Pour sa dix-huitième édition, le Gstaad New Year Music Festival met les petits plats dans les grands en invitant des formations baroques prestigieuses (L’Orchestre de l’Opéra Royal de Versailles, l’Ensemble Almazis Iakovos Pappas) mais surtout des voix parmi les plus recherchées de notre temps (Ludovic Tézier, Roberto Alagna, Lisette Oropesa, Sonya Yoncheva, Samuel Marino, Francesco Meli, Erwin Schrott… cela donne le tourni !), grâce à différents généreux donateurs (dont la plus grande mécène actuelle du monde musical, Mme Aline Foriel-Destezet). Inlassablement défendue par la Princesse Caroline Murat, qui l’a fondée voilà 18 ans, la manifestation suisse ne cesse de s’étendre dans le temps (du 27 décembre au 9 janvier cette année) et de rivaliser en artistes prestigieux (notamment des violonistes et des pianistes, aux côtés des gosiers d’or précités), démontrant ainsi toute son ambition, et étant loin désormais de faire pâle figure face au “mastodonte” du Gstaad Menuhin Festival l’été !
Pour son concert d’ouverture, en ce mercredi 27 décembre, c’est rien moins que le chanteur qui monte et que toutes les grandes scènes internationales s’arrachent désormais (il fera ses débuts au Metropolitan Opera de New-York en mars), le ténor chilo-américain Jonathan Teltelman – dont le disque “The Great Puccini”, paru récemment chez Deutsche Gramophone (CIC de CLASSIQUENEWS Automne 2023) a eu un retentissant succès. Peut-être, pour commencer par un bémol, une voix aussi sur-puissante aurait-elle mérité un autre écrin que l’adorable – mais minuscule – Eglise de Rougemont, surtout pour les spectateurs des trois premiers rangs, dont nous faisions partie… Mais détail que cela, car c’est bien le ténor qui possède tous les atouts pour devenir le nouveau Jonas Kaufmann (sans vouloir enterrer ce dernier bien sûr…), mais dont la jeunesse éclaboussante, la ravageuse beauté, et l’éclat d’un timbre aussi séduisant que péremptoire ne peuvent que faire penser aux débuts de son illustre collègue ! Devant un public friand de performances, l’effet fut garanti sur un public qui confond souvent puissance et qualité de chant, mais par bonheur le chant ne fut pas seulement “guerrier” (“Recondita Armonia” dans Tosca, ou “O Sole mio” donné en bis), mais aussi plein de raffinement et de nuances (“E lucevan le stelle” tiré de Tosca également) ou le délicieux air de Lehar “Dein ist mein ganzes Herz” extrait de Das Land des Lächeln.
En force ou susuré, on se saurait cependant bouder son plaisir devant une voix et un chant aussi généreux et d’une couleur plutôt sombre – c’est qu’il a été baryton avant de devenir ténor, à l’image de Carlo Bergonzi auquel il fait parfois penser pour la beauté intrinsèque du timbre et la conduite de la ligne (comme dans l’air “Donna non vidi mai” extrait de Manon Lescaut de Puccini. Outre son indiscutable intensité expressive, le ténor sait aussi phraser, c’est-à-dire exprimer chaque sentiment du verbe, faire jaillir la diversité et la justesse des émotions au fur et à mesure du texte. Cette qualité du détail et de la profondeur s’entend surtout dans les airs moins connus, comme « Pietà, Signore » d’Alessandro Stradella, avec lequel il ouvre la soirée, et qui ajoute à la valeur et l’intérêt musicologique de son programme. C’est par ailleurs une bête de scène, même si l’exercice du récital ne lui permet pas vraiment de donner le mesure de ses talents d’acteurs que l’on a pu apprécier, ici ou là en France, lors de ses incarnations de Pinkerton à Montpellier ou Stiffelio à Strasbourg, ces dernières années.
Pour se reposer un peu la voix, alors qu’il sortait de trois semaines de maladie et donc de silence, il s’est adjoint en dernière minute les “services” d’un collègue baryton-basse, le jeune chanteur polonais Rafal Plawnuk, avec lequel il interprète d’abord le duo “Dio che nell’alma infondere” tiré de Don Carlo, avant se se produire seul dans le célébrissime air du Toréador dans Carmen. Belle et profonde, la voix séduit mais sa prononciation du français reste à peaufiner, ce qu’il aura peut-être l’occasion de faire à Lyon prochainement puisqu’il est distribué dans La Fanciulla del West dans le cadre du festival de Printemps de l’Opéra national de Lyon. Nous serons beaucoup plus circonspect, en revanche, sur l’accompagnateur du concert, le pianiste allemand Daniel Heide, qui souffle le chaud et le froid ce soir, entre une très belle exécution (solo) d’un Menuet dû à la plume de Haendel… mais aussi des passages où il multiplie les fausses notes, au point d’en déstabiliser les chanteurs, ce qui n’est pas banal !
Nous attendons avec beaucoup d’impatience de le retrouver dans une salle et avec un accompagnement à sa mesure, et cela sera pas plus tard que la semaine prochaine au magnifique Auditorium de la Fondation Gulbenkian de Lisbonne, avec le chef français Frédéric Chaslin qui dirigera la phalange maison… Alors Vivement !
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CRITIQUE, récital. GSTAAD NEW YEAR MUSIC FESTIVAL (18ème édition), église de Rougemont, le 27 décembre 2023. Daniel Heide (piano) / Jonathan TETELMAN (ténor). Photos (c) Patricia Dietzi.
critique CD
LIRE aussi notre critique du cd The GREAT PUCCINI par Jonathan Tetelman (DG, sept 2023) – CLIC de CLASSIQUENEWS : / Airs d’opéras (Manon Lescaut, La Bohème, Tosca, Il Tabarro, Turandot, La Rondine…). Prague Philharmonia / Carlo Rizzi – (1 cd Deutsche Grammophon) : https://www.classiquenews.com/critique-cd-evenement-jonathan-tetelman-the-great-puccini-airs-doperas-manon-lescaut-la-bohemetosca-il-tabarro-turandot-la-rondine-pkf-prague-philharmonia-carlo-rizzi/
VIDEO : Jonathan Tetelman interprète l’air “E lucevan le stelle “ extrait de Tosca de Puccini