lundi 5 mai 2025

Dieppe. Ecole de musique C. Saint-Saëns, le 22 octobre 2011. 15è festival international A. Roussel. Delvincourt, Thiriet, Goué, Castéra, Roussel… Orchestre Symphonique de Dieppe. Damien Top, direction

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Alors qu’à Venise, le Palazzetto Bru Zane Centre de musique romantique française s’engage avec mérite et regard visionnaire pour la résurrection des compositeurs lauréats du Prix de Rome, une autre institution fait entendre sa voix, celle du festival international Albert Roussel dont 2011 marque déjà la 15è édition. Festival singulier au nord de la France rayonnant depuis le Mont Cassel entre Nord Pas de Calais, Normandie et Belgique, la programmation défend elle aussi les lauréats du Prix médicéen: Pour le centenaire de son Prix 1911, Paul Paray est à l’honneur au début de la programmation; surtout Claude Delvincourt, grand vainqueur du Prix de Rome en 1913, ex aequo avec Lili Boulanger dont la Cantate Faust et Hélène profiterait à être réévaluée en comparaison avec celle éponyme de sa consoeur, protégée de Fauré.
Le projet du Festival international Albert Roussel suscite l’admiration pour chacune de ses éditions. Damien Top, ténor et chef d’orchestre, veille au rayonnement de l’oeuvre de Roussel en programmant régulièrement ses oeuvres; il s’agit aussi de construire de nouveaux programmes en retissant les relations d’amitié et de travail entre Roussel et ses contemporains; ainsi le concert du 22 octobre 2011 donné à Dieppe (Ecole de musique Camille Saint-Saëns) rétablit-il une constellation artistique féconde réunissant Roussel et son cadet Maurice Thiriet (voisins et proches au Pays de Cau); Emile Goué pour lequel Roussel fut un conseiller particulièrement pertinent; enfin Delvincourt, Prix de Rome 1913. Pour réaliser ce programme ambitieux, temps fort du festival 2011, Damien Top s’est associé à l’Orchestre Symphonique de Dieppe, phalange composée de professeurs de musiques et d’élèves des conservatoires du territoire: il s’agit outre l’activité de défrichement des répertoires, d’un travail remarquable de transmission et de pédagogie. Remonter un orchestre à Dieppe est d’autant plus pertinent que Roussel lors de son implantation à Varengeville, non loin de là, a dirigé en de nombreuses occasions l’orchestre du Casino de Dieppe… Demain, pourra-t-on vivre une nouvelle aventure symphonique à Dieppe? L’idée devrait être pérennisée car la ville est riche d’une longue et prestigieuse histoire musicale.

Style 1930

Le programme révèle une cohérence interne intéressante; autour du Festin de l’araignée de Roussel, et mis à part le concerto pour flûte de Maurice Thiriet (1961), les 3 oeuvres de Castéra, Goué et Delvincourt ont été conçues au cours des années 1930.
C’est aussi pour la ville de Dieppe l’occasion d’honorer les talents réunis en bord de mer; il y a chez tous, un égal raffinement de l’orchestration, une facilité de composition évidente, et la sensibilité aux atmosphères; en plus de la subtilité de l’écriture instrumentale se profile une lumineuse affection pour la transparence qui fait briller l’identité de chaque timbre. En outre, le festival programme ce soir deux oeuvres en créations mondiales: Pénombres d’Emile Goué et Sicilienne de René de Castéra. Pénombres écrit à Bordeaux en 1931 puis réorchestré 10 ans plus tard, est un triptyque fascinant entre ombre et lumière, dont la très forte intensité de suggestion plus que de description, frappe d’un bout à l’autre, au travers de ses trois épisodes précisément intitulés. Le voile des allusions, source de nostalgie comme de langueur, s’y exprime avec une liberté étonnante qui se rapproche de la ciselure ravélienne comme de la brume debussyste. Oeuvre de jeunesse, retravaillée à l’époque de la maturité, Pénombres ne laisse pas de captiver par son refus de la formulation facile, trop évidente; Emile Goué s’y montre déjà, ce poète d’une grisaille fugitive, passeur entre deux mondes, révélateur du mystère.
La Sicilienne de René de Castéra met en avant le timbre puissant et là encore très évocateur du violoncelle (Sabine Duguay); l’oeuvre est une commande de la violoncelliste Edwige Bergeron, créée à la Société national de Paris en mai 1931, la même année que Pénombres de Goué (dans sa version orginale pour piano). L’orchestre élargit encore le spectre des couleurs, accentue le caractère méditatif et nostalgique de la pièce remarquablement interprétée par la soliste, comme habitée par l’atmosphère profonde qui porte au rêve.
Belle sonorité et respiration intérieure et fluide de la flûtiste Anne Cartel pour un Concerto de Maurice Thiriet (1906-1972) très lumineux et agile dont l’écriture ne dément pas la réputation de compositeur subtil et ensoleillé. Créé en 1961 par Jean-Pierre Rampal, la partition en trois parties fait entendre cette facilité à la fois virtuose mais jamais creuse d’un musicien accompli, élève de Koechlin et Roland Manuel, à qui l’on doit un riche catalogue de musiques de films (près de 150 partitions dont Fanfan la tulipe, Lucrèce Borgia pour Christian Jacques; Adrienne Lecouvreur et La nuit fantastique de Michel Lherbier…, sans omettre les Enfants du Paradis ou Les Visiteurs du soir…) et de ballets (pour Jacques Rouché à l’Opéra de Paris, pour Roland Petit…).

Autre volet trépidant et même superbement ouvragé, la Radio Sérénade du Prix de Rome 1913, Claude Delvincourt (1888-1954), suite instrumentale en cinq tableaux de 1935 dont la référence à l’Italie est manifeste, sous la direction de son professeur au Conservatoire, Widor. Installé non loin de Dieppe au Prieuré de Rouxmesnil (devenue la mairie), le directeur du Conservatoire (successeur à ce poste d’Henri Rabaud en 1941), ex organiste de l’église Saint Jacques à Dieppe, étonne par sa très grande culture musicale, cette facilité à jouer dans tous les styles; mais cette virtuosité évidente dans l’art des combinaisons de timbres est enrichie par un raffinement harmonique constant; un souci particulier de la sonorité et des couleurs, ainsi que de la progression comme de l’architecture rythmique. En cela, la Barcarolle et la Pastorale saisissent par leur justesse de sentiment, la finesse et la profondeur de leur caractère. Il y a évidemment de la facétie et beaucoup de liberté dans une écriture caméléon que l’Orchestre Symphonique de Dieppe, sous la baguette de Damien Top, sert avec la fougue, l’engagement et la précision nécessaires. Tout étant ici une question de délicat dosage entre les pupitres, d’équilibre et de balance pour faire jaillir les nombreuses pépites de teintes et d’accents, l’oeuvre dernière est un véritable aboutissement sonore et musical, manière d’accomplissement dans le raffinement et la narration.

Avec le Festin de l’Araignée, ballet-pantomime de 1913 créé pour Jacques Rouché alors directeur du Théâtre des Arts, Damien Top rappelle à juste titre combien Roussel est ce maître orchestrateur et génie de la dramaturgie symphonique, sans équivalent à son époque. Le flamboiement très canalisé du matériau orchestral suit parfaitement le continuum dramatique de cette féerie animalière inspirée des Souvenirs entomologiques de Fabre; sur scène, le ballet recréait la terrifiante et inéluctable capture des insectes danseurs sur la toile géante de l’Araignée avant qu’elle-même ne succombe sous les attaques d’une mante religieuse… Le ballet s’achève sur les funérailles d’une éphémère et tout est dit dans cette correspondance allusive de destinées tragiques fugaces. Roussel signe un chef d’oeuvre d’instrumentation raffiné, d’une expressivité rare, à la fois serrée et suspendue. La suite d’orchestre interprété par Damien Top suit le parcours du jardin, de l’aube au crépuscule, selon la course et la mort des insectes: la danse puis la mort du papillon; le passage si délicatement fugitif de … l’éphémère.
Malgré la précision de son plan narratif et le scrupule du compositeur à suivre chacun des épisodes de cette tragédie animalière, l’écriture fait jaillir des somptuosités de timbres inédites, d’une poésie inouïe: combinaison célesta/harpe/violon solo (danse de l’éphémère) par exemple; c’est un festival de combinaisons d’un raffinement exceptionnel qui mérite une attention constante; saluons l’Orchestre de Dieppe d’exprimer et ce jeu formel superlatif, et l’action d’un ballet serti de joyaux sonores dont le sujet certes anecdotique, atteint surtout au souffle de l’universel; ce qui se joue ici, c’est la force du destin, la fragilité cyclique, et grâce aux vertiges poétiques d’une justesse troublante, la condition de toute vie terrestre. Jamais appuyée, souple et précise, la direction de Damien Top, grand connaisseur de l’univers roussélien, éclaire toutes les facettes de ce Festin dont on savoure chaque éclair instrumental comme un accent parmi des centaines d’une écriture décidément géniale. Le chef en dévoile chaque épisode et chaque miniature sans jamais perdre le fil directeur d’un drame admirablement architecturé. Bel accomplissement pour le festival International Albert Roussel.

Dieppe. Ecole de musique Camille Saint-Saëns, le 22 octobre 2011. 15è festival international Albert Roussel. Delvincourt (Radio Sérénade), Thiriet (Concerto pour flûte), Goué (Pénombres, création de la version pour orchestre), Castéra (Sicilienne pour violoncelle), Roussel. (Le Festin de l’Araignée).. Orchestre Symphonique de Dieppe. Damien Top, direction. Le programme du concert est en partie repris le 12 novembre 2011 (Roussel, Goué et Castéra), en clôture du festival, à Ayre sur la lys.
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