A partir du 16 septembre 2006, le 10 ème Festival international Albert Roussel débutera, permettant comme nulle part ailleurs, que l’oeuvre d’Albert Roussel et celles de ses disciples et contemporains, soient jouées. Le patrimoine musical qui est à l’honneur est injustement méconnu. A l’occasion des 10 ans du festival en 2006, nous avons rencontré son directeur, Damien Top. Quel est l’axe de la programmation du festival ? Comment se précise la place d’Albert Roussel et quel est le choix des compositeurs qui sont également joués à ses côtés? Bilan et perspectives d’un festival injustement méconnu, qui cependant, nous offre de redécouvrir une colonie de compositeurs exceptionnels, autour de la figure centrale d’Albert Roussel. Entretien.
Quelle est la ligne artistique du festival Albert Roussel ?
Elle est définie par son intitulé même : la figure et l’œuvre du compositeur Albert Roussel en constituent la ligne directrice. Il s’agit de mettre en valeur -voire de redécouvrir- ses ouvrages en favorisant leur interprétation par des artistes venus de tous horizons. Nous élargissons la programmation avec des compositeurs qui sont soit directement liés à Roussel, ses maîtres (d’Indy, Gigout, Boëllmann), ses amis (Schmitt, Ropartz, Cras, Koechlin, Delvincourt, Hoérée,…), ses élèves de la Schola Cantorum (Satie, Le Flem, Golestan, Roland-Manuel, Varèse) ou en privé après la guerre (Martinu, Palenicek, Beck, Jersild, Riisager, Martinon, Thiriet,…) soit indirectement parce qu’ils sont proches de son esthétique. Notre champ d’action est donc très étendu. Il reflète l’importance du rayonnement de la personnalité de Roussel…
Ainsi le festival propose-t-il lors de chaque concert une œuvre de Roussel confrontée à celles d’autres compositeurs. Elles s’éclairent mutuellement sous un jour original et complémentaire.
Quels seront les grands rendez-vous de l’édition 2006 qui est aussi l’édition des 10 ans du Festival?
Certainement les concerts de clôture avec la Philharmonie Tchèque. Nous jouerons « le Festin de l’Araignée » et le « Concerto pour piano » de Roussel mais aussi « le Poème des îles » de Claude Guillon-Verne, neveu de Jules Verne et disciple de Roussel, disparu il y a 50 ans, ainsi qu’ « Œdipe-Roi » de Maurice Thiriet d’après le texte original de Jean Cocteau. Thiriet l’a composé alors qu’il était emprisonné au Stalag IX A. La partition est écrite pour orchestre et chœur d’hommes, ce qui accentue la dimension tragique de cet oratorio. Le jeune Thiriet avait bénéficié des conseils de Roussel qu’il voyait l’été à Vasterival dans les années 30. On connaît évidemment mieux ses nombreuses musiques de films : « les Visiteurs du soir » ou « Les Enfants du paradis ». Nous sommes apparemment les seuls à honorer le centenaire de la naissance de ce magnifique compositeur.
D’autres moments forts seront la reprise de la version originale du « Marchand de Sable qui passe… » conte lyrique en vers de Georges Jean-Aubry que Roussel sertit d’une magnifique musique de scène ou encore le concert qui se tiendra en l’église de Varengeville-sur-Mer, à deux pas de la tombe d’Albert Roussel qui fait face à l’océan.
Quels sont vos projets pour le festival dans les années à venir ?
L’œuvre de piano, comme la musique de chambre ou les pièces vocales de Roussel ont déjà été donnés à plusieurs reprises depuis la création du festival. J’aimerais beaucoup mettre l’accent à présent sur la programmation de ses œuvres orchestrales, en lesquelles éclate véritablement le génie de Roussel, les symphonies bien sûr, mais aussi les œuvres scéniques. Donner ses opéras : « Padmâvatî » ou « la Naissance de la lyre » qui reste un rêve à réaliser. L’opérette « Le Testament de la Tante Caroline » n’est connue que dans sa version concentrée en un acte, alors que c’est l’original en trois actes qui mériterait d’être exhumé. Il s’agit d’un travail immense qui prendra plusieurs années.
Au fur et à mesure des éditions, certaines thématiques liées à l’œuvre de Roussel se sont-elles détachées ?
Sa production est suffisamment riche pour susciter de nombreuses explorations thématiques. Nous avions par exemple organisé une édition autour de son œuvre pianistique, une autre autour de ses mélodies, une autre encore avait pour sujet : « l’esprit de suite ». Nous avons également abordé le thème de la danse dont les formes et les rythmes innervent moultes de ses partitions. Le voyage, l’ailleurs, l’Orient, les pays qu’il visita constituèrent le thème d’une récente édition. Grand voyageur, Roussel fut un éternel curieux et son appétit de connaissances transparaît à travers sa vie et toute sa production artistique.
Vous vous êtes penché sur l’œuvre et la vie de Roussel ? Pouvez-vous nous en dire davantage sur l’homme et le compositeur?
L’image que l’on véhicule de lui est quelque peu déformée. Au cours de mes recherches, je me suis aperçu combien la mer représentait une composante essentielle dans le processus créateur rousselien. Il demeura toute son existence un éternel marin. Certes il renonça à la Marine en 1894, mais pour des raisons de santé. Son œuvre entière demeure perpétuellement rattachée à l’élément liquide. La proximité de l’eau lui est nécessaire pour composer, et très souvent elle est présente de manière plus ou moins sous-jacente. Prenez par exemple le troisième mouvement de sa symphonie avec chœur « Evocations » : il se déroule « au bord du fleuve sacré » (Le Gange). La guerre fit avorter son projet de « Poème des Eaux » sur un texte de Verhaeren.
Si l’Inde paraît caractériser sa production juste avant-guerre, c’est la Grèce antique qui l’attira à partir de 1920. Il garda constamment une âme d’explorateur : n’avait-il pas conçu le projet d’un opéra futuriste, un ouvrage de science-fiction : « Voyage au Monde à l’envers » ? Doté d’un esprit en perpétuel éveil, c’est un créateur qui échappe à tout cadre classique.
Voilà deux aspects parmi ceux que j’ai voulu souligner dans la biographie que j’ai écrite (ndlr : éditée chez Séguier en 2000) mais ce petit livre est loin d’être complet puisque conformément à la ligne éditoriale de la collection, les commentaires purement musicologiques y étaient à éviter. La biographie définitive d’un compositeur aussi capital reste donc à publier. Avis aux éditeurs…
Si vous étiez obligé de choisir parmi ses œuvres, celles que vous emporteriez sans hésitation… sur l’île déserte, lesquelles précisément ?
Aucune ! car je serais frustré de ne pouvoir emporter les autres. Ni celles d’autres de mes compositeurs favoris… De toute façon, les œuvres qui vous sont chères sont indélébilement ancrées en vous.
Toutefois, si vous m’obligez absolument à faire un choix, j’opterai pour son opéra « Padmâvatî » (dans la version de Michel Plasson, chez Emi), le ballet « Bacchus et Ariane » et ses symphonies que je ne parviens pas à départager : le « Poème de la forêt » est une œuvre impressionniste tenant de d’Indy et de Debussy ; la deuxième est une partition plus complexe sur le plan harmonique, une vaste réflexion sur le devenir de l’Occident après la guerre mêlant âpre douleur et enthousiasme débordant en face d’un monde nouveau. Les deux dernières symphonies, « néo-classiques », affirment une écriture parfaitement maîtrisée. Je reste impressionné par ses quatre symphonies, avec peut-être une prédilection pour cette extraordinaire leçon de vitalité qu’est la 3ème, la plus célèbre, à juste titre d’ailleurs parce qu’elle est la plus aboutie (dans la version de Charles Münch).
Avez-vous des projets au disque ?
Nous avons inauguré la collection du festival avec le CD consacré aux mélodies d’Emile Goué. Cette collection permettra de fixer les œuvres rares redécouvertes à l’occasion du festival. Je termine actuellement un enregistrement consacré à Claude Guillon-Verne. Les autres albums proposeront la musique de chambre d’Albert Roussel (avec des inédits), celle de René de Castéra, Ladislas de Rohozinski, Emile Goué, Claude Delvincourt, puis de la musique orchestrale.
Albert Roussel demeure plus connu des initiés que du grand public. Comment changer cette image réservée et comment élargir le cercle de vos partenaires ?
Ni Tourcoing, où il est né, ni Dieppe, où il s’était établi et où de nombreux jeunes musiciens venaient le consulter, ne sont véritablement impliquées par notre oeuvre de promotion. Aujourd’hui, c’est essentiellement la Région Nord-Pas-de-Calais et le département du Nord qui soutiennent avec énergie notre projet. Beaucoup de personnes étiquettent le festival comme un événement élitiste : or il suffit d’assister aux concerts pour y mesurer la générosité, l’ouverture et l’enthousiasme des participants, public et artistes confondus. Lors de chaque week-end, nous sommes attentifs à développer des passerelles entre les arts, l’histoire et la spécificité des lieux d’accueil. Autour de Roussel et de ses contemporains, il s’agit en outre de permettre la redécouverte du patrimoine de nos régions. Et celui du Nord –par ailleurs fournisseur de beaucoup d’interprètes – me semble particulièrement négligé. C’est pourquoi depuis sa création le festival a développé un fort ancrage territorial. A ce titre, le concert d’ouverture illustre notre approche : le spectacle « opérettes à la flamande » comprend par exemple des œuvres d’Auguste Taccoen, sorte d’Offenbach flamand et aussi d’Edmond de Coussemaker, savant musicologue originaire de Bailleul, auteur en 1852 d’une Histoire de l’Harmonie au Moyen-Age qui fait toujours autorité, très connu en Flandre pour sa collecte de chants populaires mais dont nous interprèterons des chansons légères qui étonnent sous sa plume.
Festival international Albert Roussel
Toutes les infos sur l’édition 2006 : les « 10 ans »
DiscographieEmile Goué, mélodies
Disponible sur www.recitalmedia.com
Bibliogra
phie
Damien Top, Albert Roussel, un marin musicien (Séguier, 2000).
Crédits photographiques
Damien Top (DR)
Albert Roussel à Varengeville (DR)