C’était une soirée claire suite à une belle journée aux couleurs estivales. On appelle ça d’ordinaire l’été indien outre-Atlantique, est-ce le basculement dans une réalité différente ou la torpeur qui s’installe avant l’hiver. La caresse bleutée du crépuscule passe sa main sur la façade miroitante de l’Opéra Bastille qui contemple impassible le cœur trépidant de Paris.
Crédit photographique © Elisa Haberer
Éloquence du lieu et de l’action, c’est la fougueuse Marie, enfant trouvée et adoptée par un régiment napoléonien dans le Tyrol occupé d’Andreas Hofer. Outre l’intrigue rocambolesque et comique de cette farce pétillante, on a la sensation de voir un des archétypes qui vont inspirer des compositeurs et librettistes par la suite. Une des sœurs de Marie est la belle Roxy, porte-bonheur de la sélection de football hongroise dans Roxy und ihr Wunderteam de Paul Abraham. Cependant le message n’est libérateur qu’en apparence, Marie épouse Tonio, malgré la « mésalliance », elle n’est pas libre, son rôle sera domestique et maternel contrairement à un destin aventureux dans le sillage de la gloire du grand Corse.
Reprise d’une production qui fit fureur – il y a plus d’une décennie – avec Natalie Dessay et Juan Diego Florez, cette fois-ci on retrouve une distribution aux couleurs tout aussi contrastées et chatoyantes. Julie Fuchs est la digne héritière de “la” Dessay tant dans le domaine théâtral que dans l’impressionnant registre vocal. Elle se glisse naturellement dans le rôle-titre et dans la mise en scène trépidante de Laurent Pelly. Face à elle Lawrence Brownlee est un peu plus en retrait côté jeu histrionique, il n’en demeure pas moins un ténor à l’agilité stupéfiante. On goûte une rondeur dans les cadences qui fait plaisir et un legato d’une grande beauté. Le Sulpice de Lionel Lhote est une comparse drolatique et agile. Nous avons un plaisir fou de retrouver Susan Graham en Marquise de Berkenfield inénarrable et la sublime Dame Felicity Lott en Duchesse de Krakentorpf d’anthologie! Nous saluons aussi la très belle voix de Florent Mbia à suivre absolument. Les excellentes phalanges et les chœurs de l’Opéra national de Paris ont été menés par l’iconique Evelino Pidò, maître dans ce genre de répertoire. Les attaques sont franchement ciselées, ornées avec raffinement et dynamisme. Une source constante de beauté que le travail d’un tel chef dans un tel répertoire.
A l’heure des doutes qui traversent cette terre généreuse, écoutons le cri du cœur de Marie quand elle semble prêter sa voix à Gaetano Donizetti, saluons la France dans ce qu’elle a de plus beau: sa liberté et son esprit révolutionnaire !
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CRITIQUE, opéra. PARIS, Opéra Bastille, le 23 octobre 2024. DONIZETTI : La fille du régiment. J. Fuchs, L. Brownlee, S. Graham, L. Lhote, F. Lott… Laurent Pelly / Evelino Pidò. Toutes les photos © Elisa Haberer
VIDEO : Trailer de « La Fille du régiment » de Donizetti selon Laurent Pelly à l’Opéra Bastille