Inscrit désormais dans son territoire et dans l’un des beaux paysages maritimes qui soient, le Cap Ferret Music Festival accorde exceptionnel, risques et transmission tout en s’inspirant toujours du paysage local, un paysage unique entre mer et forêt [de pins et d’arbousiers], tout au long d’une bande de terre de plus de 20 km de long… comme suspendue entre deux eaux, entre Océan Atlantique et Bassin d’Arcachon. Un territoire façonné par la main de l’homme et qui méritait bien un événement capable de le mettre en scène – et même de le sublimer – par la grâce musicale de programmes plus qu’originaux. La soirée d’ouverture de la 14ème édition du Festival l’a montré clairement, en alliant pyrotechnie, sport, et diverses formations musicales…
Le bassin d’Arcachon / photos été 2024 © classiquenews.com
SAMEDI 6 JUILLET 2024
CAP FERRET / PLAGE DU MIMBEAU, 22h. Mais d’abord le festival a une double identité, comme d’ailleurs les plus grands événements de musique : c’est un festival certes mais surtout une académie… L’académie est essentielle ; présente depuis le début, elle participe à la transmission des valeurs ; respect, écoute, partage… Une leçon artistique, surtout une leçon de vie : moins briller que chercher à se dépasser,…, le tout sous le sceau sacré de l’excellence et du dépassement, grâce à la relation à l’autre ; d’ailleurs Hélène Berger, pianiste et directrice du Festival, cultive depuis toujours cette relation à deux avec Francois-René Duchâble : un quatre mains à 2 pianos qui fait depuis plus de 10 ans à présent le bonheur des festivaliers. Lors de la soirée d’ouverture, le duo a produit de nouvelles étincelles dans Chostakovitch [Concertino], De Falla [El Amor Brujo], mais aussi Roméo et Juliette [duel des chevaliers] de Prokofiev,… adapté au jeu tout aussi complice de deux joueurs d’aïkido… Quand de jeunes gymnastes réalisaient plusieurs figures solos et collectives en accord avec la musique [de Falla] et comme synchronisés avec les feux d’artifice sur le bassin. Un explosion visuelle et sonore qui a un impact considérable auprès des spectateurs.
PYROTECHNIE, JOUTES SPORTIVES & MUSICALES
Une telle entente artistique [et forcément humaine] sert d’exemple ; elle favorise l’émulation et le partage des valeurs…. L’expérience du concert en public comme l’ouverture est un tremplin idéal pour les jeunes instrumentistes ; on l’a vu avec le jeune joueur de vibraphone Wojciech Grzegorczyk qui ouvrait le programme. Le jeune percusionniste polonais (« Absolute Winner » de la World Open Music Competition) incarnait idéalement cette maîtrise attendue qui indique les artistes déjà accomplis : sa présence, le contrôle des deux baguettes sur les lames… ; jusqu’au risque assumé, canalisé dans la tenue des deux …archets sur les tubes du vibraphone, diffusant des ondes sonores en complicité avec le piano, d’une absolue musicalité.
Le programme, ouverture aussi éclectique que festive, dans sa diversité affichée, offrait un excellent avant-goût des concerts de la semaine : duo lyrique (Jérémy Duffau et Laurent Arcaro), harpe céleste et marine (Lisa Tannebaum), somptueux quatuor de saxos (Quatuor Zahir)…. autant de tempéraments forts qui sont aussi pour certains, les professeurs de l’Académie de cette année.
Le programme collait à l’actualité la plus brûlante en rendant hommage à celle qui fut pour Hélène Berger comme Francois-René Duchable, une professeur hors normes aussi géniale et formatrice qu’elle était humble et virtuose : Micheline Ostermeyer ; cas unique dans l’histoire de la musique, la pianiste admirable fut aussi médaillée olympique !
La soirée était émaillée d’images d’archives évoquant l’illustre pianiste comme l’athlète plusieurs fois championne reconnue [lors des Championnats de Londres en 1948 où elle remporta pas moins de 3 médailles].
Concert d’ouverture sur le bassin d’Arcachon © classiquenews.com été 2024
DIMANCHE 7 JUILLET 2024
CHAPELLE DE L’HERBE, 11h. Le lendemain les festivaliers peuvent [re] découvrir la magie du piano à travers l’atelier rencontre de la pianiste coréenne Heyoung Park, artiste fidèle au festival depuis plus de 10 ans : Rameau, Beethoven, Debussy offrent des champs de discussion multiples où la pianiste explique sa vision de chaque compositeur, en particulier les deux derniers, ceux qu’elle place à la première place dans son panthéon personnelle. Comment faire durer le son grâce aux ornements ? Comment mesurer l’expressivité d’un Beethoven pour lequel le clavier est un miroir sans filtre de sa propre émotivité ? Et en quoi Debussy a-t-il révolutionné l’écriture musicale offrant une palette poétique d’une texture harmonique inédite… Pour régaler les festivaliers venus à la Chapelle de l’Herbe, la pianiste joue L’Isle joyeuse de l’auteur de Pelléas [1909], pièce ô combien atmosphériste qui s’inspire de… L’embarquement pour Cythère de Watteau.
NOTRE-DAME DES FLOTS, Cap Ferret, 21h. Le soir, nouvelle joute à deux, celle là vocale en un duo ténor et baryton, dans un programme donné pour la première fois dans son intégralité par (respectivement) Jeremy DUFFAU et Laurent ARCARO. Tout d’abord lever de rideau instrumental qui dévoile une jeune personnalité, celle de la harpiste serbe Aleksandra Radovanovic (Grand Prix World Open Music Competition).
Saluons le superbe tempérament, fin et dramatique, de la jeune harpiste dans un best of (en réalité une « Fantaise »), très bien écrit, d’après les tubes de l’opéra « Eugène Oneguine » de Tchaïkovski (composée par Ekaterina Adolfovna Walter-Küne). L’interprète venue suivre la classe de maître de l’américaine Lisa Tannebaum…. exprime tous les affects des protagonistes : Tatiana, Onéguine, et tout autant Lenski à la trajectoire aussi empêchée et tragique. Passion, ivresse, urgence des sentiments éblouissent sous des doigts aussi expérimentés, dans un jeu construit, intense, expressif, puissant.
Ce qui suit est de la même étoffe : amusé et intensément incarné, dans un jeu de rôles qui puise dans différents opéras du répertoire romantique français et italien, signés Bizet, Donizetti, Verdi, Puccini…. a contrario de ce que l’on pense, la répertoire offre de superbes situations pour le duo ténor / baryton.
Les Pêcheurs de perles de Bizet, à travers le duo Nadir et Zurga fixe une situation familière dans l’opéra romantique où le ténor et le baryton, amis depuis l’enfance, mais amoureux de la même femme [la fille du brahmane : Leila], se retrouvent …rivaux ; et chez Bizet, finalement frères et complices… l’extrait choisi dévoile la ferveur deux cœurs amoureux : « Oui c’est elle, c’est la déesse… » : Intensité, couleur, intelligibilité ; la tendresse partagée par les deux chanteurs, la couleur des deux timbres, se révèlent riches et bien appareillées. D’autant que le piano de Martine Marcuz déploie des nuances remarquables, propres à installer le caractère dramatique de chaque séquence.
Dans L’Elixir d’amour de Donizetti, Nemorino et Dulcamara le médecin qui vend son vrai faux élixir réalise une belle manipulation, au détriment du premier ; d’emblée s’affirme un bel abattage rossinien dans cette comédie qui comme Don Pasquale permet à Donizetti d’égaler la facétie du cygne de Pesaro. S’affirment progressivement l’aisance des deux solistes, leur complicité, leur goût de la facétie comme improvisée dans l’instant.
Puis s’affirme la séduction sanguine de Carmen de Bizet où s’affrontent à coup de poignards « Navajas », le brigadier José et le torero vedette Escamillo, avec une ardeur et le souci du verbe qui faisaient la réussite du premier Bizet.
Généreux, investis, les deux chanteurs assument chacun un grand air : « La fleur que tu m’avais jeté » pour José / Jérémy Duffau, intense et maîtrisé jusqu’en voix de tête pour la dernière phrase (« Et j’étais une chose à toi » ) ; « Toréador, en garde !… » pour Escamillo / Laurent Arcaro, naturel et puissant dont l’émission évidente, oxygénée s’avère aussi facile que juste d’un bout à l’autre.
Duo lyrique, opératique à Notre-Dame des Flots © classiquenews été 2024
La suite du programme lyrique est à l’avenant. Après une pause pianistique où seule en scène, la pianiste Martine Marcuz joue l’intermède de Cavalleria Rusticana de Mascagni avec un sens dramatique ciselé et des nuances enivrantes, les deux complices enchaînent plusieurs scènes tout aussi convaincantes, d’autant que les enjeux dramatiques permettent aux chanteurs de jouer tout en subtilité : le duo Rodolfo / Marcello de La Bohème de Puccini, célébration à deux voix d’une jeunesse enivrée, portée par l’amour (en dépit de leur vie misérable) ; on s’y délecte de la belle ardeur des deux voix idéalement mêlées, dont les aigus ne perdent pas leur couleur. Se succèdent ensuite les Verdi les plus bouleversants : retrouvailles et union de Carlo et de Posa (Don Carlo) dans un hymne fraternel d’une somptueuse sincérité ; moins connu et immédiatement reconnaissable, le duo emprunté à La Force du Destin : Alvaro / Carlo, lui aussi abordé avec une justesse naturelle qui à ce moment de la soirée, suscite l’admiration. Les deux solistes veulent en découdre et comme grisés par le principe de cette joute vocale qui souligne leur complicité, chacun entame un nouvel air, exigeant implication et justesse : « Lucevan le stelle » (Tosca de Puccini) pour Jérémy Duffau, ardent, fervent, lumineux ; somptueux récitatif et air de Falstaff pour Laurent Arcaro : le baryton mesure la portée dramatique de chaque phrase, exprime les enjeux de la situation avec un art consommé du jeu théâtral, d’autant que la pianiste répond à son implication, ciselant elle aussi chaque réponse du clavier au chant de l’acteur. Somptueuse soirée lyrique, tout aussi réussie que la soirée d’ouverture, la veille à la plage du MIMBEAU.
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Le Festival se poursuit ainsi sur la Presqu’île enchantée, entre mer et forets de pins, dans un cadre enchanteur / Encore deux soirées : concert « JAZZ Á JANE » / Jane de Boy, battle de boogie woogie, avec une rencontre à 2 pianos (Cili Marsall, et Julien Brunetaud), au Claquey, jeu 11 juil 2024, 21h ; enfin ven 12 juillet, finale en beauté avec un tremplin réservé aux jeunes pousses (18h, Chapelle de l’Herbe) puis grand concert final à 21h, Salle de la Forestière au Cap Ferret : Gala de l’Académie avec les stagiaires, artistes, professeurs et jeunes talents du Festival. Incontournable.
TOUTES LES INFOS sur le site du CAP FERRET MUSIC FESTIVAL 2024 : https://my.weezevent.com/academie-du-cap-ferret-music-festival-2024
Présentation édition 2024
LIRE aussi notre présentation du CAP FERRET MUSIC FESTIVAL 2024 (6 > 12 juillet 2024) : https://www.classiquenews.com/cap-ferret-music-festival-6-12-juillet-2024-sport-et-musique-hommage-a-micheline-ostermeyer-pianiste-et-triple-medaillee-olympique-quatuor-zahir-francois-rene-duchable-helene-berger-jeremy/
entretien
LIRE aussi notre ENTRETIEN avec Hélène BERGER, directrice artistique du CAP FERRET MUSIC FESTIVAL, à propos du 14ème Festival 2024:
https://www.classiquenews.com/entretien-avec-helene-berger-directrice-du-cap-ferret-music-festival-2024-6-12-juillet-2024/