Jean-Baptiste FRA, administrateur général de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse depuis avril 2022 répond à nos questions sur la nouvelle saison 23/24 de la phalange occitane.
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CLASSIQUENEWS : Quelle est la ligne artistique de cette nouvelle saison 2023/2024 ?
Jean-Baptiste FRA : La situation actuelle est singulière ; elle imprime sa marque évidemment sur la programmation dans son ensemble. L’orchestre est sans directeur musical ; l’ancien est parti et le nouveau désigné prend peu à peu ses fonctions. J’ai surtout veillé à l’équilibre des propositions. Ainsi, notre futur directeur musical, Tarmo Peltokoski, assurera 2 semaines de travail avec les instrumentistes ; il prend ainsi ses fonctions de façon graduelle, pour prendre la direction pleine et entière à partir de la saison 2025/2026. Tugan Sokhiev, son prédécesseur, poursuit la collaboration avec les instrumentistes : il revient dans deux programmes (les 7 et 8 décembre 2023, puis le 12 mars 2024).
En outre, nous poursuivons l’activité avec plusieurs maestros devenus familiers : Kazuki Yamada, Joseph Swensen, Frank Beermann… comme nous amorçons une coopération avec plusieurs jeunes maestros, certainement les baguettes majeures de demain : Petr Popelka, Ryan Bancroft, Roberto González-Monjas… Ils sont selon moi parmi les jeunes les plus talentueux de leur génération. C’est d’autant plus important et emblématique de les inviter que, depuis toujours, nombre des grands d’aujourd’hui ont fait leur première fois en France… à Toulouse, à la tête de notre Orchestre (Yannick Nézet-Séguin, Klaus Mäkelä, Jaap Van Zweeden, Lahav Shani…).
Sur le plan du répertoire et des œuvres programmées, là aussi l’équilibre et la diversité sont préservés. Nous jouons les grands classiques du répertoire, comme par exemple le Requiem de Mozart (en invitant un fin connaisseur du répertoire baroque, Ton Koopman) ; tout en privilégiant aussi les œuvres rares, comme la 4e Symphonie de Nielsen ou Les sept paroles du Christ en Croix de César Franck, une œuvre que je souhaitais programmer depuis longtemps.
Photo : © Romain Alcaraz
CLASSIQUENEWS : Qu’est-ce qui fait la singularité de l’Orchestre aujourd’hui ?
Jean-Baptiste FRA : C’est une particularité et une chance pour l’Orchestre national du Capitole de Toulouse que d’être un orchestre de fosse et de jouer des opéras régulièrement. L’orchestre, outre sa saison symphonique proprement dite, assure une dizaine de productions à l’Opéra national du Capitole chaque saison (opéras et ballets). Cette spécificité aiguise encore la réactivité des instrumentistes, aptes à répondre immédiatement aux moindres intentions du chef. Cette activité conforte aussi l’esprit collectif de l’orchestre, sa cohésion et même l’ambiance générale au sein des instrumentistes. Le dialogue avec les musiciens en est grandement facilité.
Il me semble que les qualités de l’Orchestre ont considérablement changé depuis les années Plasson et le travail sur la transparence, le son français. Tugan Sokhiev a rendu le son de l’Orchestre plus dense, plus compact. Un jour, à l’issue d’un concert, il m’a dit : « Nos musiciens sont comme une nuée d’oiseaux. Vous avez un instrumentiste qui change de direction et tout le monde le suit. »
CLASSIQUENEWS : Quel répertoire lui va le mieux et révèle toutes ses qualités ?
Jean-Baptiste FRA : L’exemple du concert dirigé par Tarmo Peltokoski l’an dernier reste mémorable : au programme, la 5e Symphonie de Chostakovitch (un programme toujours accessible sur Medici) ; les instrumentistes galvanisés par la direction du jeune maestro se sont révélés à un niveau époustouflant. Plus récemment, à la fin de cet été, sous la direction de Joseph Pons, l’Orchestre a joué la Symphonie fantastique de Berlioz, dévoilant d’autres qualités tout autant superlatives, en terme de détails et de contrastes, abordant la partition pourtant tant de fois jouée, – mais il est vrai il y avait longtemps déjà -, avec une fraîcheur surprenante.
CLASSIQUENEWS : Avez-vous noté un goût particulier de la part du public toulousain ?
Jean-Baptiste FRA :C’est un public constant et fidèle. J’ai le sentiment qu’ils font plutôt confiance à la programmation proposée. Ainsi en février 2022, le concert qui regroupait deux artistes peu connus du public ici, en l’occurrence le pianiste Tom Borrow dans le Concerto en sol de Ravel, et le chef Robert Trevino dans la 11e Symphonie de Chostakovitch, s’est joué à guichet fermé (2150 places). Il y a une véritable appétence et une attente de la part du public. Il est vrai que le travail de Tugan Sokhiev et son charisme reconnu par tous ont beaucoup aidé à cette relation avec les spectateurs, en particulier pour le répertoire russe qui de fait, d,e Tchaïkovski à Chostakovitch, est devenu un pilier du répertoire de l’Orchestre national du Capitole. Et je peux sentir l’impatience du public à faire connaissance avec Tarmo Peltokoski.
CLASSIQUENEWS : Comment faire évoluer l’Orchestre dans la société contemporaine ? Sur quelles pistes spécifiques travaillez-vous dans ce sens ?
Jean-Baptiste FRA : Nous sommes d’autant plus vigilants que l’Orchestre a cette chance d’occuper une place centrale au sein de l’activité culturelle de la Ville de Toulouse, soutenu depuis toujours par la Métropole. C’est une institution incontournable, un pilier de l’offre culturelle toulousaine. Le public, en suivant étroitement chaque saison, participe à ce rayonnement et cette réussite. La billetterie est en hausse de 15% par rapport à la saison passée, à la même date. Et à l’issue de la saison dernière, nous avions déjà rattrapé et même dépassé la fréquentation de la dernière saison avant COVID (2018 – 2019). La direction de personnalités comme Michel Plasson et Tugan Sokhiev a bien entendu contribué à cette situation.
Quoiqu’il en soit, l’essentiel reste la qualité artistique et le niveau d’excellence de l’Orchestre. C’est la raison primordiale qui explique que les spectateurs répondent présents. Évidemment le choix des personnalités renforce la qualité générale. Ainsi aux côtés du jeune et très prometteur Tarmo Peltokoski, nous invitons plusieurs baguettes très expérimentées ; tout cela pour faire toujours et encore progresser les musiciens. Tarmo Peltokoski va proposer une offre en clair-obscur comme sa personnalité, avec une prédilection pour les romantiques germaniques (Bruckner, Wagner, Mahler, Richard Strauss…), orientation différente du répertoire défendu par son prédécesseur. Pour la saison 2024 – 2025, le jeune maestro sera présent pendant 6 semaines. C’est, comme je vous l’ai dit, une prise de fonction progressive, dont les choix artistiques sont complémentaires à ceux de son prédécesseur.
Je travaille également sur l’élargissement de notre base de public et les programmes destinés aux familles m’apparaissent comme un vecteur essentiel. J’ai lancé de nouvelles collaborations, avec Élodie Fondacci notamment (Radio Classique), dont j’apprécie particulièrement le travail et dont les podcasts « Les Histoires en Musique » rencontrent un grand succès depuis plusieurs années.
Nous travaillerons également avec le chef protéiforme Dylan Corlay et son « Tour d’Orchestre à bicyclette » et beaucoup d’autres choses. Le fil conducteur de ces projets : la musique et l’orchestre doivent rester au centre.
Propos recueillis en octobre 2023
Toutes les photos © Romain Alcaraz / ONCT / Orchestre National du Capitole de Toulouse
Ses 5 coups de cœur de la nouvelle saison 2023/2024
de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse
Les 26 et 27 octobre 2023
Immortel Requiem / Mozart par Ton Koopman
Les 7 et 8 décembre 2023
Le Testament d’Orphée – Le programme est doublement majeur puisqu’il regroupe et Tugan Sokhiev et la pianiste Maria João Pires dans le Concerto n°4 de Beethoven. En outre, Tugan Sokhiev a choisi la 4è de Brahms, sa symphonie préférée du compositeur germanique. C’est à n’en pas douter un programme auquel le public toulousain répondra présent.
Les 30 et 31 décembre 2023 et 1er janvier 2024
Concerts du Nouvel An – Réveillonnez avec Hervé Niquet !
C’est une tradition de l’Orchestre que de fêter en musique chaque nouvelle année par un concert du Nouvel An. La conception de ce programme remonte à mes fonctions précédentes quand je travaillais au sein de l’Orchestre national des Pays de la Loire (ONPL). Communiquant facile et inspiré, avec une gouaille désormais bien connue, Hervé Niquet a cette facilité relationnelle qui convainc le public ; il a conçu un programme éclectique qui correspond aussi à sa propre expérience personnelle, de l’opérette à la variété avec Édith Piaf. C’est un voyage à la fois contrasté, vivant, personnel où le chef facétieux, lit aussi la correspondance de plusieurs compositeurs. Le programme donné à Nantes a été un immense succès, au point que certains spectateurs, présents à la première date, sont revenus à la seconde pour mieux apprécier encore les œuvres ainsi jouées et la présentation qu’en faisait le chef.
Le 15 février 2024
L’Amour masqué
Le programme permet la venue d’un chef prometteur avec lequel les instrumentistes toulousains ont déjà travaillé, au Festival de Montpellier, dans la 6è Symphonie de Dvořák. C’est aussi l’occasion de retrouver le violoncelliste Truls Mørk, (pour le Concerto de Chostakovitch) absent des scènes françaises depuis au moins 15 ans ! Période de Saint-Valentin oblige, nous avons ajouté une référence à Roméo et Juliette et au Carnaval, puisque la période est aussi celle de Mardi gras.
Le 28 mars 2024
Résurrection d’un chef d’œuvre
Sous la baguette d’Ariane Matiakh, l’Orchestre célébrera l’anniversaire de Gabriel Fauré en jouant ses mélodies réorchestrées. Fauré est d’autant plus à l’honneur à Toulouse qu’il est né dans un village proche, Pamiers. Le concert dévoile également une partition rare de César Franck : Les sept paroles du Christ en Croix, œuvre dramatique, d’une intensité opératique qui contraste évidemment avec le Requiem de Fauré, si lumineux et distancié.
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LIRE aussi notre présentation de la nouvelle saison 2023 – 2024 de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse : https://www.classiquenews.com/orchestre-national-du-capitole-de-toulouse-nouvelle-saison-2023-2024-marek-janowski-bertrand-chamayou-isabelle-faust-ariane-matiakh-dylan-corlay/