jeudi 28 mars 2024

Dauvergne: Hercule mourant (Rousset, 2011)2 cd Aparté

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dauvergne antoineCD, compte rendu critique. Dauvergne: Hercule Mourant (Rousset, 2011). Voilà un enregistrement attendu qui n’a pas manqué de poser un problème à sa réception. A l’écoute progressive d’une partition qui s’est révélée souvent sublime (en particulier par son souffle et sa finesse ramélienne), le geste des interprètes ne s’est pas montré à la hauteur de l’ouvrage. Les réserves que nous mentionnons ne retirent en rien le très haut intérêt de la partition, l’une des plus saisissantes récemment exhumées par le CMBV, Centre de Musique baroque de Versailles (le concert enregistré ici en live était programmé lors de la dernière saison musicale du Centre, dédiée à l’oeuvre lyrique d’Antoine Dauvergne, à l’automne 2011). D’emblée, avouons notre très grande déception quant à l’approche de l’orchestre et du chef, maillons faibles de cette recréation, d’autant plus déséquilibrée que plusieurs chanteurs de surcroît dans les rôles phares, se montrent trop instables.


nervosité mécanique

Style haché, tendu, raide, sec et d’une constante nervosité mécanique (continuo et basse dont le clavecin épais et grossièrement envahissant): dès l’ouverture, les limites malheureuses de la version s’imposent à nous. Certes électrisé, l’orchestre manque de flexibilité, d’élégance, de souplesse, cela ne respire pas ou trop peu… impression qui reste hélas permanente tout au long du programme (même les innombrables et si somptueux danses et ballets colorant toute la partition ne décollent que trop rarement: coupes étroites, accents systématiques, battue sèche): chez Rameau de fait, en une hauteur de vue souveraine et ici inatteignble, Minkovski et surtout William Christie demeurent indépassables dans ce lâcher prise, cette retenue nostalgique et ce muscle versatile dans ses colorations diverses héroïques et tragiques (Déjanire, Hercule), tendres et sentimentales (Ïole, Hilus), grandioses et si humaines à la fois, et aussi chorégraphiques (ballets et divertissements); il ne suffit pas d’être énergique, il faut encore ciseler la courbe nostalgique, et cet alanguissement sombre inscrits dans la musique.

Christophe Rouset ne manque pas de muscles, et il en faut pour Hercule comme le rappelle le visuel de couverture !-, mais il s’agit souvent d’une nervosité qui tombe à plat.
Manque de préparation ou erreur de répertoire, le chef des Talens Lyriques ne convainc pas.
Autant ses Lully rares (Bellorophon…) pouvaient intéresser autant pour ce XVIIIeme qui revisite Rameau et les mythes théâtraux du Grand Siècle, exigeant cette alliance tenue de solennité tendre, de noblesse humaine, son geste parait bien limité. Dauvergne ramélien aiguisé se souvient ici d’un premier Rameau, celui flamboyant et mythologique d’Hippolyte et Aricie, propre au début des années 1730.

Manque d’inspiration et de nuances, le chef ne trouve ni ses marques ni une vision cohérente dans une partition sublime de bout en bout et qui mérite le meilleur. Voilà bien la source de notre déception.


Sublime atténué

rousset christophe talens lyriques amadis phaeton roland, bellerophonTout sonne comme précipité à l’emporte pièce (prélude du IV) et de la même façon de bien mécanique façon à travers les 5 actes (confusion et désordre même règnent dans les danses du III; de même, que dire de l’annonce des jeux dont témoigne Alcide enfin présent: le chef a décidément la main trop lourde).Même manque de finesse et d’introspection sensible dans le récit de l’empoisonnement d’Hercule par son fils Hilus au IV: scène d’un sublime tendre ciselé voire sublime là encore). Fatale agitation sans respiration surtout pour la superbe chaconne finale qui doit exprimer une délivrance et l’apothéose d’Hercule (son sacrifice n’est pas vain) comme signifier pour Dauvergne, un hommage à l’héritage du Grand Siècle et de l’opéra héroïque de Lully.

Même les choeurs qui rythment l’action riche en solennité et divertissements honorant dieux et héros (Jupiter et Alcide) manquent de naturel et de souffle: tout sonne étriqué et malheureusement étroit. Reportez-vous à ce que firent en leur temps Christie et Minkowski chez Rameau (source première pour Dauvergne): une élégance, un raffinement de nuances autrement plus exaltants. Ce n est pas un hasard s’ils ont tous deux enregistré les plus belles versions discographiques d’Hippolyte et Aricie, réchauffant sous la grandeur, le souffle tragique et humain de chaque caractère, la souplesse nostalgique des ballets, l’ivresse poétique de la divine musique du Dijonais: Hercule mourant est de la même veine: un sommet de l’art tragique français des années 1760 (et donc qui ressuscite l’or du premier Rameau, celui des années 1730).

veronique-gensDéjanire altière et humaine, Véronique Gens peine parfois dans des aigus pincés, nasalisés, étroits, tirés, plafonnés (et même vibrés de façon inégale) et un style pas toujours très propre: manque de simplicité surtout qui affaiblit l’impact du texte; nous l’avons connue en meilleure forme. Dommage car le personnage de Déjanire, passionnée et entière, au bord de la crise hystérique dans ses injonctions permanentes, vraie harpie et furie d’une jalousie maladive et obsessionnelle, est le caractère central du drame ; tout l’acte IV lui est dédié : son grand air avec choeur  » Dieu, grand dieu, sois sensible… » est une prière où le grandiose rejoint l’humaine aspiration d’une amoureuse coupable; c’est un esprit qui est la proie du doute, rongée par l’ombre pour s’y abîmer définitivement (préfiguration d’Arcabonne à venir chez Jean-Chrétien Bach, Amadis de 1779 récemment ressuscité). Tout est ici exécuté sans beaucoup de nuance ni finesse trouble. On imagine ce qu’aurait pu faire de ce rôle immense et inouï, les Lorraine Hunt ou Jessye Norman d’hier…

Beau timbre plus constant, mais lui aussi contourné du ténor filial et tendre (quelle coquetterie dans l’accentuation de la langue quand même): Emiliano Gonzalez Toro, un brin trop appliqué, sa séduction latine étrangle parfois l’articulation sobre des mots; et là encore, son chant est beaucoup moins naturel, trop appliqué et scrupuleux que ce que réalisait hier Jean-Paul Fauchécourt.
Si l’acte I est d’exposition: fixant la rivalité de Déjanire et de Junon (supplée par la Jalousie), le II s’attendrit grâce au prélude de l’air introductif d’Ïole (aigus pleinement assumés et rayonnants de Julie Fuchs). Regrettons pour son air, la mécanique froide voire glaciale de l’orchestre, totalement distancié et non concerné par l’effusion tendre de la princesse. Mais au titre des réussites, le profil très attachant du couple Ïole/Hilus, écho dauvergnois des Aricie et Hippolyte de Rameau, se distingue cependant.

Quand paraît Alcide au début du II (début du cd2), pourtant âme tourmentée, colorée d’un tourment tragique tel Thésée dans l‘Hippolyte et Aricie de Rameau (l’opéra du Dijonais reste décidément une source constante à laquelle l’on ne cesse de penser pendant l’écoute des 2 cd), le baryton Andrew Foster-Williams paraît d’un bout à l’autre, à côté du personnage: chant trop large, en quête d’une justesse jamais contrôlée, un vibrato immaîtrisé et envahissant qui finit par corrompre toute la ligne vocale, aigus tirés et étroits, effets vocaux affectés, … quelle déception! Son remarquable air au III:  » Arbitre des destin, Ô toi dont la puissance remplit l’immensité des cieux «  sonne là encore étriqué, sur un fil vacillant, sans naturel, ni fluidité ni noblesse (encore un air dont le caractère est ramélien dans la plus pure veine). Heureusement son apothéose au V gagne en sûreté, en égalité et justesse d’émission… mais c’est trop tard tant on aurait souhaité écouter les conflits saisissants du personnage aux actes antérieurs.


Quand Dauvergne ressuscite Rameau…

Le haute contre Romain Champion (Thessalien de l’acte III:  » Amour, vole sur le char de la gloire « …) rétablit un chant enfin souple et naturel, simple et aérien, surtout articulé (évocation de Mars), projetant le verbe avec un panache et un aplomb progressif. Un modèle dans cette arène inégale (même si sa seconde intervention en grand prêtre paraît tout d’un coup étrangement étranglée, sans respiration…).

Car Antoine Dauvergne y développe une lyre tragique, sublime et pathétique où sous la grandeur et le souffle (absents ici) percent la peine amère de deux âmes dépossédées (Déjanire et Hercule: la force et le génie de l’auteur vient de ce qu’ils ne se rencontrent jamais): individualités en souffrance, déchirées, démunies, parfaitement insatisfaites, d’une immense et terrifiante solitude: dire que Dauvergne atteint le génie de Rameau, reste une évidence à l’écoute de cet enregistrement pionnier. Alors rêvons un peu: imaginons ce que la science et la suprême élégance d’un Christie aurait pu apporter ici… en particulier dans la Chaconne finale, poésie musicale qui réalise le dénouement et la délivrance du héros, transfiguration de Lully par Dauvergne aussi: voilà bien le plus touchant des regards portés par le XVIIIè sur l’héritage Grand Siècle de Louis XIV… où c’est encore un Rousset prosaïque et bien linéaire qui atténue le génie de la musique. Et quelle musique ! Cet Hercule mourant, d’une force pathétique inouïe, s’impose de lui-même: même s’il revisite le grand Rameau du début (Hippolyte), Dauvergne plonge au cœur de la veine tragique et terrifiante sans en dénaturer la source première ; la partition méritait évidemment ce rééclairage; après ce document révélateur, elle attend donc toujours une interprétation digne de ses nombreux raffinements, de sa coupe fulgurante, de son souffle tragique.

 

 

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Antoine Dauvergne: Hercule Mourant, 1761. Avec Véronique Gens, Andrew Foster-Williams, Emiliano Gonzalez-Toro, Julie Fuchs, Jaël Azzaretti, Alain Buet, Jennifer Borghi, Romain Champion. Les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles. Les Talens Lyriques, Christophe Rousset (direction). 2 cd Aparté AP042. Enregistré à l’Opéra royal de Versailles le 19 novembre 2011.

Pour un témoignage plus convaincant des concerts Dauvergne à Versailles en 2011, reportez vous à l’excellent enregistrement de La Vénitienne par l’aérien et souple Guy Van Waas.

Critique rédigée par Benjamin Ballifh et Alexandre Pham
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