Depuis près de vingt ans, ce spectacle mythique qu’est « Le Carnaval Baroque » enchante la France et au-delà, et Laurent Brunner a eu une excellente idée en le mettant à l’affiche – du 19 au 22 juin 2025 – à l’Opéra Royal de Versailles, où il a triomphé hier soir lors de la Première ! Vincent Dumestre et Cécile Roussat ont tissé une évocation baroque follement inventive, où la Rome du XVIIe siècle s’anime dans un tourbillon de musique, de couleurs et d’acrobaties. Eblouis, les Happy Few présents se sont laissés emporter dans un véritable rêve éveillé !
Dès l’ouverture, la scénographie de François Destors vous projette dans les ruelles tortueuses de Rome : des palais majestueux aux échoppes de rue, chaque recoin fourmille de surprises. Les costumes de Maxence Rapetti-Mauss et Chantal Rousseau sont une symphonie de velours, de soies et de masques scintillants, restituant avec génie l’extravagance carnavalesque. Les lumières de Christophe Naillet sculptent l’espace, passant des banquets gargantuesques aux chasses à l’homme nocturnes avec une fluidité hypnotique.
Ici, les arts du cirque ne sont pas un ornement – ils sont l’âme du spectacle ! Antoine Hélou et Rocco Le Flem défient les lois de la gravité au mât chinois, tandis que Victor Zachor (jonglage et acrobaties) et Quentin Bancel (roue Cyr) exécutent des prouesses qui arrachent des cris d’étonnement. Les mimes, menés par Julien Lubek et Stefano Amori, incarnent avec une drôlerie touchante les Zanni (polichinelles romains), créant un dialogue muet et hilarant avec les chanteurs. La scène de parodie du « Lamento della Ninfa » de Monteverdi (imaginé par notre confrère Jean-François Lattarico !) jouée sur un théâtre de tréteaux, est un chef-d’œuvre d’autodérision baroque.
Sous la battue inspirée et imaginative de Vincent Dumestre (également au théorbe et à la guitare !), son ensemble Le Poème Harmonique restitue un répertoire rare avec une vitalité électrisante. Les airs de compositeurs méconnus (Maletti, Il Fàsolo) voisinent avec des anonymes ou Kapsberger, le tout rythmé par des chaconnes enivrantes et des tarentelles endiablées. La mezzo Anaïs Bertrand incarne avec une présence magnétique les divas de rue, tandis que les ténors Paco Garcia et Martial Pauliat, ainsi que le baryton Igor Bouin, fusionnent puissance vocale et jeu théâtral déjanté.
« Le Carnaval Baroque » n’est pas qu’un spectacle – c’est un pèlerinage joyeux aux sources du théâtre total. Dans l’écrin royal de Versailles, cette féerie baroque retrouve sa patrie spirituelle. Vingt ans après sa création, il pulvérise les frontières entre haut et bas, sacré et profane, hier et aujourd’hui… Il faut y courir sur les trois dates restantes !
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CRITIQUE, opéra. VERSAILLES, Opéra Royal, le 19 juin 2025. « Le Carnaval Baroque ». Cécile Roussat (mise en scène), Le Poème Harmonique, Vincent Dumestre (direction). Crédit photo © Laurent Guizard