Saluons en ce dimanche après midi, à l’affiche de l’Opéra Grand Avignon, un spectacle réjouissant dont le double mérite est de réussir à construire un drame cohérent, tout en restituant tous les éléments d’ un opéra méconnu du jeune Mozart, laissé à l’état de fragments : ZAÏDE [1780].
Même fragmentaire, Zaïde est suffisamment élaboré pour convaincre voire éblouir l’auditeur. En réalité la trame mozartienne y prépare le singspiel oriental à venir : L’Enlèvement au sérail… créé deux ans après Zaïde, à Vienne, à l’été 1782. Une belle est incarcérée sur une île [Zaïde], livrée au pouvoir exclusif d’un tyran domestique [Soliman]… Survient un naufragé [Gomatz] qui aidé d’un insulaire serviteur de Soliman (Allazim), tombe amoureux de Zaïde et lui offre de retrouver sa liberté.
L’AMOUR ET LA LIBERTÉ CONTRE LA TYRANNIE
Le ténor Mark van Arsdale (Soliman) et la soprano Aurélie Jarjaye (Zaïde) © Cédric-Studio Delestrade / Opéra Grand Avignon 2025
Comme dans L’Enlèvement au sérail, Mozart souligne la force de l’amour, la fraternité, et tout autant questionne la notion de liberté et d’esclavage mais aussi le principe du pouvoir autocratique et omnipotent. Sous couvert d’une orchestration déjà particulièrement raffinée [tout commence avec l’air de Zaïde qui remet au beau naufragé, son portrait protecteur tout en le berçant dans son sommeil, air d’une tendresse infinie avec hautbois obligé], le compositeur développe les sujets qui l’inspirent ; ainsi s’exposent l’amour [miracle de la rencontre entre Gomatz et Zaide], l’amitié [entre Gomatz et Allazim] et surtout la figure du pouvoir et de l’autorité : contrairement à l’Enlèvement où la figure du Sultan est un rôle parlé, dans Zaïde, Mozart réserve au moins deux sublimes airs pour ténor au personnage du tyran colérique : le premier triomphant et vainqueur [quand il retrouve les 3 fugitifs et les ramène sur l’île] ; le second déjà plus ambivalent, laissant paraître des failles et une sensibilité aiguë : « Je suis bon et méchant ; je sais récompenser les mérites avec sagesse« …. dit alors Soliman, conscient que même s’il concentre de fait le pouvoir, il lui manque cependant autre chose [l’exercice d’une sagesse exemplaire?] … Solide et sûr, fin et juste c’est à dire expressif sans outrance, le chant du ténor Mark van Arsdale, généreux en phrasés dessinés, campe un sultan autoritaire, irascible, sanguin et vindicatif qui dans son second air, vacille et exprime un basculement possible.
L’autre personnage admirable est Zaïde, superbe portrait de femme droite, loyale, forte. Son profil et sa trajectoire à travers les airs que Wolfgang lui destine, illustrent parfaitement la thématique générique de la saison conçue par Frédéric Roels, directeur de l’Opéra Grand Avignon, intitulée « Femmes ! » Mozart révèle avec une grande subtilité chacun des visages d’une superbe héroïne : l’amoureuse éprise et tendre comme on a dit, surtout la femme prisonnière qui n’aspire qu’à une juste émancipation [son très bel air citant l’incarcération de Philomène] ; enfin la rebelle qui affronte sans sourciller la tyrannie de Soliman en le traitant de « Tigre »… et qui l’exhorte même ainsi à tuer les innocents et boire leur sang… puisque Soliman a décidé de tuer Gomatz. Aurélie Jarjaye convainc au fur et à mesure de la soirée ; la soprano ne manque ni de puissance ni de finesse elle aussi, délivrant l’air de Philomène avec une intensité nuancée, colorant comme il faut tout ce que contient alors cet air de teintes funèbres ; ce qui le rend bouleversant ; s’y dévoile une personnalité proche de la Pamina à venir (La Flûte enchantée), une sincérité aussi qui rend le personnage très juste, ambassadrice de questions ô combien actuelles et légitimes : « et qui pourrait me punir si je trouve ce que cherche »… En elle s’incarne l’aspiration d’une femme à la liberté et à l’indépendance. La justesse du profil et la sublime musique de Mozart font de cet air, l’une des séquences les plus bouleversantes du spectacle.
Le quatuor vocal présente une belle cohérence grâce aussi aux deux autres solistes bien caractérisés : le Gomatz percutant, précis du ténor Kaëlig Boché, comme l’Allazim d’Andres Cascante, solide basse chantante dont la franchise expressive fait mouche elle aussi [cf. son air où il interroge le sultan sur son arrogance et sa capacité à ne plus voir ses frère du haut de sa dignité supérieure].
Le spectacle a le mérite d’enchâsser comme des perles musicales chaque air légué ainsi par Mozart. Dans la fosse s’activent les brillants instrumentistes de l’Orchestre National Avignon Provence, d’autant plus impliqués sous la baguette de l’excellent Nicolas Simon, grand connaisseur de l’approche historiquement informée ; il assure une direction vive et ciselée qui détaille et vivifie l’orchestration de Mozart comme une tapisserie chatoyante ; l’auditeur ne perd rien du chant des solistes ni de chaque trouvaille instrumentale d’un Mozart dont la justesse psychologique impressionne toujours autant.
UNE FIN RECOMPOSÉE
L’ouvrage originel étant inachevé, Mozart n’a pas statuer sur la fin de son opéra Zaïde… Ici Soliman s’entêtera-t-il à assassiner Zaïde et Gomatz?… La question reste ouverte, ce qui d’ailleurs renforce en l’état la vraisemblance et la pertinence de l’action préalable…
Mozart résoudra l’intrigue dans l’Enlèvement au sérail et aussi dans La Clémence de Titus en appliquant à la lettre les valeurs du siècle des Lumières : amour, pardon, fraternité. Le potentat tyrannique et colérique y parvenant ainsi en fin d’action, à renoncer et à pardonner, c’est à dire à aimer.
Le dernier air autographe laissé par Mozart, est le sublime quatuor final réunissant les 4 protagonistes en fixant pour chacun le sort qui leur est alors associé, exceptionnelle séquence qui tourne à vide tout en exprimant au plus près le sentiment exact de chaque individu : Zaide et Gomatz, prêts à mourir ; Allazim exhortant Soliman à la clémence ; enfin Soliman, habité par une haine criminelle et barbare… comme pétrifié par son propre délire autocratique. Là encore la maestrià de Mozart éblouit par sa profondeur.
La metteur en scène Louise Vignaud ajoute un personnage, moins récitant comme il est écrit, qu’actrice [Charlotte Fernand], interagissant sur le plateau avec les caractères [à la fin]. Fée protectrice, marraine compatissante, elle permet d’introduire l’action au début, évoquant comme une déité descendue des cintres, la violence des tempêtes…; soulignant la fragilité attachante de ses 3 « enfants » protégés, naufragés dans la vie, en quête de leur destin, protagonistes de l’action à venir [Zaide, Gomatz, Allazim…].
Pour enrober les fragments mozartiens et aussi restituer une continuité dans l’action, donc délivrer une fin, le compositeur Robin Melchior a été sollicité pour écrire une ouverture, un intermède pour introduire la seconde partie ; surtout offrir la conclusion aussi brillante et solaire, allégée et lumineuse comme le finale d’une comédie musicale. La mise en cohérence fonctionne et avec cette fin vraisemblable, les personnages conçus par Mozart renforcent indiscutablement leur profondeur autant musicale que psychologique. Réussite totale.
Le dernier tableau – finale composé par Robin Melchior © Cédric – studio Delestrade / Opéra Grand Avignon
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CRITIQUE opéra, OPÉRA GRAND AVIGNON, le 27 avril 2025. ZAIDE [Mozart, Robin Melchior] Mark van Arsdale, Aurélie Jarjaye, Andres Cascante, Kaëlig Boché… Orchestre National Avignon Provence, Nicolas Simon (direction) / Louise Vignaud (mise en scène). Photos : © Cédric Studio Delestrade / Opéra Grand Avignon 2025
Les artistes aux saluts © classiquenews 2025
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