vendredi 19 avril 2024

CRITIQUE, opéra. RENNES, le 19 mars 2023. VERDI : Luisa Miller. M. Torbidoni, G. Terranova, P. Longhi… G. Montavon / P. Miniati.

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique et à l’opéra - et notamment avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

Luisa Miller est l’un des opéras les plus étranges de Giuseppe Verdi. Reniant les thèses du Risorgimento qui lui avaient pourtant valu une immense renommée, le compositeur se tourne vers le Bellini de La Sonnambula et le Donizetti de Linda di Chamounix. Le drame bourgeois de Schiller « Kabale und Liebe » se transforme en une touchante histoire d’amour et de mort aux tonalités champêtres.

 

Luisa, à son entrée en scène, s’exprime avec les accents d’Amina, et ses duos avec Rodolfo appartiennent au pathétisme larmoyant de Lucia. L’interprète du rôle-titre doit savoir traduire la double composante de celui-ci, fait d’abandons élégiaques à la Donizetti, de pichiettati alla Bellini, mais aussi de cabalettes autoritaires et fières, farouches et engagées. Souvent considéré comme un ouvrage initiant une période plus « intimiste » du maître de Busseto, Luisa Miller n’est pas un opéra facile à interpréter. Cette difficulté tient essentiellement à la nature extrême des sentiments exprimés dans un contexte social qui ne s’y prête guère : Luisa est une paysanne trop naïve ; son père un brave homme plutôt simple ; Federica, une obscure duchesse peu scrupuleuse ; Rodolfo, lui-même, n’est qu’un fils à papa velléitaire, incapable d’utiliser les arguments de chantage dont il dispose. Mais voilà… Verdi les a tous dotés d’une musique sublime !

Et l’on pouvait faire confiance à la formidable soprano italienne Marta Torbidoni – révélée à nous dans Lucrezia Borgia la saison passée au Teatro Comunale de Bologne – de porter haut le rôle-titre. De fait, elle ne déçoit pas nos attentes, avec une émission d’une sûreté sans faille, des aigus franchissant la barre de l’orchestre sans effort et de magnifiques effets dans la nuances piano, composant ainsi une Luisa très crédible et surtout, profondément touchante. Doté d’un très beau timbre mais d’une voix d’une largeur bien moindre, Gianluca Terranova a maille à partir avec un orchestre jouant trop fort et des partenaires aux voix beaucoup plus puissantes, ce qui l’oblige à forcer ses moyens naturels, et donc des aigus qui ont tendance à se resserrer, voire à se crisper. Il n’en délivre pas moins un superbe « Quando le sere al Placido », d’un beau phrasé tout belcantiste. Découverte de la soirée, leur confrère et compatriote Federico Longhi s’avère être un authentique baryton verdien, une typologie vocale suffisamment rare pour soulever notre enthousiasme quand un chanteur en possède tous les atouts : timbre noble, legato de violoncelle, émission haute et aigus glorieux. Il met par ailleurs de la douleur ou de la tristesse dans sa voix, qu’il chante une berceuse ou exprime sa détresse. Bravo à lui !

 

 

A Rennes,
le trio Torbidoni, Terranova, Longhi
s’impose dans Luisa Miller

Les agents de la ruine que sont le Comte Walter et le fourbe Wurm trouve respectivement en Christian Saitta et Alessio Cacciamani des comprimari qui ne souffrent pas de la comparaison, notamment le second qui prête à son personnage toute la perfidie (et les graves profonds) qu’il requiert. Enfin, malgré ses deux cannes pour se mouvoir, la mezzo française Lucie Roche fait preuve de beaucoup d’aplomb vocal dans son rôle d’épouse dominatrice (Federica), tandis que Marie-Bénédicte Souquet (Laura) donne du relief à sa partie.

Confiée à l’homme de théâtre français Guy Montavon, directeur de l’Opéra d’Erfurt en Allemagne qui coproduit ce spectacle aux côtés d’Angers Nantes opéra et de l’Opéra de Rennes, la production s’avère aussi sage que classique, très sobre également avec ses quelques panneaux coulissants et autres rares éléments de scénographie (le cadavre d’un cerf ou la fiole de poison) conçus par Eric Chevalier. L’action est transposée au XIXe (contre le XVIIe du livret), comme en attestent les (très beaux) costumes du même Eric Chevalier, et joue sur le hiatus entre la jeunesse deux principaux protagonistes et la déchéance physique (et morale) des autres personnages, relayée par des serviteurs qui ont du mal à se mouvoir – et auxquels il coûte de faire la moindre action (tirant des rires aux spectateurs dans une histoire, tirée d’un drame de Schiller, qui ne s’y prête pas vraiment…). Etrange idée également que cet « happy end » qui voit les deux amoureux non pas expirer sous nos yeux après avoir bu du poison, mais partir main dans la main, sous des confettis tombant des cintres, vers le fond de scène (comme vers un avenir radieux plutôt que vers les affres de la mort…).

Avec un excellent chœur maison (préparé par Xavier Ribes), et galvanisant un Orchestre des Pays de la Loire aux brillants solistes, le chef italien Pietro Miniati va d’emblée dans le sens du Verdi à venir, et de son héroïne, dès une Ouverture puissamment dramatique. La tension ne baissera plus, achevant d’apporter ce qui manque un peu trop à un spectacle figé dans sa lecture convenue.

 

 

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CRITIQUE, opéra. RENNES, le 19 mars 2023. G. VERDI : Luisa Miller. M. Torbidoni, G. Terranova, P. Longhi… G. Montavon / P. Miniati. Photos © Delphine Perrin / Hans Lucas.

 

 

 

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Vidéo : Luisa Miller selon Guy Montavon à l’Opéra de Rennes

 

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