Durant l’âge baroque, les basses d’archet ne se sont pas seulement contentées de fournir la basse continue. Dès le XVII ème, grâce à l’activité de quelques compositeurs, praticiens autant que théoriciens tels Girolamo Dalla Casa ou Francesco Rognoni (à l’affiche du programme), les « basses » ont fait entendre leurs voix solistes, reprenant après diminution et transcription, les airs à la mode. Cette émancipation méconnue prélude et œuvre de façon décisive, à la pleine virtuosité du XVIII ème siècle. Défricheur de tels phénomènes oubliés de la pratique instrumentale baroque, le violoncelliste Bruno Cocset, élève de Christophe Coin, nous le fait entendre, et avec quelle justesse. Fondateur depuis 1996, de l’ensemble Les Basses réunies, le musicien, qui fut ces dernières années, le violoncelliste solo du Concert des Nations et d’Hespérion XXI (direction : Jordi Savall), qui enseigne aussi le violoncelle baroque à Paris, Barcelone et à Genève, ne fait pas que « réunir » de proches collaborateurs, comme lui, experts dans l’art des méditatives arabesques des cordes frottés. Il impose avec tension voire gravité le cadre d’un dialogue musical, entre basses, où la notion d’écoute (plutôt que fusion) et d’approfondissement (parfois solitaire), se déploie dans une suite de pièces particulièrement évocatrices des mondes intérieurs. C’est à peine si l’on retrouve dans son jeu mesuré et concentré, cette profusion et cette richesse libre et langoureuse qui fait tout le sel des propositions savalliennes auxquelles Cocset a participé, comme le sublime album des Concerts Royaux de François Couperin (enregistré en 2004 pour Alia Vox) où il tient la partie de basse de violon.
Ici, style et sensibilité écartent toute ivresse hédoniste et sensuelle de la sonorité. Le flux musical est constamment conduit par la science de l’éloquence et du discours. C’est un jeu parfaitement distinct d’un Savall par exemple (lequel donnait ce même jour à 21h, un récital admirable, en dialogue avec Marianne Muller. Lire la chronique de notre collaborateur Sylvano Giambello). Bruno Cocset resserre l’expression à son essence, maniant l’allusion et l’économie, la sobriété voire l’austérité et le dépouillement jusqu’à l’abstraction… Telle retenue n’altère en rien la pureté de l’expressivité en particulier la souplesse discursive des instruments rares, choisis pour ce « Voyage dans l’Italie du XVIII ème siècle ». Au centre de la scène, le virtuose manie l’instrumentarium réuni avec art et maîtrise. Econome de ses mouvements, absorbé par le chant de chaque partition, Bruno Cocset passe du violoncelle, à l’alto, au ténor et à la basse de violon « a la bastarda », dont la résonance grave et profonde agit sur l’esprit comme une caresse d’une noblesse souveraine.
Le programme tient de l’exposé comme du récital de solistes. On espère (en vain) quelques explications sur les qualités sonores de chaque instrument, son répertoire « désigné », les clés de sa pratique… N’est pas Savall qui veut, et Bruno Cocset même s’il est pédagogue, demeure énigmatique, constamment silencieux, préférant dire et convaincre au travers de l’archet, nous offrant néanmoins un jeu fluide, dans une palette de couleurs et de richesse harmonique, souvent inédite.
A ses côtés, les violoncellistes Emmanuel Jacques et Mathurin Matharel dont la transcription d’après une pièce pour clavecin de Geminiani a conclu ce voyage des basses chantantes, donnent la réplique au maître auquel ils font, sages et disciplinés, révérence, d’un bout à l’autre de ce voyage méditatif.
Festival de Sablé. Eglise de la Chapelle d’Aligné, le 23 août 2007.
