mardi 18 février 2025

ENTRETIEN avec ALICE FERRIERE, mezzo-soprano (à propos de son cd « Clara, notre étoile », 1 cd Cascavelle).

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Alice Ferrière vient de publier son dernier album, totalement dédié aux lieder de Clara, Robert Schuman et de Johannes Brahms : sous le titre  « CLARA, notre étoile », la mezzo-soprano signe un hommage à la sensibilité unique qui a unit les 3 pianistes et compositeurs, en une sorte de famille musicale singulière dont chaque lied éclaire la secrète entente, les affinités complices, les thèmes en partage… Alice Ferrière évoque sa conception du genre, son travail avec le pianiste Nicolas Royez, les circonstances aussi grâce auxquelles la cantatrice s’est passionnée pour la langue allemande et le lied… Entretien pour CLASSIQUENEWS.

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CLASSIQUENEWS : Vous interprétez depuis longtemps le lied. Qu’apporte la fréquentation de ce genre pour la chanteuse que vous êtes ? 

Alice Ferrière : Souvent on commence l’étude du chant par l’apprentissage d’une mélodie ou d’un lied car il s’agit de formes courtes, plus facile à intégrer. J’ai commencé un peu par hasard par « Ich grolle nicht »  extrait des Dichterliebe de Schumann. 

Par contre, interpréter un récital de Lieder ou mélodies, c’est une autre chose. Cela demande une certaine expérience et beaucoup de recul. Ici pas de costumes ni de décors. Juste la voix, l’expression du visage et le dialogue subtil avec le piano pour raconter une histoire, peindre ces différents petits tableaux aux couleurs changeantes de la manière la plus simple et intéressante. Depuis toujours, j’aime la poésie, faire rêver. 

J’ai appris l’allemand en classe bilingue à partir de la 6ème. J’ai eu une professeure remarquable au démarrage qui a su nous donner le goût de cette langue a priori peu attirante. Cela a été déterminant dans mon parcours et mes choix, que ce soit l’attrait pour les Lieder ou encore le fait d’étudier le chant en pays germanique. 

J’aime la plasticité, la musicalité propre à cette langue surtout dans ces pièces romantiques où la poésie des mots et la musique se mêlent. 

Je suis à la fois très pudique et fantasque. Je me reconnais dans cette musique qui dévoile des bouts de l’intime dans cette forme de duo ou trio de musique de chambre. Ce genre nous invite à rester connecté à notre nature, à aller chercher à l’intérieur. Ici la chanteuse est surtout musicienne et conteuse.

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Notez-vous des éclairages poétiques et musicaux spécifiques selon qu’il s’agisse de Robert S ou Brahms ? Sur le plan des atmosphères de certains lieder ? Et dans le choix des poèmes, y a t il des sentiments « propres » à l’un et à l’autre ? Remarquez vous des couleurs qui se trouvent chez l’un et pas chez l’autre ?

Alice Ferrière : Chez Robert Schumann, le lien intrinsèque à la poésie et aux poètes est très fort sans doute du fait de sa sensibilité à fleur de peau. Il met en musique des vers qui lui sont contemporains. Heine et Rückert sont d’ailleurs des amis proches, écrivent parfois en s’inspirant de la vie du compositeur. 

Les deux Lieder qui ouvrent le disque font partie de « Myrthen », cycle composé en 1840, dédié directement à Clara. Robert en offre un exemplaire à son épouse le jour de leur mariage. 

« Dein Angesicht » et « ich Stand in dunklen Träumen » de Clara , sur des vers de Heine, abordent la même thématique sous un angle différent. 

Pour Robert, on perçoit d’emblée la retenue, une pudeur extrême, il y a la lumière et les ombres qu’on peut ressentir dans chaque lied. 

On retrouve chez Brahms  des poèmes de Heinrich Heine ou encore Friedrich Rückert comme pour les Schumann. Les mêmes thèmes propres au romantisme sont présents chez Brahms: l’amour dans plusieurs états, amoureux heureux, triste qui doute, la nostalgie, la mort et l’amour et l’omniprésence de la nature, tantôt comme témoin tantôt comme au cœur de l’histoire qui se joue. La manière d’aborder la poésie est différente, plus lumineuse et la musique surtout plus libre, plus extravertie au fil du temps. 

Si Clara est une inspiration pour nombre de ses Lieder, un Lied est particulier. En 1874, Brahms compose  « Meine liebe ist grün » sur un poème de Félix Schumann comme cadeau pour Clara, lied qui évoque l’amour éternel, alors même que le dernier né des Schumann se meurt. Un baume pour l’âme de Clara. Le lied, c’est cela aussi pour ces trois compositeurs – musiciens : un lieu où l’âme vient partager sa joie ou sa peine ou encore consoler et réconforter l’âme amie. 

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Vous révélez le cycle des 6 lieder Opus 13 de Clara Schumann ? Que nous éclairent-ils de la compositrice ? En particulier si on les compare aux lieder de son époux Robert et à ceux de Brahms ?

Alice Ferrière : Qualité et maturité. Clara Schumann  compose lorsqu’elle peut, soit très rarement du fait de nombreuses contraintes après son mariage : la vie familiale, la vie de concertiste, l’aide pour son mari. 

L’opus 13 est édité en 1844 et rassemble 6 Lieder. Il s’agit essentiellement de cadeaux faits à Robert à l’occasion de Noël ou son anniversaire. Notamment le lied « Sie liebten sich beide » sur un poème de Heine, offert à Robert le 8 juin 1842 pour son anniversaire. Lorsqu’on considère chacun d’entre eux, même si  la langue commune des Schumann est perceptible, on observe 6 pièces indépendantes, abouties qui montrent que l’écriture de Clara n’a rien à envier aux lieder de son mari ni à ceux de son ami Brahms. Ils coexistent au même niveau. 

Une sensibilité commune aux trois compositeurs pour ce répertoire de poésie mise en musique mais 3 expressions reconnaissables. 

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Y a t il un ou deux poème(s) / Lied(er) que vous aimez particulièrement chanter en récital ? Pourquoi ?

Alice Ferrière : cela dépend des jours et du moment donné. J’apprécie l’ensemble des pièces du disque. Ce sont tous des coups de cœur. 

Pour aujourd’hui, je dirai : « dein Angesicht, ich Stand in dunklen Träumen, immer leiser », les berceuses de Brahms avec alto, que j’ai rarement l’occasion d’interpréter. Demain cela pourrait être une autre sélection, au gré de l’humeur et de l’envie. Impossible d’en choisir deux en particulier. 

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Où recherchez-vous la complicité avec le pianiste pendant le concert (et ici durant les sessions d’enregistrement), de quelle façon vous accordez-vous au jeu de Nicolas Royez ?

Alice Ferrière : C’est important lorsqu’on se lance dans ce répertoire de chambre d’être à l’écoute l’un de l’autre, de faire nos propositions, de laisser la rencontre opérer. 

Avec Nicolas, nous avons pris le temps de préparer ce programme. Jusqu’à la fin de la session d’enregistrement, nous avons cherché des couleurs communes, un souffle naturel.  Pour chaque lied, c’est un cheminement différent. C’est un travail exigeant mais tout à fait passionnant. J’espère que cela s’entend. 

 Nous avons pris beaucoup de plaisir à donner ce concert à l’occasion de la sortie du disque Clara notre étoile le 19 avril dernier, un an tout juste après l’enregistrement. Sans doute, parce que nous sommes plus libres dans notre jeu et pouvons faire évoluer notre interprétation au gré de nos envies. Le travail porte ses fruits. Nous avons hâte de partager à nouveau ce programme romantique avec le public.

 

 

 

CLASSIQUENEWS : Une anecdote liée à la réalisation de cet enregistrement ?

Alice Ferrière : Nous n’avions pas prévu d’enregistrer la fameuse berceuse de Brahms (piste 25 disque). Lors du concert clôturant notre préparation deux semaines avant d’aller en studio, c’est l’émotion suscitée chez le public par notre bis qui nous a fait changer d’avis. 

 

 

Propos recueillis en avril 2023

 

 

CD événement

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CRITIQUE CD événement. CLARA NOTRE ÉTOILE – lieder de Robert et Clara Schumann / Brahms – Alice Ferrière, mezzo-soprano (1 cd Cascavelle)

 

Comme blessée mais lumineuse, intense et toujours sobre, parfaitement articulée et précise, la voix d’Alice Ferrière sait incarner l’éclat de la tendresse (superbe « Wie melodien zieht es mir leise opus 105 (d’après Klaus Groth) ; l’inquiétude voire l’hallucination du redoutable et très dramatique « Von ewiger liebe » opus 43 (d’après AHH von Fallersleben); le souffle, le désir, parfois l’impatience voire l’urgence des textes d’après Heine ou Rückert. « Nous avons pris le temps pour chaque lied de (…), trouver des couleurs communes pour peindre chaque pièce comme un tableau », précise l’interprète, en complicité avec le pianiste Nicolas Royez dont le jeu est tout en nuances et suggestivité… de fait, picturale (climat d’extase accomplie dans l’ineffable « Immer leiser wird mein schlummer » d’après Hermann Lingg).

Le résultat à l’écoute s’avère de ce point de vue éloquent et totalement convaincant. CLIC de CLASSIQUENEWS printemps 2023.

 

LIRE notre critique complète du cd CLARA notre étoile …. par Alice Ferrière, mezzo-soprano :

CRITIQUE CD événement. CLARA NOTRE ÉTOILE – lieder de Robert et Clara Schumann / Brahms – Alice Ferrière, mezzo-soprano (1 cd Cascavelle)

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