lundi 30 juin 2025

CRITIQUE, opéra. PARIS, Palais Garnier, le 29 juin 2025. OFFENBACH : Les Brigands. M. Beekman, P. Perbost, A. Dennefeld, L. Naouri… Barrie Kosky / Stefano Montanari

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

Le 27 juin 2025, veille de la Marche des Fiertés parisienne dont le cortège devait s’élancer du Palais Royal tout proche, l’Opéra Garnier avait vibré aux accents subversifs de la Première des Brigands de Jacques Offenbach, revisités par le génial Barrie Kosky (dont nous sortons à peine de son “Sweeney Todd” strasbourgeois..). Dans un timing parfait, cette production transgressive et joyeusement queer a épousé l’esprit militant et festif de la Pride, transformant la scène en manifeste flamboyant pour la liberté d’être et de paraître.

 

 « Les Brigands » d’Offenbach au Palais Garnier, ou l’opéra-bouffe en révolution queer !

 

Le metteur en scène australien, grand amateur d’Offenbach, ancre résolument l’œuvre dans l’esthétique camp et underground des années 70-80. Falsacappa (Marcel Beekman) surgit en drag queen écarlate, sosie hallucinant de Divine, l’icône du cinéma trash de John Waters. Perruque peroxydée, robe sirène et talons vertigineux, il incarne une autorité matrone, mêlant menace et auto-dérision. Le chœur des brigands devient une horde de créatures genderfluid : danseurs en shorts pailletés, cow-boys en jupes, nonnes cancanant comme dans Roma de Fellini. Les dialogues ont été réécrits pour moquer l’actualité politique (références à Bruno Le Maire, trou de la dette…) et l’hypocrisie sociale : « Il faut voler selon la position sociale que l’on occupe » clame Falsacappa, soulignant que bandits et banquiers partagent les mêmes méthodes. La scénographie de Rufus Didwiszus  représente un palais délabré tagué d’un « Ni Dieu, ni maître, ni patron ». Ce cadre gris sert d’écrin aux costumes flashy (signés par Victoria Behr), symbolisant la révolte contre l’ordre établi : une explosion chromatique inspirée de Vélasquez pour la cour espagnole (Acte II), mêlant crinolines et accoutrements de clubbing. Les Ménines y côtoient des travestis en plateformes, créant des tableaux vivants tout simplement hypnotiques. Quant à la chorégraphie, orchestrée par Otto Pichler, voguing et danses urbaines rythment les ensembles, transformant les brigands en troupe de performeurs queer.

En transposant l’intrigue dans une esthétique queer radicale, Kosky révèle la modernité du livret. Les brigands changent d’identité pour berner les puissants, miroir des stratégies LGBT+ pour exister dans une société normative. La troupe de hors-la-loi, syndiquée et solidaire, forme une famille choisie – écho aux « chosen families » de la culture queer, tandis que les piques contre les financiers corrompus et les carabiniers ridicules résonnaient avec les luttes portées le lendemain dans la Marche des Fiertés.

En chef-drag, Marcel Beekman – voix nasale et théâtre extravagant – domine la scène par son charisme de « matrone-patronne », transformant le personnage en icône d’autorité queer. Marie Perbost (Fiorella) distille dans la salle son soprano incandescent, cheveux rouges et jupon rayé, telle une héroïne de Tim Burton. Son jeu généreux et sa voix ronde électrisent la salle. Antoinette Dennefeld campe un Fragoletto alerte et sensuel, elle passe des vocalises virtuoses aux claquements de castagnettes avec une grâce réjouissante. En chef des carabiniers, Laurent Naouri semble rendre hommage à Louis de Funès, et l’on se délecte de sa verve comique réjouissante. Le reste de la distribution (Eugénie Joneau, Philippe Talbot, Sandrine Sarroche…) n’offre que des motifs de satisfaction…

Sous la direction de Stefano Montanari, l’Orchestre de l’Opéra national de Paris fait scintiller la partition d’Offenbach : rythmes enlevés et nuances malicieuses soulignent l’ironie du livret – et quelques décalages avec les chœurs (notamment au final de l’Acte II) sont vite oubliés devant l’énergie déployée. Les chœurs, admirablement dirigés par Ching-Lien Wu, alternent entre puissance (entrées martiales) et délicatesse (chœur des marmitons), incarnant une communauté soudée et bigarrée.

Les Brigands selon Kosky est bien plus qu’un opéra : c’est un manifeste visuel et sonore pour la liberté d’être, une célébration de la marge comme espace de créativité. Dans ce Palais Garnier transformé en boîte de nuit géante, Offenbach n’a jamais semblé aussi actuel. La standing ovation du 29 juin – entre rires aux larmes et larmes de joie – a confirmé que l’esprit de la Pride continuaient d’envahir la Capitale le lendemain du défilé…  jusque sous les ors du très « académique » Palais Garnier !

 

 

 

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CRITIQUE, opéra. PARIS, Palais Garnier, le 29 juin 2025. OFFENBACH : Les Brigands. M. Beekman, P. Perbost, A. Dennefeld, L. Naouri… Barrie Kosky / Stefano Montanari. Crédit photo © Agathe Poupeney – OnP

 

 

 

VIDEO : Trailer des « Brigands » de J. Offenbach au Palais Garnier

 

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