vendredi 2 mai 2025

CRITIQUE, opéra. ISTANBUL, Opéra Süreyya, le 15 octobre 2024. MOZART : L’Enlèvement au Sérail. F. Aslan, A. S. Etyemez, B. Dalkilic, U. Tingür… Caner Akin / Zdravko Lazarov.

A lire aussi
Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

 

Après avoir eu la chance, en mai dernier, d’assister à un concert symphonique au fameux Atatürk Cultural Center – vaste complexe culturel (qui inclut un somptueux opéra d’une capacité de 2200 places) construit en 2021 sur la fameuse Place Taksim, le cœur névralgique de la mégalopole de 17 millions d’habitants qu’est Istanbul -, c’est de l’autre côté du Bosphore, à Kadiköy, quartier plutôt chic et tranquille de la plus grande ville de Turquie que nous avons pu assister à un opéra. Et quel maison d’opéra ! Un magnifique bâtiment Art Déco – l’Opéra Süreyya – construit dans les années 20 sur le modèle de notre Théâtre des Champs-Elysées parisien, et qui est donc la deuxième salle que possède l’Opéra Ballet National d’Istanbul, les deux structures étant placées sous la férule du fringant baryton turc Caner Akgün (qui dirige également le Festival d’Opéra et de Ballet d’Istanbul, qui se déroule en juin : nous y étions pour une version chorégraphique des « Carmina Burana » de Carl Orff). Selon ses propres dires, l’AKM est plutôt dévolu à l’Opéra du XIXème (Verdi, Rossini et Wagner en tête) et au grands Ballets, tandis que l’Opéra Süreyya est surtout le temple de Mozart (et les compositeurs qui l’ont précédé), de la musique “légère” (opérette européenne ou turque), ainsi que celui de la musique contemporaine et de la création, et enfin celui requérant de petits effectifs (comme la musique de chambre et les récitals lyriques). 

 

Crédit photographique © Istanbul Devlet Opera ve Balesi

 

C’est donc avec toute l’évidence possible que nous avons pu y assister à une représentation de “L’Enlèvement au sérail de W. A. Mozart, puisque entre autres avec Maometto II de Rossini (qui sera à l’affiche de l’AKM du 28 novembre au 26 décembre 2024, et dont nous rendrons compte dans ces colonnes à cette occasion…), il est l’un des ouvrages emblématiques “turques” (enfin se déroulant en Turquie…). La production – signée par Caner Akin – a été étrennée à l’été 2020 dans les Jardins du Musée archéologique d’Istanbul, avant d’être reprise l’année dans ceux du fabuleux “décor naturel” du sublime Palais de Topkapi, la résidence officielle des Sultans Ottomans pendant des siècles (et elle sera reprise très bientôt dans la ville de Mersin, au sud-est du pays, en l’occurrence l’une des 6 villes de Turquie à posséder un opéra labellisé “National” (“Devlet”) – et donc financé par l’Etat (les autres villes possédant un opéra étiqueté « national » sont Ankara, Izmir, Samsun et Antalya). Avec l’aide de son scénographe (et costumier) Olcay Engin Kaymaz, c’est bien dans un décor digne des 1001 nuits, celui d’un sérail tel qu’ils existaient à l’époque du librettiste J. G. Stephanie, que l’homme de théâtre turc plonge les spectateurs : moucharabiehs, larges fauteuils en osier, et grands coussins en satin… rien ne manque au luxe dont bénéficiaient les intérieurs privés des Sultans. Par souci de clarté – pour une production destinée surtout à un public de touristes (potentiellement “néophytes”) lors de sa création en plein air (c’est en fait la première fois qu’elle était donnée dans un bâtiment “en dur”, et en l’occurrence dans l’écrin formidable du Süreyya Operasi) -, le metteur en scène (“rejisör” en turc) s’est contenté de suivre le livret et rendre l’action la plus lisible possible, avec un petit “plus” à la fin du III où apparaît un enfant, en fait une incarnation de Selim Pacha à l’âge tendre. Le Sultan a ainsi conservé sa bienveillance et sa tolérance d’enfant à l’âge adulte (notamment à l’égard de ses prisonniers), et a gardé cet humanisme et cette magnanimité qui lui avaient été enseignés dans sa jeunesse, une belle idée qui renvoie aussi à la “Clémence de Titus” du même Mozart…

 

Crédit photographique © Istanbul Devlet Opera ve Balesi

 

Côté chant, la verve et la truculence d’Osmin sont superbement interprétées par la basse turque Umut Tingür, à qui le Pedrillo de Berk Dalkilic donne une réplique pleine de charme et de fraîcheur. La superbe soprano Aysenur Ayyildiz Haksoy campe une ravissante Blöndchen, à la voix habilement conduite, et un registre aigu aussi infaillible que délicieusement suave, en plus d’un jeu fin et spirituel. A ces trois « légers » parfaitement cadrés dans le décor, le couple Belmonte / Konstanz oppose une densité musicale et psychologique bien adaptée. Le jeune ténor Fuat Kilic Aslan (Belmonte) sait utiliser un timbre franc et joliment coloré pour conférer à son personnage un style parfait et une intelligence qui donne son sens à chaque phrase. Face à lui, la soprano Anna Sirel Y. Etyemez est une Konstanz ardente et concernée, chez qui le chant (parfois un peu “étroit” cependant…) vient comme en surplus, portée par une musicalité véritablement intériorisée : et c’est sans doute la plus grande difficulté de ces arie si ardues dans l’escalade des vocalises et qui cependant doivent rester rêveuses et hallucinées. Enfin, l’acteur Selim Borak incarne le rôle de Selim Pacha, auquel il confère une vraie humanité.

Placé sous la direction de Zdravko Georgiev Lazarov, l’Orchestre de l’Opéra Ballet National d’Istanbul se révèle un des grands triomphateurs de la soirée. Le chef bulgare marie avec un art consommé l’approche symphonique d’une formation traditionnelle aux impératifs d’une relecture à l’ancienne. Magnifique de souplesse, de présence et de relief sonore, une telle lecture donne à la partition un sérieux coup de jeune, car elle en souligne les nombreuses audaces instrumentales qui annoncent celles des réussites postérieures.

________________________________

 

CRITIQUE, opéra. ISTANBUL, Opéra Süreyya, le 15 octobre 2024. MOZART : L’Enlèvement au Sérail. F. Aslan, A. S. Etyemez, B. Dalkilic, U. Tingür… Caner Akin / Zdravko Lazarov. Photos © Istanbul Devlet Opera ve Balesi

 

 

Derniers articles

CRITIQUE, opéra (en version de concert). PARIS, théâtre des Champs-Elysées, le 30 avril 2025. WEBER : Der Freischütz. C. Castronovo, G. Schulz, N. Hillebrand,...

Après un Werther poignant le mois dernier, le Théâtre des Champs-Élysées poursuit sa saison lyrique avec une version de concert de Der...

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img