemps, Jules n’aimait pas ce qui finit tristement ! Un grand habitué des Pianissimes, François Chaplin, allié au clarinettiste Patrick Messina, nous remet en poésie avec les Fantasiestücke de Schumann, les Sonates de Brahms (op.120) et de Poulenc.

E aperto a tutti quanti!
Le jeune Guillaume Coppola va vers la 21e de Beethoven (Waldstein), les Consolations de Liszt et le 2e Livre des Préludes de Debussy. La non moins jeune et pianissime Emmanuelle Swiercz est en alliance avec Michel Moragues, David Walter et Patrick Vilaire pour Albeniz, Poulenc, Rachmaninov et un Beethoven de 16 ans. Le duo Henri Demarquette et Giovanni Bellucci sont dans Brahms (op.38), Rachmaninov (op.19) et Franck (transcription de La sonate – celle de Vinteuil, bien sûr, avec « la petite phrase » – pour le violoncelle). Cédric Tiberghien joue avec la violoncelliste Marie Hallynck Beethoven, Debussy, et le seul contemporain de la session, Nicolas Bacri, dont la Sonate de 1994 est sous le domino noir du tragique naguère inspiré à l’adolescent par la vision du Septième Sceau. Au XIXe, le mélodrame (piano et voix parlée) renferme aussi la tragédie poétique, et ceux de Liszt ne font pas exception, « prononcés » par Nicolas Stavy et le récitant François Castang. Et grand jeu russe avec l’Orchestre de Belgorod (dir. Andrei Galanov) qui pathétise dans la 6e de Tchaikovski, puis est compagnon de grande virtuosité pour Ilia Rachkovskiy dans le 3e de Rachmaninov, avec lequel il remporta, voici quelques semaines, le 4e prix de la session 2007 du Concours Reine Elisabeth de Belgique. L’esplanade du Château d’Ombreval et le Clos du Nymphée accueillent à Neuville les 10 concerts de ces 2e Pianissimes, en terrasse sur la Saône. Sur le Clos auront lieu des repas à l’ombre des platanes ; des stands proposeront livres, disques…et dégustation de produits régionaux. On pourra écouter des conférences (notamment, par l’auteur de ces travaux, Pascal Marcellin, sur la transposition des rouleaux Ampico en cd), tenter croisière en péniche sur le fleuve. Et pour les spectateurs empêchés d’assister aux concerts, les répétitions sont libres d’accès (de 10 à 11h30, sur inscription, pendant les 4 jours du festival). Comme on chanterait à la fête chez Don Giovanni : « E aperto a tutti quanti, viva la libertà ! »

Concerts : Jeudi 5 juillet, 21h. Vendredi 6, samedi 7, dimanche 8 juillet 2007 :15h, 18h, 21h. Information et réservations : Tél.: 04 78 91 25 40 ou www.lespianissimes.com

Illustration
Corbineau, portrait présumé de Mel Bonis (DR)
Henri Lehmann, portrait de Franz Liszt (DR)

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