L’Opéra Nice Côte d’Azur clôt sa saison en apothéose avec une production de Carmen de Georges Bizet qui transcende le folklore andalou pour plonger dans les fracas de la guerre civile espagnole de 1936. Sous la direction visionnaire de Daniel Benoin et la baguette électrisante du Niçois Lionel Bringuier, cette reprise célèbre les 150 ans de l’œuvre avec une audace à la fois politique et sensuelle …
Le metteur en scène Daniel Benoin ancre l’intrigue dans l’été 1936, où Séville bascule sous le joug franquiste. Ce choix scénique transforme la quête de liberté de Carmen en un symbole de résistance collective. Des décors symboliques – des sacs de sable, un portrait de Franco et des uniformes militaires (costumes de Nathalie Bérard-Benoin) – créent un climat d’oppression. Au II, la taverne de Lillas Pastia devient un repaire de contrebandiers républicains, où pendent jambons et tonneaux comme des armes de survie. Pendant les Interludes, des vidéos signées par Paulo Correia projettent des archives historiques et des symboles (pétales de fleurs, lune blafarde) qui dialoguent avec l’orchestre. À l’acte IV, la statue de la Vierge surplombe l’arène, transformant le meurtre de Carmen en sacrifice ritualisé. Cette production ne se contente pas de divertir : elle interroge et électrise. En ancrant Carmen dans la guerre civile, Benoin révèle la modernité brûlante du message de liberté – « La liberté ! La liberté ! » clame le choeur (à fin du II) comme un manifeste !
Dans le rôle-titre, la mezzo roumaine Ramona Zaharia – habituée de scènes comme le Metropolitan Opera de New-York et le Covent Garden de Londres – incarne une Carmen sauvage et stratège. Son timbre aux graves abyssaux se pare d’un vibrato charnu, tandis que ses aigus fusent comme des javelots. En Carmen “pistolera” (acte I), elle mêle sensualité et dangerosité. Sa scène des cartes (« En vain pour éviter« ) est un moment de vulnérabilité déchirante, où le portando souligne chaque syllabe comme une prémonition funèbre.
Face à elle, Jean-François Borras campe un Don José lyrique et dévasté. Sa voix ronde et puissante explose dans le fameux air « La fleur que tu m’avais jetée« , culminant en un superbe diminuendo. Son incarnation physique de la chute – du soldat rigide à l’homme brisé – rend la tragédie palpable, et sa diction de notre idiome, d’une minutie chirurgicale, magnifie le livret. Perrine Madoeuf offre une Micaëla lumineuse et courageuse. Son « Je dis que rien ne m’épouvante » est couronné par des aigus lumineux et une présence scénique qui dépasse le cliché de l’ingénue. Jean-Fernand Setti, en Escamillo, incarne l’arrogance virile du torero. Son « Votre toast » est porté par des graves de rocaille et une projection qui domine l’orchestre sans effort. Charlotte Bonnet (Frasquita) et Lamia Beuque (Mercédès) captent la lumière lors de la « scène des cartes”, mêlant comédie et pressentiments tragiques. Guilhem Worms (Zuniga) impose une autorité martiale glaçante, obsédé par la “bagatelle” (qu’il n’envisage que de manière violente…). Enfin, Jean-Gabriel Saint-Martin (Dancaïre), Nestor Galvan (Remendado) et Richard Alexandre Rittlelmann (Morales) brillent chacun dans leur partie respective.
Directeur musical de l’Opéra Nice Côte d’Azur, le niçois Lionel Bringuier dirige l’Orchestre Philharmonique de Nice avec une énergie cinétique qui épouse toutes les nuances de la partition de Bizet. On est captivés par les nombreux soli envoûtants – la flûte d’Isabelle Demourioux et le cor anglais de Diane Favreau (introduction de « La fleur« ) – qui tissent des lignes poignantes. Le chœur “maison” (préparé par Giulio Magnanini) explose dans les scènes de foule (acte II), tandis que le Chœur d’enfants de l’Opéra de Nice (préparé par Philippe Négrel) ajoute une innocence troublante.
Bref, une fin de saison niçoise en apothéose !
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CRITIQUE, opéra. NICE, Théâtre de l’Opéra, le 1er juin 2025. BIZET : Carmen. R. Zaharia, J.F. Borras, P. Madoeuf, J. F. Setti… Daniel Benoin / Lionel Bringuier. Crédit photographique © Dominique Jaussein
VIDÉO : Teaser de Carmen selon Daniel Benoin à l’Opéra Nice Côte d’azur
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