mardi 24 juin 2025

CRITIQUE, opéra. ISTANBUL, Atatürk Cultural Center, le 28 mai 2025. R. STRAUSS : Elektra. L. Kehayova, G. Rusekova, T. Bandalovska… Plamen Kartaloff / Evan-Alexis Christ

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

Dans le cadre du 16ᵉ Festival International d’Opéra et de Ballet d’Istanbul, l’Atatürk Kültür Merkezi (AKM) a accueilli (le 28 mai) une production électrisante d’Elektra de Richard Strauss, portée par l‘Opéra et Ballet National de Sofia. Cette représentation s’inscrivait dans une programmation exigeante due à l’infatigable directeur de l’Opéra d’Istanbul, Caner Agkün, en affichant des compagnies telles que le fameux Ballet Eifman de Saint-Pétersbourg (Anna Karenina, le 31 mai). L’AKM, scène emblématique de la vie culturelle stambouliote, a offert un écrin parfait à cette tragédie grecque transfigurée par la musique straussienne, avec une salle comble et un public international conquis par l’audace de la mise en scène et la qualité des voix.

 

Le metteur en scène bulgare Plamen Kartaloff, directeur de l’Opéra de Sofia, a imposé une approche résolument cinématographique de l’ouvrage straussien. Selon ses propres termes, l’œuvre défile comme « une séquence de scènes en mouvement constant, évoquant le rythme et la tension d’un montage filmique« . Les décors épurés mais évocateurs de Sven Jonke (structures géométriques et jeux d’ombre) et les costumes symboliques de Leo Kulash ont créé un espace psychique où la folie d’Elektra devenait palpable. Andrej Hajdinjak a sculpté la scène avec des lumières contrastées, passant des ténèbres oppressantes du palais de Mycènes aux éclats fiévreux de la danse finale. Cette production, déjà acclamée à Sofia, confirme le génie de Kartaloff pour les grandes fresques wagnériennes et straussiennes, comme en témoigne son Ring intégral salué dans toute l’Europe.

Côté fosse, le chef américain d’origine grecque Evan-Alexis Christ, collaborateur régulier de l’Opéra de Sofia depuis 2020, a dirigé avec une énergie électrique. Sous sa baguette, l’Orchestre de l’Opéra national de Sofia a restitué la partition complexe de Strauss avec une précision diabolique, des grondements des basses aux fulgurances des cuivres. Christ a accentué les moments clés (comme la Danse de la vengeance) par des tempi haletants, tout en ménageant des respirations lyriques dans les duos des deux soeurs.

Dans le rôle-titre, Lilia Kehayova a époustouflé l’audience. Présente sur scène durant les 110 minutes sans entracte que dure la partition, elle a incarné une Elektra à la fois vulnérable et terrifiante, des murmures hallucinés aux cris vengeurs. Son soprano dramatique a dompté les tessitures extrêmes du rôle, notamment dans le monologue d’ouverture « Allein! Weh, ganz allein », où sa voix a fusionné rage et désespoir. En Clytemnestre, Gergana Rusekova a livré une reine déchue hantée par ses cauchemars, avec un mezzo aux résonances sombres et caverneuses. Sa confrontation avec Elektra (« Ich habe keine guten Nächte ») fut un sommet d’intensité psychologique. Face à la noirceur d’Élektra, Tsvetana Bandalovska a offert un soprano lyrique étincelant, notamment dans « Ich kann nicht sitzen und ins Dunkel starren », exprimant avec grâce le désir d’une vie normale. Dans le personnage d’Oreste, Atanas Mladenov offre son baryton noble et charpenté, incarnant un Oreste d’une autorité troublante, notamment dans la scène de reconnaissance « Orest! Orest ist es! ». De son côté, Daniel Ostretsov s’avère un ténor agile et charismatique, campant un Égisthe ridiculement vaniteux, dont l’assassinat a provoqué un frisson collectif.

La standing ovation finale qui s’en est suivi et qui a duré une bonne dizaine de minutes, est venue saluer l’alchimie entre l’orchestre, les solistes et les chœurs (parmi lesquels ont été choisis les solistes incarnant les personnages secondaires, à commencer par les remarquables six Servantes…). Cette production incarne l’excellence de la coopération artistique entre la Bulgarie et la Turquie, un dialogue des cultures qui magnifie l’universalité du génie straussien !

 

 

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CRITIQUE, opéra. ISTANBUL, Atatürk Cultural Center, le 28 mai 2025. R. STRAUSS : Elektra. L. Kehayova, G. Rusekova, T. Bandalovska… Plamen Kartaloff / Evan-Alexis Christ. Crédit photo (c) Droits réservés.

 

 

 

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