vendredi 29 mars 2024

DVD, compte rendu critique. PUCCINI : Turandot (Chailly / Lehnhoff, 2015)

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turandot pucini scala riccardo CHAILLY nina stemme dvd classiquenews critique review dvd critiqueDVD, compte rendu critique. PUCCINI : Turandot (Chailly / Lehnhoff, 2015). UNE TURANDOT VISUELLEMENT EXPRESSIONNISTE DANS LA VERSION COHERENTE DE BERIO… Temps fort de la saison 2014-2015 de la Scala, cette Turandot façon Chailly et surtout Nikolaus Lehnhoff inaugurait l’Expo universelle 2015 à Milan. Les moyens (importants) étaient donc investis – image milanaise oblige- pour réussir d’abord une méga production, au service d’une partition qu’ici même, Toscanini créait avec une passion devenue à juste titre légendaire. C’est donc Hollywood qui s’invite en Chine. Riccardo Chailly, réfléchi et soucieux de cohérence, enchaîne le dernier acte, – laissé inachevé par Puccini, selon la conclusion qu’en donne Luciano Berio.
Créé à Amsterdam, la production s’invite donc à Milan, ici en mai 2015 – filmée par Decca : nuit de cauchemar où triomphe le rouge omniprésent (mur de la cité interdite, sang versé depuis que la princesse vierge énonce victorieusement ses énigmes à tous ceux, jeunes princes, qui osent la demander en mariage…) ; s’y dessinent aussi d’étranges figures en costumes mi SYFY mi historiques, donnant l’impression d’assister à un volet inédit de Star Wars.

En rien gadget, mais dramatiquement juste, la mise en scène de Nikolaus Lehnhoff confirme l’intérêt du travail défendu aujourd’hui par le metteur en scène : il analyse et met en lumière le passage et la métamorphose, de la vierge pétrifiée à la femme amoureuse, qui « ose » toucher le prince Calaf en fin d’action, car enfin humanisé, elle devient incarnée, ressuscite dans son corps enfin visible (avant, caché par une immense robe blanche d’une échelle suprahumaine), entité enfin humaine et désirante, reconnaissante à celui qui a décrypté ses énigmes, la libérant du fardeau pétrifiant qui la maintenait sphynge impénétrable mais douloureuse, prisonnière de sa propre promesse faite à son aïeule violée. De ce point de vue, le metteur en scène rétablit l’équilibre d’un drame qui laissé par Puccini, et malgré les rustines demandées par Toscanini à Alfano, soufrait de la maladresse de son ultime séquence. Or tout est là : le sujet central de l’oeuvre orientale de Puccini, réside dans ce passage de la pétrification à l’humanisation. En cela, Lehnhoff a bien joué.

 

 

turandot riccardo chailly decca dvd classiquenews nina stemmeCôté chanteurs, saluons la belle caractérisation des 3 ministres mandarins, huissiers usés par le protocole, dans leur superbe scène qui ouvre l’acte II : Ping (Angelo Veccia : le plus ardent, mordant), Pong (Blagoj Nacoski) et Pang (Roberto Covatta) présents, complices, vivants. Ils font trois arlequins revisités, très justes, car leur costumes ici citent la référence littéraire de l’opéra de Puccini, Gozzi. Notons le très crédible Timur d’Alexander Tsymbalyuk qui fait un roi des Tartares noble, mais blessé. A ses côtés, la jeune esclave qui guide sa cécité, Liù trouve en Maria Agresta une âme généreuse, et surtout déterminée en première amoureuse de Calaf ; la noblesse autodéterminée du personnage est rarement aussi bien exprimée.

Aleksandrs Antonenko a belle allure et vaillance communicative : son Calaf est volontaire – aux aigus parfois tendus et tirés, mais très expressifs, en somme l’agent rêvé pour Turandot et sa transformation finale.
Dans un rôle qu’elle a déjà chanté à Stockholm dès 2013, puis après Milan à New York et Zurich, la suédoise wagnérienne Nina Stemme affirme un métal sûr aux aigus ronds et chauds, ce qui renforce une incarnation croissante, idéale pour la transformation de la princesse, d’abord marmoréenne, virginale et hiératique (scène des énigmes au II), puis de plus en plus humaine, amoureuse, attendrie (III).

 

 

 

turandot-chailly-nina-stemme-maria-agresta-antonenko-dvd-review-critique-dvd-classiquenewsEn plus de l’intonation crédible, la cantatrice ne manque pas de puissance, d’autant que le geste de Ricardo Chailly recherche souvent le décibel en place de l’atmosphère. Pour son retour sur la scène scaligène, le chef pourtant capable de nuances, force souvent le trait, exacerbant certains rapports et plans, qui au final offrent une sonorité opaque : l’orchestre couvre les voix du plateau, et souvent dans la fosse, les cuivres submergent littéralement le tapis des cordes. Cependant, le chef lyrique se dévoile au fur et à mesure et l’on aurait tort de rester sur la première impression : le constat de départ est bientôt nuancé grâce à la forte caractérisation que le maestro insuffle à chaque séquence : nerf glaçant voire terrifiant quand paraît la divine vierge du haut de son rempart de sang au II; puis, au III, direction plus souple, selon les méandres du duo Calaf/Turandot dans l’acte de Berio (créé par Chailly dès 2002). C’est le bénéfice de cette version « moderne », c’est à dire XXè : Berio s’immisce dans la psyché des deux amants dévoilés, écartant le décorum des deux premiers actes, surtout le kitsh de la version Alfano / Toscanini : il en résulte deux coeurs nouvellement révélés, fiancés dont le murmure fusionnel recouvré, exprime idéalement cette couleur intimiste, intérieure, « tristanesque », que Puccini avait en tête en laissant inachevé son dernier drame lyrique. Convaincant et captivant.

 

 

 

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turandot pucini scala riccardo CHAILLY nina stemme dvd classiquenews critique review dvd critiqueDVD, compte rendu critique. PUCCINI : Turandot. 1 dvd DECCA 074 3937 — Opéra en trois actes et cinq tableaux (inachevé)
Livret de Giuseppe Adami et Renato Simoni d’après Carlo Gozzi
Version de Luciano Berio créée en 2002. Enregistré à Milan, Teatro alla Scala, en mai 2015

Nina Stemme, Turandot
Alexander Tsymbalyuk, Timur
Maria Agresta, Liù
Aleksander Antonenko, Calaf
Carlo Bossi, Altoum…
Orchestre et Choeur de la Scala de Milan
Riccardo Chailly, direction
Nikolaus Lehnhoff, mise en scène

 

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