vendredi 29 mars 2024

Festival Cordes en Ballade Ardèche, 12è édition. Du 2 au 14 juillet 2010

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Festival « Cordes en ballade »,
Ardèche (07). Du 2 au 14 juillet 2010


12e édition de ce festival « début d’été », centré sur l’Ardèche – le long du fleuve-dieu rhodanien, les garrigues, la montagne cévenole -, et qui s’articule autour d’un travail de formation supérieure des instrumentistes en formation de chambre. Les « Debussy », fondateurs-directeurs, inscrivent cette année deux thématiques : la musique tchèque, et les cordes graves (violoncelle, contrebasse). Non sans contrepointer les propos graves de certains concerts par des fantaisies instrumentales détendantes d’atmosphère…

Le Quadrilatère de Bohême

Ils sont bien inscrits dans le paysage ardéchois, les Debussy, – Christophe Collette, Dorian Lamotte, Vincent Deprecq, Alain Brunier -, encore qu’avec leur Saint Patron musical, on les eût davantage attendus en Ile de France ou Normandie. Mais vous imaginez qu’ils se fussent appelés les Dindy, sous prétexte que le vieux gentilhomme cévenol les eût fascinés de son autorité d’Action( Musicale Si Purement) Française ? De toute façon, mieux vaut « n’écouter les conseils de personne, si ce n’est du vent qui raconte l’histoire du monde », disait justement Claude-Achille. En 2010, et pour la 12e édition, ce sera donc un vent d’est vigoureusement porteur des lointains de Tchéquie, ou de Bohême comme on disait du temps où il y avait un Quadrilatère pour en désigner la frontière montagneuse. Et c’est vrai que les sons venant de là-bas – ceux qu’ont inventés les compositeurs, ceux que les interprètes convoquent en leur mémoire et leur art – possèdent une vibration lumineuse, une magie ouatée qui les différencient aussitôt d’autres territoires culturels. Et qu’ils mélangent tout naturellement à la culture populaire des chants et danses en mosaïque des territoires qui au début du XXe encore étaient sous tutelle parfois féroce de la Double Monarchie…

Le moi de Smetana

Un orchestre tchèque sonne autrement, et un quatuor à cordes, donc ! Les Suk, les Smetana, les Janacek, les Talich, c’est déjà de l’histoire un peu mythique. Et « les jeunes » reprennent le flambeau : les Skampa, depuis 21 ans, portent l’héritage qu’ils ont eux-mêmes recueilli de leurs maîtres les Smetana. Ces invités d’honneur de leurs collègues français, les Debussy, inscrivent d’ailleurs à l’un de leurs programmes le 1er Quatuor de Smetana, une œuvre capitale dans l’exploration du « moi » et de l’accès mémoriel au basculement qui en 2010 fait écho à Schumann habité par ses délires… Sous-titré par l’auteur lui-même « De ma vie », qui ouvre un espace vertigineux au milieu de son dernier mouvement, mais l’auditeur non averti ou un peu inattentif ne saisit pas forcément le sens de ce qui alors creuse un finale bondissant et haletant parmi des chants populaires : tout à coup un accelerando, un silence, et le surgissement d’une sorte de vrille sonore sur fond de tremolo. Ce sifflement, hallucination auditive transcrite en « musique », ou signal d’une irruption de la surdité ? Le malheur, en toute hypothèse, fait irruption dans l’œuvre et la vie, inséré dans une composition « raisonnée » qui est aussi l’afflux en mémoire d’un élément traumatisant. Et dans l’histoire personnelle de Smetana, c’est le point de départ de ce qui aboutira huit ans plus tard (1884) à l’internement psychiatrique et à la mort. Les instrumentistes de Skampa – Helena Jirikovska, Daniela Souckova, Radim Sedmidubsky, Lukas Polak – ont aussi choisi pour l’un de leurs deux concerts une œuvre « terminale », celle du Quatuor Inachevé (op.103, Hob III.83) qui clôt la série des 83 partitions de celui qu’on a pu aussi nommer « le Père du Quatuor ». Mais Haydn ne put aller au-delà de l’andante et du menuet, et en 1803 avoua : « Toutes mes forces s’en vont, je suis vieux et faible ». Et pourtant, quelle beauté « orante » dans le mouvement lent, qui prolonge les « prières » analogues dans les deux premiers de l’op.77 (1799, l’op.103 devait d’ailleurs être le 3e de cet opus –synthèse…), quelle « rage de vivre » dans le menuet qui abandonne toute référence à la grâce des danses de cour ! Le 13e Quatuor de Dvorak répond dans son adagio à la « prière » haydnienne, mais sait jouer sur un kaléidoscope d’inspiration qui, comme constamment chez le compositeur tchèque, doit beaucoup à la lumière « populaire ».

Guerre et Paix conjugal

Les Skampa font appel à leur collègue altiste Vincent Deprecq pour un autre Dvorak (à deux altos, donc : l’admiration pour les Quintettes deMozart…), passionnant mélange de Nouveau Monde (le compositeur est dans sa période américaine, séjour et relevés sur le terrain indien) et d’ancien (l’Eiurope Centrale, qui tournoie aussi dans le scherzo et le finale. Continuité…familiale avec Josef Suk – élève puis gendre de Dvorak – , dont la rare Méditation énonce et varie un vieux choral tchèque en l’honneur de Saint Venceslas, quand l’Empire vient de se précipiter ses peuples dans la 1ère Guerre Mondiale. C’est au cours de la Seconde que Martinu écrit, aux Etats Unis où il s’est exilé, son 7e Quatuor ; dit « da camera ». Et Paul Fischer – ancien « premier »(violon) des Skampa – offre à ses camarades une Morava, « patchwork de rythmes endiablés » en écho de cette terre « orientale ». L’Autre Tchèque Absolu, Leos Janacek, ne peut être oublié dans un hommage général : ce sont les Debussy qui joueront son 1er Quatuor, dont d’ailleurs -comme nous le rappelle P.E.Barbier dans le toujours décisif Guide Musique de chambre/Fayard -, l’édition critique a été établie par Mila n Skampa, l’ancien altiste et fondateur du Quatuor invité. Opéra déguisé, portraits aigus de personnages et de situations , le 1er renvoie au roman de Tolstoï, une Sonate à Kreutzer qui n’est d’allusion beethovénienne que par opportunité, et dans laquelle le génial Russe dépeignait les ravages d’un Guerre et Paix conjugal, où le mari n’avait pas tellement tort de punir de mort sa femme puisque torturé par la jalousie. Mais Janacek n’est pas du clan des « redresseurs de tort » masculins, on s’en doute ! Dans ce concert figure aussi l’immense Quintette à deux violoncelles (avec Emmanuelle Bertrand) de Schubert, un monde où l’écho tzigane vient apporter sa joie de survivre au drame métaphysique des 3 premiers mouvements. Et la création contemporaine, à laquelle les Debussy vouent un culte fort concret, enrichira ce programme, puisque sera donnée en 1ère mondiale un Quatuor à cordes de Pascal Amoyel, pianiste compositeur parmi les plus importants d’aujourd’hui, en même temps qu’une Itinérance récente pour violoncelle seul . Pascal Amoyel est aussi présent, interprète avec sa complice Emmanuelle Bertrand dans la Sonate de Grieg, soliste dans des pièces crépusculaires du dernier Liszt, nocturnes de Chopin, mais encore auteur bouleversé dans son Kaddish de Terezin (2009). Car c’est bien là, au nord de Prague, que ce camp-vitrine (pour la Croix-Rouge qui s’y trompa ou ferma les yeux devant le décor des internés-musiciens exhibés par leurs geôliers) jouait un rôle de salle d’attente pour l’extermination à Auschwitz des juifs, adultes ou enfants. Le Kaddish est « écrit en mémoire des enfants de Terezin », et doit nous rappeler le crime des crimes historiques perpétré par le nazisme sur toutes les terres qu’il marqua de sa domination sanglante.

Cette pauvre contrebasse

« Les basses » sont aussi en thématique de cette 11e édition : en la chambre comme dans l’orchestre, les violoncelles et plus encore les contrebasses participent des voix graves, mais leur sort est inégal. Autant le violoncelle est glorieux, rapproché de la voix humaine (et ne disait-on pas de grands avocats et orateurs qu’ils avaient « une voix de violoncelle » ?), doté de concertos et d’oeuvres solistes au premier plan, autant « cette pauvre contrebasse » joue plutôt les utilités, même si les génies de l’orchestre (Beethoven…) lui ouvrent parfois un espace décisif, et si dans un usage « particulier » (l’archet au vestiaire) le jazz l’exalte. Invité d’honneur, Botond Kostyak – un musicien roumain que les auditeurs lyonnais connaissent bien dans son rôle soliste à l’O.N.L. – animera le concert d’ouverture, où l’Orchestre du Festival – les Jeunes Talents de l’Académie d’été, l’un des points forts et entrainants de la pédagogie « debussyste » en Ardèche – l’accompagnera dans un Grand Duo Concertant (avec le violon de Dorian Lamotte) de Bottesini, l’un des virtuoses-compositeurs qui au XIXe ont écrit « spectaculairement » pour leur instrument. On écoutera aussi comment Dvorak intègre la contrebasse dans son Quintette de 1875, et comment le jeune compositeur Alexandre Fontaines (un trentenaire, élève de G.Connesson et T.Escaich) intègre la musique liturgique juive dans Kaddish.

On peut aussi s’amuser en compagnie de la violoncelliste (et mime !) Valérie Aimard qui pour les spectateurs de 7 à 77 ans invente une « Fantaisie musicale, avec un fil invisible de mime entre musique, silence et fantaisie : passionnée de bulles de savon, poète en quête de liberté, et quelque part entre Gabrieli, Bach et Cassado ou Kurtag ». Un pas encore, et on glisse au « spectacle burlesque » d’un autre violoncelliste, Laurent Cirade, avec son complice au piano, Paul Staïcu : Duel op.2, du côté de chez Laurel et Hardy pour détourner les classiques. Les Jeunes Talents – « sortis en supérieur » de l’Académie d’été – eux, la jouent sérieuse, notamment dans leur série de concerts itinérants où Mozart et Schubert ou Ravel laissent place à Phil Glass ou le contemporain Jean-Pierre Sciau. Tandis que les Debussy inscrivent le Quatuor op.35 de Florentine Mulsant – une création de 2009 – à côté de la Sérénade de Dvorak, le violoncelliste Alain Brunier étant ici « principal » de ce concert donné à Aubenas… Sans oublier les « ballades » conviviales dans les sites de villes ou villages, ponctuées d’aubades, d’animations, de conférences,…

Festival des Cordes en ballade, 12e édition 2010. Viviers, vendredi 2, 21h ; samedi 3, Viviers, 16h et 18h ; dimanche 4, Cruas, 21h ; mercredi 7, Bourg Saint Andéol, 14h30 et 18h30 ; jeudi 8,Aubenas, 21h ; vendredi 9, Bourg, 21h ; dimanche 11, Montpezat, 18h ; 10, 12, 13, 14,autres lieux, « jeunes talents », Académie. Information et réservation : T. 04 72 48 04 65 ; www.quatuordebussy.com

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